C’est tout juste si on se rend compte du séisme électoral qui a secoué l’Allemagne dimanche soir dernier. En effet, les élections législatives allemandes se sont tenues en cette fin de semaine et avaient pour finalité de remettre à jour le Parlement allemand, aussi appelé Bundestag.
Composé de 630 parlementaires, il était, depuis 2021, fragmenté de la manière suivante : 206 députés du SPD, le groupe des sociaux-démocrates, 197 du CDU/CSU, les conservateurs chrétiens, 118 députés verts, 83 députés de l’AfD, parti d’extrême droite, puis enfin 91 députés libéraux-démocrates et 39 pour Die Linke, parti de gauche. Cette fragmentation avait permis une alliance jusque-là inédite entre les sociaux-démocrates, les verts et les libéraux-démocrates. La coalition avait alors choisi Olaf Scholz pour devenir chancelier, mais sa politique n’a pas été une franche réussite. Comme le prédisaient les sondages et comme en témoignent les résultats, c’est le CDU/CSU qui reprend la première place avec 208 députés. Le parti d’Olaf Scholz n’arrive, quant à lui, qu’en 3ᵉ position avec 120 députés, une première depuis la création de la République fédérale d’Allemagne.
L'histoire se répète
Mais le fait majeur de ces élections, ce sont évidemment les 152 sièges obtenus par l’AfD, le parti d’extrême droite allemand. Un score effarant dont tout le monde devrait parler, notamment face à l’extrémisme politique d’un parti tellement radical qu’une de ses anciennes affiches électorales représentait un homme et une femme face à face en train de faire un salut nazi, le tout formant le toit d’une maison, facile à défendre. À l’AfD, pas question de dédiabolisation à la Marine Le Pen, au contraire : plus on est radical, plus ça passe. Le parti d’Alice Weidel est tellement d’extrême droite qu’il a officiellement reçu le soutien d’Elon Musk, nouvel adepte du salut nazi, lors de l’un de ses meetings en janvier. Tellement extrême qu’il entretient aussi des relations étroites avec la Russie, et que plusieurs de ses cadres se sont réunis secrètement pour organiser un plan de déportation massive des immigrés. Vu d’ici, le célèbre « Wir schaffen das » d’Angela Merkel paraît terriblement loin.
Et puis, tout cela semble presque faux, trop gros, voire même caricatural. Pourtant, toutes ces informations sont bien réelles et dévoilées au grand jour dans la presse. Mais qui sait ? Peut-être que les Allemands ne lisent pas les journaux ? Ou que l’AfD a gagné en raison d’une forte abstention alors ? Eh bien non, le taux de participation pour ces élections est estimé à 82,5 %. Cerise sur le gâteau : l’AfD comptabilise un peu plus de 10 millions de voix, soit environ 1 Allemand sur 8. L’histoire semble se répéter, mais en pire, car cette fois-ci, les États-Unis ne seront pas de notre côté.
En termes socio-démographiques et comme le montre une analyse très complète sur le site d’information en ligne Médiapart, les votes AfD sont extrêmement présents à l’Est, en particulier sur le territoire de l’ex-RDA. Cependant, l’AfD a également progressé à l’Ouest, obtenant des niveaux record sur des territoires historiquement positionnés à gauche. Concernant les votants AfD, environ 1 800 000 sont des abstentionnistes de 2021. La majeure partie sont également des hommes, âgés entre 35 et 44 ans, qui habitent loin des grandes villes, dans de petits fiefs marginalisés. L’AfD a aussi enregistré de bons scores chez les ouvriers, ce qui est pour le moins inhabituel. Pour finir, le parti enregistre également des scores très élevés chez les plus précaires et gagne aussi beaucoup de voix chez les jeunes, bien que les 18-24 ans aient majoritairement voté pour le parti de gauche Die Linke.
On ne pactise pas avec le diable
Malgré cette explosion de l’extrême droite, l’Allemagne et l’Europe ne sont pas encore perdues, loin de là. En effet, le patron du CDU/CSU, Friedrich Merz, qui est pressenti pour être élu à la chancellerie, ne compte pas diriger le pays avec l’extrême droite. Bien qu’il ait fait campagne sur le terrain de l’AfD en axant son programme sur l’immigration et qu’il ait déjà tenté de faire passer une loi à l’aide de cette extrême droite par le passé, le conservateur ne compte pas choisir le parti arrivé deuxième pour former une coalition gouvernementale. La cheffe de file de l’extrême droite lui a pourtant tendu la main, mais il s’est voulu intransigeant. Il faut dire que, comme souligné plus tôt, l’AfD n’a rien du Rassemblement national : c’est un parti plus qu’extrême, anti-LGBT, anti-immigration, mais surtout anti-européen et très isolé au Bundestag. Mais nous y reviendrons.
Concernant Friedrich Merz, il se dit lui-même européiste au possible, ce qui empêche d’abord toute coalition avec l’AfD. Il rêve d’une Europe forte et indépendante qui peut fonctionner sans l’aval des États-Unis. Sur ce point là, il risque de bien s’entendre avec Emmanuel Macron, qui se place lui aussi comme un pionnier de l’Europe souveraine et qui entend d’ailleurs recevoir le nouveau chancelier au plus vite à Paris. Même si on sait que l’idée du moteur franco-allemand pour l’Europe est révolue, notamment depuis que les deux pays traversent de graves crises politiques, nous pouvons tout de même espérer une meilleure coordination que la précédente entre le nouveau chancelier et le président français.
Mais n’allons pas trop vite. En effet, à peine les résultats des élections allemandes connus, les politiciens et médias se sont rués tout azimuts aux micros et aux claviers pour célébrer le retour du duo franco-allemand. Mais ils l’avaient déjà fait en 2021 lorsque Scholz venait d’être élu chancelier. Pourtant, rien n’a fonctionné comme prévu. Le nouveau chancelier pourrait aussi se tourner vers d’autres pays puissants en Europe, comme l’Italie de Giorgia Meloni ou la Pologne de Donald Tusk. En tout cas, nous sommes a priori sauvés d’une politique allemande d’extrême droite pour le moment. Et pour finir, pourquoi ne pas faire une petite analogie du traitement parlementaire que reçoivent l’extrême droite allemande et l’extrême droite française ?
Le mur pare-feu Allemand contre le triste "cordon sanitaire" français
En effet, bien qu’elle soit accueillie normalement dans les médias, l’AfD est très isolée au Bundestag : personne ne vote jamais aucune mesure avec elle, et les députés évitent apparemment tout contact avec ses partisans. C’est ce que les Allemands appellent le Brandmauer, qui se traduit littéralement par « le mur pare-feu ». Un vrai cordon sanitaire qui empêche l’extrême droite de participer au gouvernement et surtout de s’institutionnaliser.
En France, nous sommes maintenant bien loin du refus de Jacques Chirac de débattre avec Jean-Marie Le Pen en 2002. En effet, l’extrême droite s’est tellement bien dédiabolisée que même les politiques ont fini par tomber dans le piège. Le RN est si sage qu’il s’est parfaitement institutionnalisé. À tel point que son vote avait permis de faire passer la controversée loi immigration 2024, en grande partie censurée par le Conseil constitutionnel. À tel point que Michel Barnier s’est concerté en particulier avec le RN et que son gouvernement ne tenait qu’à la bonne volonté de Marine Le Pen. À tel point qu’il est parfois considéré comme un parti de gouvernement, bien plus en tout cas que La France insoumise et consorts. Bref, en France, le cordon sanitaire ressemble plutôt à un allume-feu.