Cette semaine, c’est François Bayrou qui a fait fort, très fort. Pourtant, le Premier ministre n’est pas un néophyte de la politique, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce professeur agrégé de Lettres classiques a commencé son parcours politique en tant que député en 1982, mais a aussi été président de conseil général, eurodéputé et, de surcroît, maire de Pau. Le Béarnais s’est aussi illustré par sa triple participation aux élections présidentielles : d’abord en 2002 où il n’obtient que la 4ᵉ place, puis en 2007 où il crée la surprise en se plaçant troisième avec un très bon score de 18,57 % des suffrages. Il retente de nouveau sa chance en 2012, mais n’arrivera que 5ᵉ et renonce à se présenter en 2017 en offrant son soutien à Emmanuel Macron. Le jeune candidat réussit alors là où François Bayrou a toujours échoué : faire élire un parti centriste.
Le spectre de la politique politicienne
Et c’est seulement en décembre dernier que François Bayrou prend sa revanche. Il force la main du président avec un chantage efficace : s’il n’est pas élu Premier ministre, il retirera ses troupes du très fragile socle commun. Macron cède, et le Béarnais forme alors une nouvelle équipe de ministres avec un premier objectif clair : donner un budget à la France. Problème : pour cela, il va falloir discuter avec la gauche, car, comme vérifié avec son prédécesseur Michel Barnier, les accords plus ou moins tacites avec l’extrême droite ne fonctionnent pas.
Le Premier ministre se tourne alors naturellement vers les socialistes qui, il le sait, ne sont pas prêts à voter à nouveau la censure, à moins qu’il ne fasse n’importe quoi. Il propose alors quelques concessions : d’abord l’annulation de la suppression des 4 000 postes d’enseignants, mais surtout un conclave qui réunirait les partenaires sociaux pour rediscuter de la réforme des retraites, qui reste à ce jour extrêmement impopulaire.
Le butin est un peu maigre, mais les socialistes n’ont d’autre choix que d’accepter. Leurs électeurs ne sont pas prêts pour une nouvelle censure, et la plupart des cadres du parti s’y opposent également. Et puis, l’idée du conclave rend les choses plus simples. En effet, François Bayrou a promis qu’il serait sans « totem ni tabou », ce qui veut dire que même l’âge de départ à la retraite pourrait être rediscuté. Les socialistes signent, le budget passe et le gouvernement reste. Jusque-là, tout est clair.
Secret de polichinelle et claquage de porte
Pourtant, la semaine dernière, le Premier ministre a fait une sacrée bourde. Interrogé à la radio et répondant à une question à propos du conclave, il a clairement déclaré qu’il était dérisoire de penser que l’âge du départ à la retraite pouvait être rediscuté. En bref, il s’est moqué de la gauche, en particulier du PS, et a méprisé les partenaires sociaux tout en ne respectant pas sa parole. Le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a pourtant essayé de rattraper le coup en disant que tout pouvait être discuté au sein de la réunion. Mais, impitoyable, Bayrou en a remis une couche en fin de semaine : il ne reviendra pas sur ses propos. La gauche a évidemment crié au scandale. On s’est d’abord moqué du PS, qui s’est vendu pour des miettes, puis ce sont les syndicats qui ont claqué la porte : d’abord Force ouvrière, puis la CGT, qui ont considéré qu’un tel manque de respect était suffisant pour stopper net les discussions.
Ainsi, la CFDT se retrouve seule face au patronat. Tout de suite, beaucoup ont crié au scandale, car oui, il n’y a pas que l’âge de départ dont on peut discuter. Il y a aussi la différence de pénibilité entre les métiers et la précarisation grandissante des emplois plus féminins. Et puis, certains arguments restent forts à droite : d’abord, de nombreux pays européens ont un âge moyen de départ à la retraite bien plus élevé, comme en Italie. Ensuite, il y a aussi l’idée que notre espérance de vie augmente chaque année. Nous vivons plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps. Je suis sûr que vous aussi, vous avez entendu cette petite phrase.
"Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres" (G.Orwell, la ferme des animaux)
Pour autant, et comme l’a très bien expliqué le secrétaire confédéral de la CGT Denis Gravouil, ce n’est pas parce que l’espérance de vie augmente qu’elle augmente pour tout le monde. En effet, pour les plus aisés d’entre nous, qui travaillent dans des bureaux ou des locaux, pour qui il est facile de bien manger et surtout de se faire soigner correctement, oui, pour ceux-là, l’espérance de vie augmente. Mais pour ceux qui, pendant 50 ans, ont travaillé à la sueur de leur front à l’usine, sur les chantiers ou encore à l’hôpital, à faire un nombre d’heures éreintant, non, pour ces gens-là, l’espérance de vie augmente moins. Alors l’excuse n’est pas valable.
De plus, il arrive parfois que, cyniquement, on traite les gens qui se battent contre cette réforme de fainéants. Pourtant, comme l’explique toujours M. Gravouil, ces gens veulent travailler. Il existe de nombreux jeunes qui souffrent du chômage, de nombreuses femmes qui rêvent d’un temps plein au lieu de leur maigre temps partiel et de nombreuses personnes qui rêvent d’un confortable CDI au lieu du si cruel contrat à durée déterminée. Alors non, on ne peut pas traiter ces gens de fainéants.
En réalité, le problème de fond n’est autre qu’un problème d’argent. Car oui, si Emmanuel Macron a fait passer cette réforme bon gré mal gré, c’est à cause du déficit énorme et grandissant qu’engendre l’actuel système de cotisation. Il y a trop de retraités pour trop peu de travailleurs.
Mais l’idée de nous faire choisir entre la crise budgétaire et le départ à 64 ans revient, en somme, à nous tordre le bras et à nous dire : « Nous n’avons pas le choix. » Pourtant, si, le choix, nous l’avons. Car oui, même si la France n’est pas dans une situation économique confortable, les retraites pourraient être financées autrement que par le recul de l’âge légal. Mais pour cela, il faudrait s’y pencher et réfléchir à de sérieuses solutions alternatives de financement.
Ce que je veux ici, ce n’est pas faire du simplisme politique en disant qu’il suffit de taxer les riches pour financer les retraites. Je veux simplement montrer que les arguments utilisés par les partisans du départ à 64 ans sont assez fallacieux. En fait, il faudrait que les tenants et les aboutissants de cette réforme soient rediscutés, qu’elle soit remodelée dans son ensemble. Et je pense d’ailleurs que si l’on s’y mettait collectivement, on aurait sûrement bien plus de chances de trouver un compromis satisfaisant pour tous.