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Billet de blog 29 avril 2025

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Umberto Eco - La novlang façon extrême droite Française

En lisant le petit livre "reconnaître le fascisme" du célèbre écrivain et philosophe Umberto Eco, on est surpris de voir à quel point l'Ur fascisme (fascisme primitif et éternel) qu'il décrit est semblable aux partis de la droite extrême en France. On a jamais essayé disent certains. Oh que si...

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Dans ce billet de blog, j’aurais aimé traiter d’un sujet d’actualité politique, qu’il soit national ou international. Mais ma semaine a été coupée par la lecture d’un livre aussi emblématique que passionnant : Reconnaître le fascisme du célèbre Umberto Eco.

"Faire coaguler une nébuleuse fasciste" 

Dans ce livre, le philosophe nous décrit d’abord brièvement son enfance, qui s’est déroulée sous l’autoritarisme italien de Mussolini. À partir de cela, il développe une idée qui lui est propre, ce qu’il appelle « l’Ur-fascisme ». L’Ur-fascisme est ainsi défini comme étant le fascisme primitif et éternel. À partir de ce concept, il décline un certain nombre de caractéristiques, 14 pour être précis.
Ces caractéristiques seraient donc relatives à un fascisme éternel. Car oui, pour Umberto Eco, il n’existe pas un seul fascisme qui dispose de caractéristiques bien précises, mais bien plusieurs fascismes qui sont réellement différents, même si, dans le fond, ils se ressemblent.
Ainsi, il donne des caractéristiques larges et souligne lourdement : « il suffit qu’une de ces caractéristiques soit présente pour faire coaguler une nébuleuse fasciste ». Vous pensez toujours qu’il est trop extrême de qualifier le Rassemblement national de fasciste ? Tenez-vous bien. Parce qu’à l’aune des arguments d’Umberto Eco, le Rassemblement national a tout d’une « nébuleuse fasciste »…

Une pensée prophétique qui glace le sang 

Mais alors revenons sur les caractéristiques et commençons avec la première, même si l’on ne va pas traiter les 14. Sans surprise, il s’agit de quelque chose que met en avant le RN et ses sympathisants : le culte de la tradition. Umberto Eco explique alors que le culte de la tradition renvoie à l’idée que la vérité a déjà été prononcée il y a bien longtemps et que nous ne devons pas revenir sur ces énoncés de faits. Cette première caractéristique est d’ailleurs intrinsèquement liée à la seconde, qui n’est autre que le refus du progressisme et/ou du modernisme.
En effet, la vérité ayant déjà été énoncée une fois, le progrès ne peut pas être toléré et les nouvelles pratiques sont vues comme abracadabrantesques. Tiens, mais cela ne vous rappelle-t-il pas un peu les sympathisants du Rassemblement national, qui dénoncent à tour de bras la montée du wokisme, qui défendent la tradition familiale tout en se prononçant contre le mariage pour tous ? Un peu, pas vrai ?

Mais attendez un peu, car pour la suite, Umberto Eco écrit en visionnaire et semble presque lire l’avenir. La 4ᵉ caractéristique, c’est la non-acceptation du désaccord, car pour les fascistes, désaccord = diversité, et on n’aime pas vraiment la différence dans les régimes néo-fascistes. Jusque-là, rien de divinatoire, je vous l’accorde, mais dans cette même rubrique, le philosophe fait le lien entre diversité et intrus. Il écrit même les propos suivants : « le premier appel d’un mouvement fasciste ou prématurément fasciste est lancé contre les intrus ».
Là, c’est éloquent : cela fait tout de suite penser au Rassemblement national et à sa dénonciation sans commune mesure de l’immigration et de l’islam. Des intrus qui ne devraient pas faire partie intégrante de notre République.

Pour la suite, Umberto Eco nous parle de fracture sociale : le fascisme serait un mouvement qui naît dans de la frustration individuelle ou collective. Un mouvement qui en appelle aux classes moyennes défavorisées et frustrées. Cette caractéristique n’est pas unique au Rassemblement national, et même si le vote à l’extrême droite résulte de plus en plus d’une misère et d’un mépris des classes sociales les plus basses, je ne sais pas s’il est pertinent de le relever. À mon sens, cette caractéristique s’applique plus aux populismes.

Le fascisme, une identité pour ceux qui ne sont rien...

Mais là où l’auteur fait fort, c’est sur la caractéristique numéro 7. Il écrit dans cette rubrique que, pour ceux qui n’ont aucune identité sociale, ceux qui ne sont rien, le fascisme apporte une solution aussi claire que de l’eau de roche : le nationalisme. Ils ne sont pas rien, ils sont français. Encore une fois, on sait que l’une des premières lignes idéologiques du Rassemblement national est celle du nationalisme et de la défense de l’identité nationale. Cela devient inquiétant, mais figurez-vous que ce n’est pas fini.

Car oui, les caractéristiques 10 et 11 sont elles aussi éloquentes. Dans la 10, Umberto Eco explique que le fascisme s’accompagne toujours d’un machisme décomplexé et d’une intolérance des mœurs sexuelles non conformistes. Le machisme est en effet encore bien présent au RN. À vrai dire, il suffit de regarder comment certains cadres du RN, à l’instar de Julien Odoul, s’adressent aux femmes sur les plateaux télé : les traitant comme des idiotes hystériques et leur disant parfois de se calmer lorsqu’elles haussent le ton.

La caractéristique 11 est, à mon sens, tout aussi parlante. Ici, Umberto Eco nous explique que, dans l’Ur-fascisme, le peuple est perçu comme une entité monolithique et compacte, qui exprime une volonté commune. Et d’ailleurs, il faut bien qu’il y ait un leader pour exprimer cette volonté commune. C’est ainsi que Marine Le Pen et ses sbires se décrivent comme étant les derniers représentants de la volonté populaire, là où les autres ne sont, à leur sens, que les fantassins d’une démocratie en déliquescence.

La novlang façon extrême droite française : l'instillation de néologismes réducteur 

Finalement, je crois que c’est la dernière caractéristique qui m’a le plus marqué. Dans la rubrique numéro 14, il est écrit : « L’Ur-fascisme parle la novlang orwellienne ». La novlang, dans 1984, c’est la nouvelle langue qui est mise en place par le Parti et par son chef BIG BROTHER, qui a pour objectif de réduire le langage à son strict minimum. Le but est donc d’utiliser un langage élémentaire, un lexique pauvre, qui empêchera toute personne de réfléchir et de s’instruire. D’ailleurs, pour Umberto Eco, une autre des caractéristiques du fascisme est la guerre menée contre l’éducation.

Jusque-là, je ne voyais pas vraiment de lien avec le parti de Marine Le Pen. Mais en réfléchissant à deux fois, et en relisant le passage, une phrase m’a longuement interpellé : « Nous devons être prêts à identifier d’autres formes de novlang ».
Et là, bingo : l’extrême droite actuelle a en effet créé sa propre vérité et son propre langage. Les militants écologistes ne sont plus des défenseurs de la planète, mais des éco-terroristes. Les militants de gauche ne sont plus les défenseurs d’un système social plus juste, mais des islamo-gauchistes. En fait, tous ces progressistes ne sont plus des personnes éclairées : ce sont des wokistes.

L’extrême droite, avec ses néologismes et à l’aide d’un tout nouvel attirail d’expressions et de concepts comme celui du grand remplacement ou du racisme anti-blanc, stigmatise les autres pensées que la sienne et rentre à pleine vitesse dans le cadre de l’Ur-fascisme.
Ainsi, à l’aune de la lecture de l’ouvrage Reconnaître le fascisme d’Umberto Eco, nous pouvons affirmer que le philosophe aurait sans nul doute décrit le Rassemblement national, aujourd’hui parfaitement intégré dans le paysage politique français, comme une nébuleuse fasciste.

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