Faisons un peu de politique fiction.
Nous sommes le lundi 17 janvier 2022. A 9h12, l’INSEE publie sur son site le bilan démographique 2021. Le chapeau du document contient les propos suivants : "Après une année encore marquée par le covid-19, la croissance de la population est plus faible qu’en 2020 et elle est, pour la deuxième année successive, majoritairement assurée par le solde migratoire".
A 9h45, Eric Zemmour, candidat à la présidentielle (8% d’intention de vote selon un sondage publié la semaine précédente), est sur CNews. "C’est ce que je dis depuis des années : le grand remplacement est en cours, les français sont débordés par l’immigration qui met en danger notre culture et notre art de vivre mais aussi l’intégrité de notre descendance. Ceux qui parle de métissage culturel sont aveugles, nous sommes face à l’invisibilisation systématique de nos valeurs, en particulier de nos valeurs familiales. A force de remettre en cause le rôle des pères et la place des femmes, la France ne fait plus d’enfants… Il faut revenir sur le droit à l’avortement, sur le mariage pour tous et sur tout ce qui freine la croissance des familles françaises."
A 11h, depuis son fief d'Henin-Beaumont, Marine Le Pen (21% d’intention de vote), adresse ses vœux à la nation. S’appuyant sur les données du recensement de l’INSEE, elle déroule son programme. La réduction immédiate de l’immigration légale, la baisse du nombre de naturalisation et l’expulsion immédiate des criminels et délinquants étrangers devrait, selon elle, "permettre de faire baisser drastiquement le solde migratoire". Sur la question de la natalité, la mise en place d’une vraie politique familiale dont seraient bénéficiaires les seuls français permettra de relancer les naissances. Cette politique nataliste verra la transformation du mariage pour tous en un nouveau type de pacs, le rétablissement de la libre répartition du congé parental entre parents, une augmentation des allocations pour les familles nombreuses, la création d’un revenu parental, le déremboursement de l’IVG de confort. "L’ensemble de ces mesures, permettra aux femmes qui le souhaitent d’être à nouveau le cœur battant du foyer et aux familles françaises d’être le centre d’une impulsion nouvelle que j’appelle de mes vœux."
A 18h, Michel Barnier (14% d’intention de vote), candidat les Républicains, intervient à France Info mais personne ne l’écoute vraiment car, à 17h57, Gilles Bouleau a tweeté "La rédaction et moi-même auront le plaisir de recevoir le président de la République à 20h. Édition spéciale avec tous nos spécialistes. #laprésidentielleestsurTF1."
A 20h21, de peur d’être en reste dans les sondages et de ne pas montrer sa fermeté sur ces sujets régaliens, Emmanuel Macron (26% d’intention de vote) décide de sortir de sa réserve et de dévoiler quelques éléments de son programme. Ce dernier devait pourtant être dévoilé la semaine suivante lors d’une grande messe au Bourget. Pendant l’entretien, il promet ainsi un grenelle de l’immigration et de l’identité française : "Il ne s’agit pas d’interdire le regroupement familial mais de savoir où situer le curseur. Nous voulons une immigration professionnelle choisie et sélectionnée. Nous ne voulons plus d’une immigration de confort où ce sont les grands-parents ou les arrières-petits cousins des immigrés qui profitent de notre générosité. C’est du simple bon sens. Il faut participer aux migrations de la connaissance et être attractif pour produire de l’innovation et de la croissance et nous maintenir dans le peloton de tête des pays acteurs de la mondialisation. Il faut continuer de faire ce que j’ai fait depuis 5 ans : agir pour ne pas subir." A une question posée sur la défense des valeurs familiales, il répond : "Qu’il soit bien clair que la question de l’égalité homme-femme sera au cœur de mon prochain projet comme il l’a été au cours de mon premier mandat. Notre volonté inflexible de lutter contre les violences conjugales l’a bien montré. Mais en même temps, depuis 20 ans les choses sont peut-être allées trop vite dans une direction qu’une partie des français ne cautionne plus. Sur la question des mœurs le statu quo actuel semble juste. Sur la politique familiale, la mise en place d’un revenu universel pour les mères au foyer sera à l’étude." Il s'empresse alors d'ajouter "Les mères ou les pères au foyer bien sûr!"
Tout au long de la journée, les six candidates et candidats de la gauche ont été peu audibles sur ces questions… On aura retenu des propos de Jean-Luc Mélenchon (7% d’intention de vote) les deux phrases suivantes "La République c’est moi" et "Voici venu le temps des familles insoumises". Fabien Roussel pour le PCF (2% d’intention de vote) a eu des propos très clairs et précis mais sans contenu polémique. Ils ont été publiés sur le site de l’Humanité puis rapidement oubliés. Natalie Artaud (3% d’intention de vote) pour Lutte ouvrière et le Nouveau Parti Anticapitaliste a rappelé en milieu d'après-midi qu’elle soutenait le droit à l’avortement. Anne Hidalgo (5% d’intention de vote) et Sandrine Rousseau (5% d’intention de vote) ont publié le lendemain une tribune dans Libération. Elles dénoncent le "recul certain des droits des femmes" si jamais Eric Zemmour ou Marine Le Pen étaient élu·es. Dans la tribune, un rapprochement se laisse deviner entre les lignes. Le Parti animaliste (classé à gauche pour cette élection et dont la candidate ne recueille pas suffisamment d’intentions de vote pour exprimer un pourcentage) ne s’est pas exprimé sur ce sujet. François Ruffin (ne recueille pas suffisamment d’intentions de vote pour exprimer un pourcentage) le candidat « des oubliés, des ronds-points et de tous les fatigués de la crise sanitaire » a envoyé un fax (sic) à l’Agence France Presse avec écrit dessus « Ne les écoutez plus. Ils sont tous devenus fous ».
La campagne présidentielle était lancée et tout laissait à penser que la lutte contre les inégalités et l’urgence écologique ne seraient pas au centre des débats et des discussions dans les semaines suivantes…
Purement fictionnels, ces propos mettent en avant des réactions possibles à la publication des résultats de l'INSEE. Loin d'être anodins les enjeux démographiques liés à la population française comme les enjeux géographiques de son peuplement sont au cœur du fonctionnement démocratique. Cette série de billets se propose de les décoder et de les analyser en quelques épisodes.
La suite dans l'épisode 1 - Le déclin démographique français : un fantasme ancien mais réactivé (à suivre le 28/09/21)