Après bien des altermoiements, bien des doutes, plusieurs crises, Marseille s'apprête à lancer avec faste son année de capitale européenne de la culture. Aussi, l'espoir est grand de voir renaître une fièvre culturelle et artistique dans la cité phocéenne en renouant avec la courte période de movida des années 90 (ère Poitevin - Vigouroux). Cette période a vu naître avec la Friche la Belle de Mai tout le travail autour des nouveaux territoires de l'art.
D'ailleurs, masquée par le décompte macabre, par les médias, des morts liés aux règlements de compte, cette année capitale s'accompagne d'un phénomène nouveau dans la ville où fleurissent des initiatives citoyennes spontanées qui pollinisent ensuite d'autres quartiers. C'est le cas de la végétalisation des rues, qui permet à leurs habitants de se parler, de se réapproprier l'espace public. C'est aussi le cas des projets situés dans le sillage ou en dissidence de l'organisation officielle de la capitale européenne de la culture : le Off ; le projet de Camping 2013 : expérience originale de création d'un centre d'hébergement bon marché et écologique qui sera en même temps un lieu de vie culturelle, de co-production artistique, créant un “ nouveau village urbain ” comme œuvre pérenne. Il faut évoquer ici aussi l'expérience des Feuillants : collectif d'architectes, d'urbanistes, d'associatifs, de citoyens bataillant pour éviter le bradage par la ville d'un ilôt situé sur la Canebière, à la lisière du quartier populaire de Noailles, pour en faire une vitrine de la ville en mouvement et une expérience concrète de la maîtrise d'usage.
Cette vitalité citoyenne est la face positive de l'agonie du système local, clientéliste et affairiste. Les citoyens s'affranchissent de leur statut d'inféodés et de “ quémandeurs ” d'emploi, de logement, de subvention en agissant collectivement et concrètement à la transformation de leur quartier, de leur rue, de leur ville. C'est ainsi que des utopies concrètes naissent.
Marseille est une ville complexe, indomptable ; une ville vraie, authentique et fière.
Elisée Reclus disait d'elle qu'«en vraie fille de la Grèce et de l'Italie, ...c'est la ville de France qui a conservé l'esprit le plus original et le plus libre ; elle veut faire à son goût et à son heure».
La gangrène du système clientélaire, le manque de vision de ses dirigeants ont enlisé la ville et enfermé les Marseillais dans un fatalisme mélancolique, un attachement désillusionné à leur Cité.
Marseille Provence 2013 capitale européenne de la culture peut esquisser un nouvel élan en bousculant les inerties des baronnies locales, en créant de nouvelles représentations, un autre destin pour la ville. Par exemple, le projet de sentier grande randonnée GR2013 peut permettre au territoire marseillais de se poser en laboratoire des relations ville - nature et d'inventorier le patrimoine sensible du territoire métropolitain en construction en imaginant ce que pourrait être une éco-métropole méditerranéenne au coeur de l'arc latin.
Entre Marseille “ la ville sans nom ” ingouvernable, dangereuse car pauvre et rebelle dans laquelle on veut souvent l'enfermer, et Marseille ville ouverte et singulière, notre choix est fait.
Marseille ville monde et creuset identitaire dessine un nouvel universel pluriel et résiste avec force à toute tentative de normalisation, d'uniformisation. Henri Bosco affirmait d'ailleurs que le plus beau monument de Marseille était sa population, «cet immense édifice de chair avec sa mise en scène véhémente et infatigable».
C'est cette exception d'une ville populaire qu'il faut préserver en créant de vraies solidarités, d'autres modes de gouvernance, des transports collectifs irriguant toute la ville et maillant l'espace métropolitain, un espace public partagé, des équipements collectifs et des services publics de qualité pour tous. Une ville luttant contre ses inégalités sociales et ses fractures territoriales.
On prête souvent à Jean Monnet la phrase suivant concernant la construction européenne : « Si c’était à refaire, je recommencerais par la culture ». Peut-être que la métamorphose du territoire marseillais commencera avec cette année 2013 capitale européenne de la culture.
La ville a besoin de rêver, de se réinventer un avenir partagé, un imaginaire commun. La création artistique et culturelle peut permettre d'esquisser les chemins du changement.