Il est 4 heures du matin ce jeudi 16 juillet 1942 lorsque commence l’opération nommée « Vent printanier » dans Paris et sa banlieue. Les responsables de l’administration de Vichy (Bousquet, Leguay et Darquier de Pellepoix), ceux de la Sipo-SD (Knochen et Dannecker) se sont rencontrés à plusieurs reprises depuis le début du mois pour mettre au point cette opération de grande envergure prévoyant l’arrestation d’environ 22.000 Juifs.
Si la capitale a déjà connu des rafles de Juifs en 1941, c’est la première fois depuis le début de l’Occupation qu’un nombre aussi important de personnes est visé, et surtout que des femmes et des enfants font partie de la liste des personnes qui doivent être arrêtées. Le nouveau contexte international et européen a modifié la politique antisémite nazie et avec elle les termes de la Collaboration en France. La Wehrmacht subit de lourdes pertes sur le front russe durant l’hiver 1941-1942 et l’entrée des États-Unis dans la guerre fin 1941 redistribue les cartes. Alors qu’elle a initié la mise en œuvre de l’extermination à l’est de l’Europe à l’automne 1941, l’Allemagne nazie décide de l’appliquer également à l’ouest, à la suite de la Conférence de Wannsee tenue en janvier 1942.
En France, dans le cadre d’une politique de représailles, c’est à la fin du mois de mars que les premiers convois partent pour Auschwitz du camp de Drancy qui devient à partir de là le principal centre de transit de la déportation des Juifs de France, véritable antichambre de la mort. Le 6 mai 1942, Reinhard Heydrich, chef du service de sécurité du Reich, vient à Paris rencontrer le nouveau secrétaire général à la Police, René Bousquet, pour mettre en place la collaboration des polices françaises et allemandes. Cette collaboration dans laquelle Laval, revenu au pouvoir depuis avril et convaincu de la victoire nazie, souhaite également s’engager pleinement, prévoit entre autres la collaboration dans la répression à l’encontre des résistants et la persécution des Juifs. Par la voix du conseiller SS aux affaires juives Dannecker, les Allemands réclament le 25 juin au gouvernement de Vichy la livraison de 10.000 Juifs en zone non occupée et donc l’arrestation de 22.000 autres à Paris et sa banlieue.
La décision d’une arrestation massive de Juifs prise en charge par les seules autorités françaises intervient le 2 juillet avec le plein accord de Bousquet, et entérinée le lendemain en conseil des ministres. Dans les jours qui suivent, Laval suggère à Knochen de déporter aussi les enfants par crainte d’une réaction de l’opinion devant le spectacle de familles que l’on va séparer. Lors des réunions préparatoires entre responsables allemands et français, le chef du service des étrangers et des affaires juives de la préfecture de police, André Tulard, s’engage à remettre au directeur de la police municipale, Emile Hennequin, le fichier qu’il a élaboré lui-même un an auparavant contenant les noms et adresses des Juifs sur la base du recensement de 1940.
Au matin du 16 juillet, ce sont environ 7.000 personnes (gendarmes, inspecteurs en civil, policiers, gardiens de la paix mais aussi militants collaborationnistes du Parti Populaire Français venus prêtés main forte) qui entrent dans les immeubles par groupes de trois ou quatre munis de leur liste nominative et frappent à la porte des foyers encore endormis. Cinquante autobus de la Compagnie des transports en commun de la région parisienne ont été réquisitionnés avec leur personnel pour l’opération.
Ce sont 13.152 Juifs dont 5.919 femmes et 4.115 enfants, soit près d’un tiers du total, qui sont arrêtés par les autorités françaises entre le 16 et le 20 juillet, la plupart à leur domicile grâce au fichier de Tulard. Un chiffre bien en deçà des objectifs qui s’explique par des fuites venues de policiers, de résistants, de membres de l’UGIF (Union Générale des Israélites de France) et des solidarités de proximité qui ont permis à certains de se cacher in extremis. Cette opération demeurera malgré tout la rafle la plus massive réalisée en France au cours de la guerre. Les adultes isolés et les couples sans enfants sont directement conduits vers le camp de Drancy d’où le premier convoi prend la direction d’Auschwitz-Birkenau dès le 19 juillet avec sélection et gazage immédiat pour 375 d’entre eux. Les autres convois suivront en quelques jours. Les familles (8.160 hommes, femmes et enfants) sont quant à elles amenées au Vélodrome d’Hiver, lieu traditionnel de manifestations sportives et de rassemblements politiques, et y restent enfermées pendant plusieurs jours dans des conditions d’hygiène dramatiques. Des épidémies de diphtérie, de scarlatine et de rougeole frappent des centaines d’enfants.
Que faut-il faire de ces 4000 enfants, dont 800 ont moins de six ans, que Laval a demandé d’arrêter en même temps que leurs parents ? Dannecker signale déjà début juillet la position de Laval dans un courrier envoyé à Berlin pour évoquer la demande du chef du gouvernement français de déporter vers l’Allemagne également les enfants de moins de 16 ans qui se trouvent en zone occupée et zone libre : « le problème des enfants juifs restant en zone occupée ne l’intéresse pas ». Le sort des enfants arrêtés est donc entre les mains des Allemands mais la réponse d’Eichmann à Berlin tarde à venir. La proposition de les accueillir dans des foyers de l’UGIF est écartée par les responsables allemands (Hagen et Röthke) et français (Leguay, François, Tulard) lors d’une réunion le 17 juillet au service des Affaires juives au cours de laquelle ils décident de les transférer avec leurs parents aux camps d’internement de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande dans le Loiret. La totalité des familles enfermées au Vel’ d’Hiv’ est ainsi transportée dans ces camps entre le 19 et le 22 juillet.
Dans l’attente de la réponse du Reich concernant le sort des enfants, il est décidé de déporter vers Auschwitz fin juillet les adultes et les plus de 15 ans, et donc de séparer les parents de leur(s) enfant(s) âgés de 2 à 15 ans. Ces terribles séparations sont opérées par les gendarmes français laissant plus de 3000 enfants livrés à eux-mêmes aux camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. Le sort de ces enfants est définitivement scellé avec l’accord donné par Berlin début août pour leur déportation. Envoyés d’abord à Drancy à la mi-août, ils sont conduits par convois entre le 17 et le 26 août à Auschwitz-Birkenau pour y être tous gazés à leur arrivée.
Acceptée dès le mois de juin par Vichy, la deuxième vague de déportation des Juifs commence à partir d’août 1942 cette fois en zone non occupée. Elle concerne majoritairement des Juifs étrangers. Certains sont envoyés à Drancy des camps où ils étaient déjà internés (dont Gurs, les Milles, Rivesaltes), les autres font l’objet de rafles, comme celle du 26 août, avant d’être internés dans les camps du sud puis transférés rapidement à Drancy. Au total, ce sont 10.000 Juifs (hommes, femmes et enfants) qui sont livrés au Reich jusqu’en novembre 1942. L’organisation de ces déportations massives est entièrement prise en charge par les autorités françaises impliquant de nombreux services de l’Etat et la SNCF. Désireux de satisfaire au plus vite les exigences allemandes, Bousquet envoie alors plusieurs télégrammes aux préfets régionaux leur demandant de se donner les moyens matériels et coercitifs nécessaires « afin de libérer totalement votre région de tous les Juifs étrangers ».
Après la Seconde Guerre mondiale, les journées des 16 et 17 juillet dénommées « rafle du Vel’ d’Hiv’ », qui représentent un véritable tournant dans la persécution des Juifs de France, sont longtemps restées cantonnées aux sphères de l’intime ou aux espaces commémoratifs organisés à partir des années 1950 par des associations de la communauté juive. Il a fallu de multiples actions sur le plan judiciaire (poursuites de Leguay en 1978 et de Bousquet en 1989 pour crimes contre l’humanité par Serge Klarsfeld), historique, médiatique et politique pour que la mise en mémoire collective de l’événement soit élargie à des cercles toujours plus larges. Au cours des années 1990, la rafle du Vel’ d’Hiv’ devient le symbole même du crime commis à l’égard des Juifs par un Etat français à caractère antisémite dans le cadre de la politique nazie d’extermination, la voix de l’Etat (« Discours du Vel’ d’Hiv’ » de Jacques Chirac en juillet 1995) venant relayer celles de la société civile en mettant en place une politique de réparations.