sebastien mabile (avatar)

sebastien mabile

Docteur en droit, Avocat associé, Seattle Avocats

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 novembre 2014

sebastien mabile (avatar)

sebastien mabile

Docteur en droit, Avocat associé, Seattle Avocats

Abonné·e de Mediapart

Après Sivens, réformer pour apaiser

Ségolène Royal affirmait dimanche 2 novembre à propos du barrage de Sivens qu’il y avait eu « manifestement une erreur d’appréciation sur ce projet » qui ne « serait plus possible aujourd’hui ». Hélas, tant que les procédures ne garantiront pas davantage un débat public transparent et des études incontestables, on peut redouter que les mêmes causes ne reproduisent les mêmes effets.

sebastien mabile (avatar)

sebastien mabile

Docteur en droit, Avocat associé, Seattle Avocats

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ségolène Royal affirmait dimanche 2 novembre à propos du barrage de Sivens qu’il y avait eu « manifestement une erreur d’appréciation sur ce projet » qui ne « serait plus possible aujourd’hui ». Hélas, tant que les procédures ne garantiront pas davantage un débat public transparent et des études incontestables, on peut redouter que les mêmes causes ne reproduisent les mêmes effets.

Quiconque artificialise le milieu naturel, détruit une zone humide ou des espèces rares et protégées doit avoir la main qui tremble. La biodiversité s’effondre. Artificialiser une zone naturelle suppose donc de s’appuyer sur des expertises scientifiques irréprochables, seules capables de conforter la décision politique.

Des procédures juridiques existent – étude d’impact, avis de l’autorité environnementale – pour justifier sur le plan technique et scientifique ces choix exposés aux critiques légitimes. L’expert devient la caution scientifique du projet, tandis que le juge, qui opère un contrôle restreint sur les études, ne disposant pas des compétences scientifiques requises pour les remettre en cause sur le fond, lui délivre le sceau de la légalité. C’est derrière elle que s’abritent systématiquement les décideurs dès lors qu’ils font l’objet de critiques.

Cette légalité apparente d’un projet ne lui confère pas pour autant la légitimité requise pour son acceptation sociale. En cause, les suspicions qui planent sur ces études préalables, et les conflits d’intérêts réels ou supposés entre ceux qui les réalisent et ceux qui les sollicitent ou en bénéficient.  

Certains évènements récents permettent en effet de douter de l’efficacité de notre droit, tant en ce qui concerne les études elles-mêmes que les avis de « l’Autorité environnementale », contre-expertise de l’étude d’impact réalisée avant l’enquête publique.

En Guyane, le parquet a récemment ouvert une enquête pour faux suite aux révélations de Mediapart sur les modifications apportées par le pétitionnaire à l’étude d’impact pour minimiser les impacts de son projet de mine d’or en lisière du parc national amazonien. L’étude d’impact aurait été « bidonnée » sans que personne ne s’en rende compte.

Dans l’affaire du barrage de la forêt de Sivens, les opposants ont dénoncé la double casquette de la société d’économie mixte chargée de l’évaluation des besoins en eau justifiant la construction du barrage, pressentie ensuite pour en devenir l’opérateur. Quant à l’étude d’impact, qualifiée de « très moyenne » par les experts missionnés par Ségolène Royal, elle avait auparavant été jugée par l’Autorité environnementale, ici le préfet de région, comme « détaillée », « pertinente » et « menée de façon rigoureuse et scientifique ». Le préfet « autorité environnementale » n’avait pas relevé ses carences, notamment quant à l’étude de variantes à la solution de barrage, pourtant essentielle, ou à l’insuffisance des mesures compensatoires proposées. Sa défaillance peut s’expliquer par sa trop grande proximité, tant géographique que politique, avec le projet et ses acteurs.

Des propositions existent pourtant pour prévenir ces dérives et conférer aux études techniques et scientifiques requises la force dont elles ont besoin pour parer à toute critique.

La proposition de nouveau code minier – réforme en sommeil – prévoyait de créer pour chaque projet « sensible » un groupement momentané d’enquête doté de la personnalité morale. Composé de l’ensemble des parties prenantes – partisans comme opposants au projet, ce groupement serait chargé de faire réaliser les études préalables et d’organiser un véritable débat public. Tout serait alors discuté en amont entre toutes les parties prenantes, selon les principes de la démocratie participative si chère à la ministre de l’Ecologie, de la rédaction du cahier des charges au choix des bureaux d’études.

Quant à l’avis de l’autorité environnementale, son indépendance devra être renforcée pour écarter tout soupçon de conflit d’intérêts ou de complaisance. Seule une autorité environnementale constituée en autorité administrative indépendante (AAI) non soumise à l’autorité hiérarchique de l’Etat, telle que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada),  permettrait de garantir l’impartialité des avis rendus.

Le processus en cours de modernisation du droit de l’environnement, animé par le sénateur socialiste Alain Richard, offre la possibilité de se saisir de ces propositions. Combinées, ces deux réformes démocratiques permettaient peut-être de prévenir les projets inutiles avant qu’ils ne soient construits, ainsi que les oppositions, parfois violentes, qu’ils suscitent.  

Réformer pour apaiser.

Sébastien Mabile, avocat spécialisé en droit de l’environnement, maitre de conférences à Sciences Po Paris.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.