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Billet de blog 16 juin 2024

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Ma première réunion de campagne

Hier, j’ai participé à ma première réunion de groupe pour la campagne des législatives de 2024. Je ne savais pas à quoi m’attendre, j’y suis allé la boule au ventre comme un matin de rentrée des classes. Je n’ai pas été déçu, ni surpris.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’idée de m’engager dans cette campagne m’est venue presque immédiatement dimanche quand à minuit j’ai appris la dissolution sur google news. À minuit et demi, je lisais l’appel de François Ruffin pour un nouveau front populaire ; à minuit trente cinq, je signais cet appel sur une page internet créée pour l’occasion. Enfin je renseignais mon nom et mon adresse email. Vers une heure du matin, j’étais sur le site de la France Insoumise pour essayer de voir où et comment je pouvais m’engager.

Pourquoi la France Insoumise ? Parce qu’à la création du parti, du mouvement à l’époque, j’avais déjà renseigné mon nom et mon adresse email sur un site tout aussi sommaire que celui du nouveau front populaire. Nous étions en 2016, je sortais de Nuit Debout, j’étais déçu de François Hollande, révulsé déjà par Manuel Valls, dégoûté du Parti Socialiste. Taubira, Montebourg, Duflot, Hamon, même s’ils avaient quitté le navire avant qu’il ne vire complètement à droite, étaient souillés par leur participation à cette mascarade de gauche et Macron était déjà Macron. J’étais en colère, à bout de force, épuisé par la création et l’exploitation d’une pièce de théâtre que je pensais engagée et nécessaire mais qui n’a jamais trouvé son public. J’avais écouté Stéphane Hessel et m’étais indigné jusqu’à plus soif. J’étais prêt pour le bruit et la fureur, pour le dégagisme, j’ai écouté Mélenchon et j’ai signé. Cela m’a pris une minute et ça m’a soulagé. Je n’ai pas participé à cette campagne mais j’ai manifesté, forcément, j’ai un peu partagé mon opinion sur les réseaux sociaux et puis quand j’ai eu l’impression de faire partie d’une meute, j’ai arrêté. Je me suis contenté de partager les mèmes sur Fillon – t’as toujours pas rendu l’argent, bâtard, on te voit !

Depuis je reçois avec une très grande régularité des mails que je n’ouvre plus. Je pense toujours que l’avenir en commun est un bon programme, notamment parce qu’il est plus ambitieux en matière d’écologie que celui des écologistes, je suis dans l’ensemble d’accord avec les prises de positions des députés insoumis et je trouve toujours que Mélenchon est un grand tribun, capable par moment de fulgurances intellectuelles et idéologiques sans égales chez le reste des responsables politiques de gauche comme de droite. Mais, certains aspects de la personnalité du leader insoumis m’agacent, ses défauts ne s’améliorent pas avec l’âge et je suis en désaccord avec certains des choix stratégiques du parti, mais comme je n’y milite pas et que je ne participais pas aux campagnes, je n’ai pas mon mot à dire.

Tout cela pour dire que dans la nuit de dimanche dernier, le Nouveau Front Populaire n’existant pas encore, la France Insoumise m’est apparue comme le seul moyen de commencer mon engagement. Je suis donc allé sur le site, j’ai cherché des “groupes d’actions” dans ma région et devant le peu de résultat, je suis retourné sur twitter. Lundi matin, j’ai rouvert le site des Insoumis, j’ai à nouveau cherché des groupes d’actions et j’en ai découvert un nouveau à une trentaine de kilomètres de chez moi. Je n’étais donc pas le seul, choqué par les événements de dimanche, à vouloir franchir le cap et m’engager plus avant. Je leur ai envoyé un message mardi, j’ai reçu une réponse mercredi. Tout choqué que nous sommes, l’inertie du confort de ne rien faire est difficile à dépasser.

J’ai ensuite été ajouté à un groupe whatsapp pour le groupe d’action en question, puis pour tous les Insoumis de la 3e circonscription d’Eure et Loir, la mienne, le futur théâtre des opérations. Entre parenthèses, j’ai découvert qu’il était beaucoup plus facile de trouver sur internet des célibataires coquins, des vidéos de chaton ou les résultats de la 19e saison de The Voice qu’une carte électorale détaillée. Mercredi soir, à la suite d’une erreur de manip, Micheline m’expulse avec la moitié des membres du groupe de la circo 3. Jeudi matin j’y suis à nouveau invité. Les premiers messages arrivent timidement, on se demande qui sera le candidat du Nouveau Front Populaire dans la circo, on spécule un peu, on partage un article de l’Écho Républicain qui n’en sait pas plus que nous mais qui est le journal de référence local. Je découvre au passage l’importance de la presse quotidienne régionale dans la ruralité, comme disent les encravatés de plateau pour désigner les bouseux, mes nouveaux voisins et camarades. Bref, Jeudi on ne sait rien mais on décide de se retrouver vendredi en fin de journée dans un bar de Nogent le Rotrou, le centre urbain de la circo, pour faire connaissance et parler stratégie.

Dans la journée de vendredi, les rumeurs se font plus insistantes. La circo serait donnée au Parti Socialiste, première déconvenue, et la candidate serait une entrepreneuse locale, candidate sans étiquette aux dernières élections. Chacun fait ses recherches sur internet, on découvre que la candidate en question a soutenu Valérie Pécresse en 2022, qu’elle a fait campagne pour Glucksmann pour les Européennes. Sur le groupe, on n’en est plus au stade de la déconvenue, on commence à parler de trahison de la part du “national”, c’est à dire les leaders du parti et les négociateurs qui depuis dimanche soir s’échinent à trouver un terrain d’entente pour sceller l’alliance des partis de gauche dans le Nouveau Front Populaire. De mon côté, je relativise. Je sais pour l’avoir lu chez des commentateurs de la vie politique en qui j’ai confiance, et parce que c’est logique et incontournable pour obtenir ce genre d’accord entre partis, qu’il faut faire des concessions, que chaque formation politique veut un maximum de circonscriptions “gagnables” et que donc il y aura des échanges, des manoeuvres et in fine des déçus. Tant pis, l’heure est trop grave, l’important c’est de faire l’union de la gauche, quoi qu’il en coûte, car c’est la seule façon de faire barrage à l’extrême droite et de se débarrasser des Macronistes. 

Je donne aussi le bénéfice du doute à la candidate putative. Je crois sincèrement que les gens peuvent évoluer politiquement. Mélenchon par exemple ne parlait peu d’écologie en 2012 alors qu’en 2017 c’était devenu un des axes principaux de son programme. Certains diront que c’est par opportunisme et par cynisme, je ne crois pas. Le monde change et avec lui les urgences et les priorités de l’action politique. Et les gens changent, c’est l’unique certitude des bouddhistes, ils vieillissent, ils prennent de l’expérience et même malgré eux ils entendent les experts et les scientifiques et leurs avis évoluent. Il n’est donc pas impossible que cette femme, qui n’a jamais été élue, qui semble, sur les quelques photos d’elle sur internet, relativement jeune, ait évolué politiquement et rejoint sincèrement les forces de gauche. Dans le premier texte que j’ai écrit depuis dimanche et que je ne publierai sûrement jamais, je m’interrogeais sur cette question philosophique : les gens peuvent-ils changer ? Et je concluais que si une réponse simple et définitive était impossible à donner, la réponse instinctive des gens de gauche devait être oui, les gens peuvent changer ; car on ne change pas une société sans changer les individus qui la composent. Il aurait donc été hypocrite de ma part de ne pas laisser une chance à cette femme.

Syndrôme de l’imposteur oblige, ou raisonnable retenue, je n’ai pas partagé mes réflexions sur le groupe. Je me suis contenté de lire les échanges entre militants qui visiblement se connaissent déjà et qui, pour certains, ont des contacts avec le fameux National. À cette heure, on ne sait toujours rien avec certitude mais on s’est déjà plaint au National. On en parlera à la réunion. J’ai une demi-heure de route, il est de toute façon temps pour moi de prendre ma voiture. J’avais prévu d’arriver avec 5 minutes de retard, d’abord parce que je ne connaissais pas le bar où nous avions rendez-vous et ensuite parce que je ne voulais pas être là le premier. J’arrive finalement avec un bon quart d’heure parisien de retard parce que j’ai galéré à me garer. Il va falloir que je le prenne en compte pour la suite, à la campagne on ne risque pas les embouteillages mais puisque tout le monde prend sa voiture et que personne ne pense à covoiturer, il est parfois difficile de trouver une place.

La rue est déserte mais devant le bar un homme, la cinquantaine, cheveux long, blouson en cuir et t-shirt noir défraichis fume en compagnie d’une femme du même âge. Ma longue expérience des manifs parisiennes a aiguisé mon radar à gaucho, je suis au bon endroit. Je les abordent, ils me disent que la réunion a lieu dans la salle du fond. Ils ont l’air de se connaître de longue date, ils étaient en pleine discussion et j’ai passé l’âge de fumer une cigarette pour me donner du courage donc je n’insiste pas, je rentre. Il est 17h15, le bar est encore pratiquement vide, je n’ai aucun mal à trouver ceux avec qui j’ai rendez-vous. Ils sont une bonne douzaine, assis autour d’une longue table. Ils étaient en plein tour de présentation, ils m’invitent à m'asseoir et à attendre mon tour. Les présentations reprennent. Le groupe est composé d’une grosse moitié de retraités, militants de longue date. Parmi eux, des Insoumis pur et dur, deux femmes du milieu associatif, droit au logement, accueil des réfugiés, éducation populaire et un ancien syndicaliste, membre du NPA, voix posée, moustache de Trotskiste impeccable, droit sur sa chaise, discipliné au sens dur du terme. Lui, il en a vu d'autres, il en a fait des réunions, des luttes et des campagnes, il ne lutte pas pour gagner, il lutte pour lutter, c’est sa vie. Je l’imagine avoir gardé des faux papiers et un vieux fusil au grenier, au cas où il faut prendre le maquis. Il me fait penser à mon grand-père si celui-ci n’avait pas voté à droite toute sa vie alors qu’il l’a passé à l’usine et dans une cité d’une banlieue communiste de Paris.

Aux côtés des retraités, un homme la quarantaine qui dirigera la réunion avec bienveillance, une femme d’une trentaine d’année et son fils de 5-6 ans et un mec trans de vingt ans à peine. Et donc moi et mes deux gauchistes fumeurs de gauloise. Je n’ai pas la mémoire des prénoms donc je n’en ai retenu que deux ou trois mais je ne les donnerai pas. Ces gens ne savent pas que j’écris ces lignes, ils ont droit à leur anonymat. De plus, certains d’entre eux craignent pour leur sécurité au cas où le pire advienne et où l’extrême droite arrive au pouvoir, notamment ceux qui s’engagent pour les réfugiés. C’est peut-être de la paranoïa mais je n’ai pas le droit de leur causer un souci de plus.

Le tour de table fini, la réunion commence vraiment. À l’ordre du jour : l’organisation d’une manif, dimanche, contre l’extrême droite et Macron et la stratégie de campagne pour les semaines suivantes. Le lieu et l’heure de la manif ont déjà été décidé, il n’y avait de toute façon pas beaucoup de possibilité, et le secrétaire de notre réunion, que nous n’avons pas élu mais qui était clairement le plus à même d’occuper cette position informelle, a déjà fait la demande auprès de la gendarmerie. Il n’y a donc plus grand chose à organiser mais nous nous demandons quand même si le mot d’ordre est le bon, s’il ne faudrait pas faire mention du Nouveau Front Populaire, même si les négociations entre partis n’ont pas encore complètement abouties, s’il est utile de tracter samedi au marché de Nogent, qui apparemment n’est fréquenté que par des parisiens en week end et qui ramènera banderoles, pancartes, tracts et mégaphones. 

Cela a l’air simple dit comme ça mais c’est sans compter sur les apartés et les digressions à propos de la fameuse candidate. Nous faisons tous partie de l’aile gauche de l’alliance en formation, voire extrême gauche pour ma figure grand-paternelle trotskiste, nous sommes donc tous déçus de ce choix du National mais nous ne l’exprimons pas tous de la même manière. La majorité est résignée : c’est le jeu de la politique, notre circo est à droite depuis plus de vingt ans, ils n’allaient pas y envoyer un gauchiste idéologiquement pur. Mais certains sont plus virulents, ils et elles sont vraiment en colère, au point de douter du bien fondé de l’union, de dénigrer le programme commun, qu’ils n’ont pas lu mais forcément trop Glucksmann compatible, et d’être tenté par l'abstentionnisme. Ceux-là n'en sont pas à leur première campagne, ils auraient espéré je crois être candidat la France Insoumise aux élections législatives de 2027 et ils ont fait la campagne des européennes. Or celle-ci a été particulièrement violente entre Manon Aubry et Raphaël Glucksmann et ce dernier est devenu l’incarnation du “soc-dem” qui comme Hollande trahira la gauche pour la bourgeoisie dès son arrivée au pouvoir. Pour eux, il est inconcevable de voter pour quelqu’un qui a soutenu Valérie Pécresse il y a deux ans, quelles que soient les consignes de parti ou l’urgence de la situation. Et ils le disent avec force, hargne même, qu’ils aient la parole ou non. L’atmosphère se tend, le débat devient impossible et l’ordre du jour se perd dans la bataille.

Heureusement, notre secrétaire reste calme et, puisque les nominations officielles n’ont pas encore été annoncées, nous n’allons pas jusqu’à nous engueuler sur des hypothèses. La réunion reprend et se termine assez rapidement, nous sommes tous d’accord pour dire qu’outre la manifestation de dimanche et les traditionnelles distributions de tract sur les marchés, il va falloir organiser des équipes de porte à porte. Ma nature introvertie est terrifiée à cette idée et pourtant je m’enthousiasme, je fourbis déjà mes arguments, j’imagine qui sera mon binôme, car le porte à porte ne se fait jamais seul par mesure de sécurité et d’efficacité, et je pense que, si quelqu’un l’avait proposé, j’aurais commencé le soir même.

Et puis certains doivent partir, la clientèle régulière du bar commence à arriver, la séance est levée. Nous nous éparpillons, qui pour fumer dans le patio, qui pour payer au comptoir, qui pour aider le gosse qui a réussi à s’enfermer dans les toilettes. Je rejoins notre secrétaire du jour, une dame plus âgée et le mec trans. Nous échangeons nos impressions et nos craintes sur les membres les plus virulents de notre petit groupe, nous parlons un peu de nous et puis nous nous séparons, non sans s’être donné rendez-vous dimanche. Il est 19h passé de quelques minutes, je reprends ma voiture avec le sentiment d’avoir passé ce premier test. Ça y est, je participe à une campagne.

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