Sebastien Novac

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 juillet 2024

Sebastien Novac

Abonné·e de Mediapart

On a gagné !!! On a gagné !! On a gagné ! On a… pas perdu ?

Ça y est, la campagne est finie, le peuple a voté, les dés sont jetés. Le peuple de gauche croit avoir gagné, je suis moins optimiste.

Sebastien Novac

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dimanche 7 Juillet. Je ne regarde plus les soirées électorales depuis longtemps, je ne regarde même pas les premiers résultats à 20h. Je l’ai déjà dit, les bonnes nouvelles seront toujours bonnes plus tard et j’apprécie de vivre le plus longtemps possible dans l’ignorance des mauvaises. Dimanche, je rentrais d’un mariage, j’ai conduit 3 heures avec la gueule de bois pour arriver à temps dans mon village et voter. À 20 minutes près, j’ai réussi. Je ne me le serais jamais pardonné si le candidat RN avait été élu. À 20h, je dînais avec ma compagne, des soucis de santé monopolisaient la conversation depuis mon retour. L’insécurité médicale éclipse toutes les autres. À 20h05, je reçois un texto de mon père : “OUF !”, c’est tout. Il me faut quelques secondes pour comprendre mais tout est dit, le RN n’a pas gagné, c’est l’essentiel. Tout en avalant les dernières bouchées de mon dîner, je regarde google news sur mon téléphone, le Nouveau Front Populaire est en tête, c’est inespéré. Je l’annonce à ma compagne. J’ai des milliers de raisons de l’aimer mais l’intensité de sa joie est une des principales, elle brille comme mille soleils, elle colore ma vie, elle guérit toutes les afflictions de mon âme. La pluie, le manque de sommeil et l’angoisse provoquée par cette campagne expresse plombait jusque-là mon moral, l’explosion de sa joie le bouleverse. “C’est pour ça que tu t’es engagé, tu as gagné” me dit-elle. Je sais que je n’ai été qu’un grain de sable, un gravier au mieux, que cette victoire est celle d’un collectif, d’un mouvement, d’un peuple mais, d’accord, pour ce soir, je le prends pour moi. J’en pleure de soulagement.

Je sors fumer une cigarette et j’en profite pour ouvrir twitter, regarder quelques analyses, profiter de la joie des comptes de gauche et obtenir des résultats plus précis. Dans notre circonscription, Harold Huwart, le maire de Nogent devance le candidat du RN d’un peu plus de 900 voix. Dès 18h, sur le groupe whatsapp de notre collectif, les camarades faisaient remonter les résultats de leur village respectif, les perspectives n’étaient pas bonnes, les esprits tendus, le défaitisme en embuscade. À 20h30 maintenant, la joie est perceptible, mais contenue malgré tout car notre circonscription a élu un représentant de la bourgeoisie libérale avatar de Macron au niveau local. Sur mon fil twitter en revanche, la jubilation est complète. La victoire a beau ne pas être totale, le RN a beau avoir doublé son nombre de députés, l’heure n’est pas à l’analyse ou à la modération. Tous sont à nouveau fier d’être français, tous se réjouissent de la victoire de telle ou telle figure de la gauche et de la défaite de l’extrême-droite, de Macron, des rares candidats nationalistes qui émergent de la fange et de la détresse de leurs militants qui, il y a une semaine, croyaient la victoire acquise. Je n’aime pas particulièrement me réjouir du malheur des autres mais, le temps d’une cigarette, je m’accorde ce plaisir coupable.

Le lendemain, les résultats sont plus précis, on ne parle plus d’estimations, c’est confirmé, l’extrême-droite a été vaincue et le Nouveau Front Populaire semble être le vainqueur de cette élection. Pendant la journée, je m’autorise à me reposer. Une angoisse diffuse continue à m’étreindre mais je mets ça sur le dos du contre coup, on n’efface pas aussi rapidement quatre semaines de campagne. Le soir, je me rends à Nogent pour retrouver les membres de notre collectif. Le rendez-vous avait été donné pendant le weekend, quelques soient les résultats nous savions que nous aurions besoin de nous voir. Quand j’arrive, en retard comme d’habitude, il y a déjà une quinzaine de personnes assises dans l’herbe. La réunion n’a pas encore formellement commencé, les gens discutent avec leurs voisins, picorent dans les paquets de chips que quelqu’un a amenés. Je lance un salut général et, avec un enthousiasme un peu forcé, “ça va mieux que lundi dernier hein ?” Les réactions manquent d’engouement, les visages sont certes moins fermés que la semaine dernière mais la joie n’est pas là. Je mets ça sur la victoire d’Huwart dans notre circo, qui bénéficie maintenant de plusieurs milliers de voix d’avance sur son concurrent.

D’autres camarades arrivent, nous serons près d’une trentaine au total. Le secrétaire tacite de notre collectif, qui est rentré de tournée, lance officiellement la réunion, les tours de parole s’enchaînent. Si tout le monde est soulagé du résultat de l’élection, celui-ci est finalement assez peu commenté, l’émotion est grande mais les cœurs ne sont pas légers. Beaucoup parlent avec la voix qui flanche de leur expérience de la campagne, d’un proche, d’un parent ou d’un ancien collègue qu’ils n’ont pas réussi à convaincre et qu’ils sont en train de perdre aux mains du parti de la haine. Tous s’inquiètent de la suite, des prochaines élections, de la prochaine campagne, de ce qu’il est possible de faire, de ce qui semble impossible. Des idées sont lancées, débattues, acceptées parfois mais tout est encore très flou. Nous ne sommes pas en ordre de bataille, nous sommes des partisans qui ont vu la ligne de front tenir tout en se fracturant.

Sur la route du retour, après plus de deux heures de débat, je me sens combatif mais l’angoisse qui ne m’a pas quitté de la journée a fait son trou. Une part de moi sait que tout n’est pas perdu, que les énergies libérées par l’imminence du désastre ne disparaîtront pas mais je sens aussi que le travail nécessaire pour les canaliser est gigantesque et que la part que je crains de devoir prendre, si je veux continuer à m’engager dans cette circo, risque d’être au-delà de mes forces.

Mardi je suis à Paris. Je retrouve l’étudiant en socio qui nous a accompagnés pendant la campagne dans un café du 6e arrondissement. Il a décidé de faire son mémoire sur notre circo et ses particularités, il a déjà réalisé des entretiens avec Huwart et avec d’autres militants, il veut en faire avec moi. Pendant que nous parlons, je ne peux m’empêcher d’entendre un homme derrière moi qui enchaîne les coups de téléphone à ce que j’imagine être des personnalités politiques. Soyons franc, j’ai l’impression d’être dans un épisode de Baron Noir. Alors que l’entretien est fini et que l’étudiant en socio et moi faisons de la politique-fiction sur l’avenir de Huwart, de Macron et du Nouveau Front Populaire, l’homme se lève et se dirige vers la sortie. Il nous dépasse puis s’arrête et revient sur ses pas pour nous questionner. “Je vous ai entendu parler politique, vous travaillez pour un parti ?” Nous lui répondons que nous ne sommes que de simples militants, il nous explique qu’il est rangé des voitures mais qu’il a été proche des cadres d’un parti centriste dont j’ai oublié le nom. Nous reprenons la politique-fiction avec lui. Inutile de le cacher, je trouve la discussion excitante, j’aime analyser ce genre de situation, j’aime faire de la stratégie, j’aime faire des plans sur la comète. Je comprends l’attrait du cirque politique, l'effervescence, l’exaltation, la fièvre des jeux de pouvoir et d’influence. Et, en écrivant ces lignes, je comprends que pour moi, comme pour beaucoup je suppose, tout cela n’est pas motivé par l’ambition ou la mégalomanie mais par le besoin névrotique d’avoir l’impression de pouvoir peser sur les choses, d’avoir un semblant de contrôle sur la furie anarchique de la marche de l’histoire.

Mercredi, je découvre la lettre d’Emmanuel Macron. Je suis tellement habitué au fait que la prose présidentielle ne soit qu’un amas d’idées creuses rédigées dans une sorte de novlangue de bois dépolitisée qu’au premier abord je ne réagit pas. Je n’y vois qu’une déclaration de mauvais perdant qui tante désespérement de garder la face alors que tout se désagrège autour de lui. Et puis, parce que je ne trouve rien de mieux à faire, je vais sur twitter, je lis quelques réactions outrées, d’autres convenues et certaines à la limite de la grandiloquence. La gauche crie au vol de démocratie. Comment ça il n’y a pas de vainqueur ? Bien sûr qu’il y a un vainqueur c’est le Nouveau Front Populaire, c’est le peuple, c’est l’humanité, c’est nous. Comment ose-t-il ce Trump de soap opéra, ce Bonaparte de pacotille, ce banquier egomaniaque à perruque ? Mais petit à petit, je vois une autre tendance se dégager en provenance de la droite au sens large. Il faut faire front contre LFI, le front républicain s’arrête à la veste verte de Marine Tondelier, il faut être responsable, pragmatique, raisonnable, libéral. Il faut rassurer les marchés, le peuple ne comprend pas, le peuple nous a élu. Il n’y a pas d’alternatives.

Et tout d’un coup je comprends, la vérité me frappe et me plonge dans des abîmes de désespoir : il n’y aura pas de premier ministre Front Populaire, il n’y aura pas de gouvernement Front Populaire, le seul gagnant de cette élection c’est le néo-libéralisme dont les forces ne sont jamais vraiment divisées. Le NFP ne pourra pas former de coalition de gouvernement, son programme est mutuellement exclusif à ceux des autres partis. Cependant, les promesses des Macronistes et des Républicains ne sont que des artifices jetés en l’air pour le cirque des élections, leurs idéologies sont en réalité parfaitement alignées et leurs oppositions de pure forme. Mis au pied du mur de la formation d’un gouvernement, ils trouveront un accord, les vizirs obtiendront un marchepied qui leur permettra d’être sur la ligne de départ quand il faudra remplacer le calife et, in fine, le capital l’aura emporté, encore.

Nous n’avons pas gagné, nous n’avons fait qu’empêcher l’extrême-droite de prendre le pouvoir. Pour le moment.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.