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Billet de blog 17 juin 2024

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Le premier jour où il ne se passe rien.

Hier je n’ai rien fait pour la campagne. La candidate problématique a été retoquée par le National du Parti Socialiste, chaque parti ayant le sien évidemment. Le candidat définitif de notre circonscription n’a pas été officiellement désigné. Il n'y avait rien à faire, nous sommes dans les limbes de la politique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Hier j’ai vu des amis. L’un habite à Paris, l’autre du côté d’Orléans, il est devenu difficile de nous voir en vrai. Nous avions fixé ce rendez-vous avant, pendant la campagne des Européennes, à l’époque où tout n’allait pas bien mais où le précipice semblait encore loin. J’aurais pu aller à Chartres ou retourner à Paris pour manifester mais j’ai préféré prendre soin de moi. Je sais que cette campagne va être dure, je sens déjà les effets du stress et de l’angoisse sur mon corps, il faut que je me ménage des espaces de repos et de décompression. Et puis je pense avoir déjà bien établi que j’ai fait mon lot de manifestations. L’heure n’est plus à se donner bonne conscience en buvant une bière au milieu d’un cortège, l’heure est au combat local. Et avant un combat, il faut savoir se préparer.

Comme je n’ai donc rien à raconter sur la campagne à proprement parler, j’ai décidé de faire le point. Pour se préparer, il faut connaître ses forces et ses faiblesses. Qu’est ce que j’ai à apporter à cette campagne ?

Du temps d’abord. Je suis intermittent du spectacle, il se trouve que j’ai “fait mes heures” pour cette année, j’ai suffisamment de cachets pour pouvoir renouveler mon statut en Septembre - s’il existe encore - je peux donc me permettre de ne pas travailler ces deux prochaines semaines. Je pourrais cravacher pour améliorer mon taux journalier mais je n’ai pas de gros besoins, ça ne servirait pas à grand chose, je ne fais pas ce métier pour l’argent.

Ma personnalité ensuite. Étant comédien, je parle bien et je sais le faire devant un public, ça peut servir. J’ai du charisme, paraît-il. Je trouve ça prétentieux de l’affirmer comme ça mais on me l’a suffisamment dit pour que je le crois. Et j’ai eu l’occasion dans ma vie de le vérifier et de l’utiliser. Au lycée, j’étais délégué de classe, délégué à la vie étudiante, j’ai organisé des manifs et des soirées. Étudiant, j’ai géré l’équipe d’un bar associatif, j’ai joué le jeu de la popularité et j’ai été l’attraction des soirées. Jeune acteur, j’ai dirigé une troupe et j’ai organisé des manifs encore. Je suis grand, très brun, bien foutu, charmant le plus souvent. Dans une pièce, on me voit, je le sais ; dans un groupe, on me suit, si je m’en donne la peine. Sauf que…  Je suis introverti, les situations sociales m’épuisent et j’ai peur du jugement des autres. Je suis émotif, au point d’être submergé par l’angoisse, la tristesse et la colère parfois. Et je suis feignant, très feignant, je laisse vite tomber si je sens que le jeu est trop fatiguant pour en valoir la chandelle. J’aime être seul, lire, jouer, regarder des films et des séries, tout ce qui ne me demande pas beaucoup d’énergie. C’est principalement la flemme qui m’a empêché de m’engager par le passé, je crains que ça soit à nouveau la flemme qui me fasse abandonner demain.

Mon esprit enfin. Je suis intelligent, je sais que c’est encore prétentieux mais c’est le cas, de cela je ne doute pas. Je pense vite, j’ai une bonne mémoire (sauf pour les prénoms) et je suis cultivé. J’ai fait Math Sup’/Math Spé et une école d’ingénieur, je lis énormément, j’anime un podcast sur l’histoire. J’aime apprendre, j’aime comprendre, j’aime calculer et analyser et j’aime transmettre. Mais… À trop analyser avant d’agir, il arrive que je n’agisse plus. Je me perds dans les détails, dans les scénarios possibles, dans mes pensées et les incertitudes qu’elles provoquent. Je vois trop clairement les conséquences d’un raisonnement, les obstacles et les embûches, les culs de sac et les abîmes. Cela me rend pessimiste, défaitiste, aquoiboniste. Je sais que c’est le plus grand risque pour moi dans cette campagne. 

Et puis je suis rêveur, je fantasme. Devant un talk show, je m’imagine répondre à la place de la vedette ou de l’écrivain. Au milieu de l’écriture d’un texte, j’imagine la lettre enthousiaste d’un éditeur. C’est devant une pièce de théâtre amateur, en m’imaginant mieux dire les répliques que les comédiens que j’ai choisi de faire ce métier. Quand j’étais célibataire, sur les sites de rencontre, je me contentais d’imaginer à partir de quelques photos, une nuit d’amour, une aventure ou une vie à deux, mais je n’ai jamais fait le premier pas. Mes rêves sont si intenses et détaillés qu’ils se substituent parfois à la réalité. À quoi bon draguer cette fille puisque j’ai déjà rêvé toute notre histoire ? Pourquoi m’échiner à écrire ou à devenir célèbre alors que j’ai déjà reçu en rêve toutes les éloges, les prix et les récompenses ? Pourquoi continuer à débattre vu que dans mes fantasmes j’ai déjà le dernier mot ?

Ce n’est ni une qualité, ni un défaut pour la campagne qui nous occupe mais je sens que cela pourrait devenir un obstacle. Vendredi, à la réunion, je me suis imaginé secrétaire à la place du secrétaire, pas par ambition personnelle, je n’ai pas l’esprit de compétition, mais parce que je m’ennuyais. J’en ai raté une partie des débats. Depuis hier, puisque les hypothèses et les pronostiques ont repris quant à l’identité de notre candidat sur le groupe whatsapp de la circo, je m’imagine parfois être ce candidat, je dérive, je divague, au point de me demander pourquoi mon téléphone n’a pas encore sonné, pourquoi mon nom n’est pas encore annoncé. Mais parce que personne ne t’attend, mon vieux ! Personne te connaît, tu es allé à une réunion et tu as sorti trois remarques vaguement pertinentes, ça suffit pas. Tu n’es même pas du bon parti. Réveille toi !

Ok, je suis là, je ne rêve plus. On n’est ni dans Baron Noir, ni dans House of Cards, laissons les coups de billard à trois bandes à Macron, nous on est dans le réel. Alors, de quoi a-t-on besoin pour faire campagne dans le réel, au niveau local ? En pratique je ne sais pas puisque c’est ma première campagne, mais puisque je me targue d’être intelligent, je peux y réfléchir.

De quoi a-t-on besoin ? 

De convictions ! 

Oui, certes, c’est une condition sine qua non j’ai envi de dire, mais je ne suis pas un jedi. Il ne me suffit pas d’avoir la foi et de faire des gestes de la main pour que soudainement les vieux racistes du coin ouvrent les yeux et abandonnent les bâtons de la mort.

Alors de quoi a-t-on vraiment besoin ?

De contacts dans la population d’abord. Chez les influenceurs locaux, les influenceurs 1.0, le facteur, la boulangère, la directrice d’école, les responsables d’association locale, le club de bridge, le club de foot, l’amical des pêcheurs, des chasseurs, des glaneurs... Bon. À part le facteur que je tutoie, de ce côté je n’ai pas grand chose à offrir. Cela ne fait que deux ans que j’habite la région et mes loisirs sont plutôt solitaires. Dans les faits, je ne connais pas grand monde ici.

De matériel ensuite. Cela peut paraître anachronique à l’heure des QR codes, du paiement sans contact et des factures dématérialisées mais pour une campagne, comme pour le festival d’Avignon, il faut des tracts et des affiches. Ils permettent d’engager la discussion mais surtout de laisser une preuve physique de cette discussion, un rappel soigneusement plié dans un sac à main ou rouler en boule au fond d’une poche. Notre cible, ce n’est pas le militant de l’autre bord, c’est l’indécis, le profane, le suiveur, celui qui ne vote pas ou qui vote mal par atavisme, par ignorance ou par feignantise. Et celui-là, il aura besoin d’un rappel constant de nos arguments, de nos promesses, de notre existence même. De façon consciente, quand il retrouvera notre tract en rangeant ses affaires, ou inconsciente, quand il verra notre affiche ou nos couleurs sur le bord d’une route, au coin de sa rue ou en face de son boulot. Et donc pour les tracts et les affiches, il faut : des imprimantes, des massicots, des pinceaux à colle et de la colle… Bon. J’ai pas. Enfin si j’ai bien une imprimante mais je serre les fesses à chaque fois que je lui demande d’imprimer deux pages de texte de peur qu’elle ne tombe en morceaux. Et même du temps de sa folle jeunesse, je doute qu’elle aurait été capable d’imprimer ne serait-ce qu’une centaine de tracts.

D’argent enfin. C’est le nerf de la guerre, même quand on est anticapitaliste. Je ne suis pas le seul à ne pas posséder d’imprimantes industrielles capables de sortir 1000 affiches au format A2 à la minute et, à ce que je sache, la colle ne pousse pas sur les arbres. Les tracts, la colle et les affiches, il va falloir les payer. Le National nous aidera sûrement un peu s’il pense que notre circo est gagnable mais je ne me fais pas d’illusion, il va falloir mettre la main à la poche. Ok, je peux le faire, un peu, au pire je me priverai au mois de juillet, je mangerai des pâtes. Ah non merde, je mange déjà que ça. Tans pis, je trouverai.

De temps. Pour le porte à porte, pour tracter sur les marchés, pour coller des affiches, pour discuter avec les camarades et les indécis, pour convaincre. Ça j’en ai et je suis prêt à le donner. Demain j’irai au rassemblement. Après-demain, j’irai à ma deuxième réunion et les jours suivants encore, je battrai la campagne, je ne compterai pas mes heures (et pour un intermittent c’est un comble). Avoir le temps, c’est ma richesse, or je ne suis pas un hypocrite, je vis ma vie en accord avec mes idéaux : ma richesse, je la partage !

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