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Billet de blog 18 juin 2024

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La première déconvenue.

Hier, je suis allé au rassemblement que nous avions préparé à la réunion de vendredi. Malgré la pluie, les gens sont venus, dans l’ensemble c’était une réussite. Mais le national est venu gâcher la fête et les dures lois de la politique politicienne doucher notre enthousiasme. Récit.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Hier, dimanche 16 juin 2024, une semaine après l’annonce de la dissolution, était la date limite des dépôts de candidature, à 18h très exactement. Cela peut paraître arbitraire mais il faut bien une date limite et les employés de la préfecture ont bien le droit à un dimanche soir en famille. C’est Macron le responsable de tout ça, c’est lui qui a dégoupillé la grenade, c’est lui qui a décidé d’utiliser le délai le plus court accordé par la constitution pour l’organisation de cette élection. Je pense, comme Clément Viktorovitch entre autres, que c’est un déni de démocratie et une énième manœuvre du Machiavel d’école de commerce de l’Élysée pour conserver un pouvoir qu’il sait ne pas mérité de la volonté du peuple. Mais ce sont les règles de la république et, malgré ce que peuvent en dire les hérauts du Macronisme et de la bourgeoisie sur les plateaux télés, je fais partie d’un mouvement républicain qui accepte donc ces règles.

Samedi matin, nous avions eu confirmation que la candidate qui avait mis le feu aux poudres du débat lors de la réunion de vendredi était définitivement hors-jeu. En coulisse, certains des militants les plus connectés ont continué à interroger le national, les sections locales des autres partis du Nouveau Front Populaire et le marc de café pour obtenir un nouveau nom, mais comme je l’ai déjà dit, pour moi, samedi, il ne s’est rien passé.

Et puis dimanche matin, sur le fil whatsapp qui est devenu mon principal lien avec la campagne, les débats ont repris. Plusieurs noms sont lancés, tous relativement crédibles mais tous issus du Parti Socialiste ou, pire, de ses alliés encore plus centristes. Aucun bien sûr ne satisfait les militants insoumis purs et durs qui flirtent avec la tentation de l’abstention.

À la mi-journée, les choses se précisent, le candidat investi par le Nouveau Front Populaire serait Harold Huwart, maire de Nogent le Rotrou. Personnellement je ne le connais pas encore mais sur le fil c’est l’embrasement. Quelqu’un partage quelques éléments biographiques de celui qu’il appelle Huwart III. Je n’ai pas de raisons de douter de mon camarade mais son ton est particulièrement virulent et je pense y détecter un soupçon de mauvaise foi. Je vais donc faire mes propres recherches. Ça tombe bien, je sais y faire, cela fait 4 ans que je fais des recherches sur internet pour le podcast historique que j’anime, google est mon ami.

Harold Huwart donc, 42 ans, fils du précédent maire de Nogent le Rotrou, petit-fils d’un ancien maire de Nogent le Rotrou. Ok, on a bien affaire à un héritier dynastique (comme le Rotrou qui a donné son nom à la ville soit dit en passant, son histoire est amusante, je vous la conseille). J’essaie de positiver, il ne faut pas essentialiser, les héritiers peuvent s’émanciper de leurs aînés, cela doit arriver, parfois, je suppose. Bref, continuons, il a fait Normal Supérieur, comme son père. C’est pas mal ça, j’ai connu des Normaliens, en général ce sont des gens brillants, avec un peu de chance il aura l’intelligence de ne pas être dogmatique. Tiens, il est dans quel parti d’ailleurs l’héritier ? Le Parti Radical, comme son père et son grand-père. On peut peut-être bosser avec ça, le Parti Radical, c’est Louis Blanc, Gambetta, Clémenceau. Parce que j’étudie l’histoire je sais qu’ils ont des casseroles mais quand même, ils sont plutôt du bon côté. Après, au 21e siècle, le Parti Radical c’est Christiane Taubira, Jean Louis Borloo et Jean Michel Baylet, ça fait moins rêver. Taubira à la limite je l’aime bien, elle a le verbe haut et elle a fait légalisé le mariage gay mais côté lutte des classes, elle a des lacunes. Bon, c’est pas grave, dans une coalition de partis de gauche, il faut bien qu’il y en ait qui flirte avec le centre. L’union d’abord, on reprendra les débats idéologiques après l’élection.

Et puis il faut juger un homme sur ces actions alors qu’est ce qu’il a fait à la mairie de Nogent ce monsieur Huwart ? Direction le site de l’écho républicain, jusqu’à aujourd’hui, Nogent le Rotrou n’intéressait pas la presse nationale. Et donc : depuis qu’il est maire, il a rendu les transports en public gratuits, il a fait rénover un quartier prioritaire et il s’est battu pour l’accès au soin en sauvant le financement de l'hôpital et en ouvrant des maisons de soin. Ah bah c’est bien ça, c’est de gauche, ça me ragaillardi un peu.

Sur le fil whatsapp, j’essaie de rester positif. Bien sûr qu’il y aura toujours des choses à redire quel que soit le candidat investi par le PS, puisque c’est à lui qu’a été donnée la circo, mais nous faisons partie d’une coalition, c’est le jeu. Dans l’Aude, des militants PS vont devoir faire campagne pour Philippe Poutou et dans le Nord des féministes sont appelées à soutenir Quatennens, je suppose qu’ils doivent aussi l’avoir mauvaise. Et surtout, l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, ça peut se jouer à un siège ! Donc on ne tremble pas sur nos appuis et on reste motivé.

Mais je me sens un peu seul sur cette position. En face, quelqu'un a retrouvé sur facebook une vidéo de Huwart appelant à voter Macron au deuxième tour de l’élection de 2022. En soit, cela n’a rien d’étonnant mais je crois que c’est le ton qui ne passe pas : en costume bleu droite, notre possible futur candidat n’a pas l’air d’avoir besoin de se forcer pour soutenir Macron. Son message est consensuel, centriste, bourgeois quoi. Ça ne passe pas, les braises du débat rougeoient, la colère vire à l’aigreur, il n’y a plus grand monde pour positiver. 

Et en début d’après-midi, c’est le coup de grâce - le premier de la journée - dans un encart, l'Écho Républicain annonce que Harold Huwart apporte son soutien au candidat Macroniste de la circonscription de Châteaudun contre le candidat du RN et celui du NFP. Même pour moi c’est plié, on ne peut pas soutenir un candidat Macroniste dans la circo d’à côté et être le candidat du Front Populaire dans la nôtre. Je veux bien que l’accord de partis nous oblige à quelques numéros de contorsionniste mais il ne faut pas déconner. Cela dit, ça conclut le débat sur le fil, on attend à nouveau des nouvelles du national et le candidat officiel du NFP.

À la réunion de vendredi, il avait été demandé à ceux qui le peuvent de venir à 17h30 à Nogent pour organiser le rassemblement prévu à 18h. Il était notamment question de mettre en place un service d’ordre au cas où quelques excités tendances nationalistes viennent nous chercher des noises. Je ne sais absolument pas me battre mais je fais 1m85 et j’ai ce qu’on peut appeler une resting bitch face, c'est-à-dire en français et adapté à mon cas particulier, une gueule de bagnard, au repos. Même si personne ne l’a explicitement dit, j’ai pris cet appel pour moi et je me pointe donc à Nogent un peu avant 17h30 (j’ai retenu la leçon des places de parking). À mon arrivée, je comprends tout de suite que la pluie, légère mais persistante, remplacera avantageusement notre service d’ordre. Dans les rues de Nogent, il n’y a pas un chat. Au lieu de rendez-vous, je retrouve des têtes connues, les militants insoumis de la réunion de vendredi et je découvre avec plaisir que les débats houleux de la réunion n’ont laissé aucune animosité entre nous.

De toute façon, il y a plus important. Pendant que je conduisais sur les routes du Perche, il y a eu du nouveau : la candidate investie par le parti présidentielle vient d’annoncer qu’elle retirait sa candidature car, je cite, “il y a un autre candidat plus pertinent que moi.” D’accord, c’est une nouvelle, elle pourrait être bonne si on connaissait le nom du candidat en question, mais on a beau chercher, on ne trouve rien. On apprend aussi le nom du candidat du RN : Christophe Bay. Ça ne me dit rien, je dégaine donc aussitôt mon téléphone et wikipedia. Christophe Bay, énarque, ancien préfet, directeur de campagne de Marine Le Pen en 2022, accusé d’abus de pouvoir, d’abus de bien de sociaux, de harcélement sexuel et de viol. Une vraie saloperie, mais un ténor du parti, et surtout un type qui connaît les rouages de l'État et qui a ses entrées dans la police et la gendarmerie. En cas de victoire de l’extrême-droite le 7 juillet, c’est ce genre de mecs qui organisera la répression et le démantèlement de l’état de droit. Ce n’est pas un militant de base catapulté candidat parce qu’ils ont rien trouvé de mieux, c’est un vrai fasciste convaincu parachuté dans notre circo parce qu’elle est gagnable. Ça me glace le sang.

Parmi les gens présents sur place à cette heure là et ceux qui arrivent au compte goutte, certains ont des infos. Huwart serait effectivement candidat avec, pense-t-on, l’aval du Parti Socialiste et donc du Nouveau Front Populaire. Avec le désistement de la Macroniste, il serait donc le seul candidat sérieux pour la gauche. Il reste bien un candidat Lutte Ouvrière mais ce parti n’a pas rejoint le Nouveau Front Populaire et bon, j’aime bien les Trotskystes mais je ne me fais pas d’illusion sur leurs chances de rassembler au-delà du NPA. Certains regrettent de ne pas avoir poser une candidature LFI dissidente pendant qu’il était encore temps. Ils l’avaient préparée, ils avaient un candidat et un suppléant, rempli le dossier et trouvé un mandataire financier. Ils se sont retenus de peur de s’attirer les foudres du national et de semer la zizanie au sein du Nouveau Front Populaire. Alors qu’il ne reste plus que 10 minutes avant l’heure fatidique, ils commencent à s’en mordre les doigts.

À six heures moins cinq, le couperet tombe. C’est confirmé : Harold Huwart se présente dans notre circonscription au nom d’un front républicain qui va de Horizon au NFP, sans l’investiture du Parti Socialiste et avec le soutien tacite de Macron qui a fait se retirer sa candidate une heure plus tôt. Dans les faits, le Nouveau Front Populaire n’aura donc pas de candidat. Le coup de grâce, encore.

Le mot d’ordre de notre rassemblement était “Ni RN, ni Macron” et, alors que le gros des manifestants arrive sur la place, nous nous retrouvons avec la perspective de devoir voter pour un candidat Macron-adjacent, Macron-compatible, Macron-propulsé. Le choc est rude, nous sommes KO debout, au bord de l'hébétude. La nouvelle se répand et, avec elle, l’abattement et le dégoût.

Heureusement, une fanfare locale a fait le déplacement et commence à jouer des chants révolutionnaires ou anti-fascistes, El pueblo unido jamás será vencido, Bella Ciao, Bella Ciao, Bella Ciao Ciao Ciao... Le syndicaliste moustachu qui m’a tant touché vendredi est là avec ce que je suppose être ses camarades et anciens collègues, et ils chantent tous à tue-tête avec un enthousiasme communicatif. Qui a dit que les Trotskystes ne savaient pas faire la fête ? Et puis la manif retrouve son aspect social, on se salue, on se retrouve, on parle de la pluie et du jardin, on prend des nouvelles du parent, du voisin ou du petit dernier. Beaucoup d’ailleurs sont venus en famille, avec leurs enfants et leur chien. Derrière moi, une femme donne le sein à son nourrisson malgré la pluie. Dans un coin, les ados se regroupent et font des trucs d’ado. Au centre, des femmes plus âgées lancent une ronde au son de Bella Ciao. Moi je ne connais personne vraiment, alors je reste en retrait et j’observe. Les visages et les mains burinés des anciens et de ceux que le travail abîme, ouvriers, artisans ou paysans ; les mines joyeuses, angoissées ou déterminées ; les dégaines recherchées, classiques ou excentriques. Il va sans dire que mon radar à gauchos s’affole, j’ai trouvé ma tribu, il n’y a pas de doute. J’espère que j’aurais l’occasion de les revoir dans d’autres circonstances et d’apprendre à les connaître.

Le secrétaire de notre réunion de vendredi prend le micro. J’ai appris qu’il était une sorte de célébrité locale dans le monde de la culture et qu’il a coordonné le mouvement contre la réforme des retraites l’année dernière, il est sociable, bienveillant, centré. Sa position au sein du mouvement est naturelle, évidente et incontestée. Il avait préparé un texte qui a perdu de sa pertinence à cause du micmac des candidatures et de ce que cela implique pour la campagne. Il en lit quand même quelques parties tout en expliquant brièvement la situation, puis il fait tourner le micro entre les représentants des différentes organisations présentes : la CGT, la Confédération paysanne, ATD quart monde etc.. J’en oublie. Certains de ces gens n’ont clairement pas l’habitude de parler dans un micro et en public. Ils n’en restent pas moins touchants et sincères mais je n’étais pas très attentif. Une jeune femme à peine majeure prend aussi le micro pour lire le message de Squeezie à propos des élections. Même si la moyenne d’âge tourne probablement autour de 60 ans, cela me remonte un peu le moral. Les jeunes aussi s’impliquent et, avec ses 16 millions d’abonnés, Squeezie fera peut-être la différence. Squeezie faiseur de roi, c’est absurde mais on en est là.

Vers 19h, la fanfare a épuisé deux fois son répertoire, les gens commencent à s’éparpiller. Lundi matin, les enfants retourneront à l’école et les adultes au boulot. Je vais m’assurer du lieu et de l’horaire du prochain rendez-vous auprès de l’animateur désigné de notre petit raout, avec l’intention cachée d’imprimer ma présence, ma disponibilité et ma volonté. Ce soir j’ai été spectateur plus qu’autre chose mais je ne veux pas être laissé sur le bord de la route, dans les deux semaines qui viennent je veux agir !

Et puis, il est aussi temps pour moi de la reprendre, la route. En chemin, je fais le point : la politique est venue nous frapper en plein cœur, ça va être dur de s’en relever, mais ce soir nous étions plus de 200, c’est plus qu’attendu, plus que ce que j’imaginais. Je dois garder confiance, on a perdu une bataille dans laquelle nous n’avons même pas pu nous battre, mais la guerre vient seulement de commencer. On pleurera plus tard, demain on continue le combat.

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