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Billet de blog 8 janvier 2015

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Après l'attentat, le risque de la musulmanophobie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je n'ai jamais été un fan de « Charlie Hebdo », trop anti-religion à mon goût, et jetant parfois inutilement de l'huile sur le feu, à mon avis, notamment au moment des caricatures de Mahomet, même si je ne voyais pas au nom de quoi on pouvait empêcher quelqu'un(e) de dessiner le Prophète si ce n'est pas contraire à sa propre foi. Je n'ai jamais été un fan de « Charlie Hebdo », donc, mais, aujourd'hui, comme tout républicain attaché à la liberté d'expression, je suis charlie. Un tel attentat n'a aucune justification possible, et la réaction des journalistes (comme lors de l'excellente émission de Mediapart hier), les rassemblements sur les places hier et aujourd'hui, les lieux de travail à midi, ou encore la marche silencieuse d'union nationale de dimanche, rassemblant politiques, syndicats et associations de tous bords politiques (républicains) sont une réponse adéquate. 

L'islamisme radical, et son volet terroriste, fasciste, sont un fléau contre lequel il faut lutter. Mais c'est un fléau qui naît, entre autres, des inégalités sociales, de la frustration, du manque de perspective, des laissés-pour-compte de notre société à plusieurs vitesses, pas uniquement économiquement, mais également médiatiquement, politiquement, dans le manque de représentativité de nos élites. 

Mais un autre facteur entre en jeu, qui attise la frustration, et favorise l'islamisme radical et le terrorisme : l'islamophobie, ou plutôt la musulmanophobie, terme qui me semble plus approprié. Ces attentats adviennent à un moment assez malsain, un mauvais climat. Le très médiatique Zemmour reprend la thèse du déclin de l'Occident et du « grand remplacement ». Houellebecq sort son livre (dont je ne parlerai pas, ne l'ayant pas lu – j'ai beaucoup apprécié plusieurs de ses romans, moins ses propos sur l'islam) et le brouhaha médiatique tout autour perpétue ce mauvais climat. Une ancienne ministre tweete à tout va dès qu'elle croise des femmes trop voilées à son goût. Et, au nom de la laïcité (on devrait plutôt dire laïcardise), on veut interdire aux femmes voilées d'accompagner des enfants lors de sorties scolaires (préférant ainsi les exclure de notre société, ou les soustraire à notre regard comme le sein d'Elvire – « cachez-moi donc ce voile que je ne saurais voir »). Je ne dis pas que toutes ces manifestations relèvent de la musulmanophobie, mais, en stigmatisant toujours la même population, elles contribuent à ce mauvais climat qui en font le terreau. Je ne dis pas que la musulmanophobie est la seule cause de l'islamisme radical et du terrorisme, loin de là, mais elle participe à leur établissement. Et son regain sera malheureusement la conséquence de l'attentat (on a déjà tiré sur des mosquées aujourd'hui). Cercle vicieux.

La musulmanophobie a son parti-étendard. Un parti qui, preuve du mauvais climat, est sorti en tête des élections européennes, même si d'autres facteurs ont induit son succès. Enfant de l'OAS et des nostalgiques de l'Algérie française, le Front National s'est construit sur le rejet des musulmans. Il a déjà commencé aujourd'hui son travail de récupération de l'attentat contre « Charlie Hebdo » pour perpétuer le climat de peur dont il s'abreuve.

Pour luter contre le terrorisme, contre cet attentat envers la liberté de la presse et la liberté d'expression, il faut que les citoyens fassent bloc. La marche silencieuse d'union nationale de dimanche est une bonne réaction. Mais pour lutter contre le terrorisme, il faut lutter contre ce qui le nourrit. Contre les inégalités, la frustration, le manque de perspective, de représentativité de nos élites. Et contre le communautarisme, contre la stigmatisation, contre la musulmanophobie. En ce sens, puisqu'il en est le principal étendard, parce qu'il veut apporter aux attentats la réponse la plus mauvaise qui soit, le Front national n'a pas sa place dans cette union nationale républicaine qui défilera dimanche. Point de diabolisation ici, juste de la cohérence. Qu'ils manifestent ailleurs, ils en ont parfaitement le droit. La liberté d'expression vaut également pour les idées qu'on déteste. Mais qu'on ne confonde pas la marche contre le terrorisme avec celle de la musulmanophobie.

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