Je sais le sujet clivant, et d’ailleurs je peine à comprendre pourquoi il soulève autant de réactions épidermiques. D’ailleurs cette opposition virulente me semble moins provenir d’une volonté conservatrice de préserver notre langue supposée immuable (même si cela doit jouer) que de la défense d’un ordre établi face à la menace de « trop » de féminisme. Une éventuelle réforme de l’orthographe, pour simplifier le français, ou l’introduction de nouveaux termes dans le Robert soulèvent-elles autant de passions ? J’en doute.
Le but de ce billet du modeste contributeur au débat que je suis, intéressé mais pas spécialiste bien qu’adepte depuis longtemps, est de recenser, pour en contrer la plupart, quelques uns des arguments et idées entendues de-ci-de-là dans mon entourage ou dans le débat public, contre l’écriture inclusive.
Je préciserai d’ailleurs que je ne côtoie pas vraiment les milieux réactionnaires, ni ne regarde les chaînes qui portent leurs messages. Je n’ai pas d’ami·es ou de famille proche ouvertement d’extrême-droite ou « anti-woke », et je baigne professionnellement dans le syndicalisme, environnement qui certes a son lot de mâles alpha comme tous les autres, mais atteint une certaine mixité (du fait de la parité dans les élections) et s’intéresse aussi aux questions d’égalité professionnelle femmes / hommes. Mon entourage n’a donc rien de hordes d’intégristes hostiles à toute évolution ou à plus d’égalitarisme, mais y percole tout de même un discours contre l’écriture inclusive, souvent empreint de mauvaise foi ou d’ignorance d’ailleurs. Je trouve en effet bien des arguments et idées apportées si faibles qu’iels me semblent plus relever d’une justification a posteriori de l’opposition à l’écriture inclusive que de réflexions bien abouties d’où découlerait ladite opposition, plus d’une méconnaissance ou jugements à l’emporte-pièce que d’un véritable refus éclairé. D’où mon espoir que les réticences finissent par tomber.
Pour être honnête, je relèverai qu’il existe aussi des oppositions à certaines modalités de l’écriture inclusive, émanant souvent de femmes d’ailleurs, non mues par un quelconque esprit conservateur ni par une aversion au féminisme, mais par une différence d’appréciation du rôle du masculin dans notre langue. Arguments plus solides qu’il conviendra également de discuter.
Allons-y donc.
Non, l’écriture inclusive ne se réduit pas au point médian
Beaucoup des détracteur.ices, voulant s’opposer à l’écriture inclusive la confondent avec le seul point médian, et focalisent donc leurs griefs sur ce seul aspect. Or, si le point médian reste un élément important de la boîte à outils qu’est l’écriture inclusive, beaucoup d’autres l’y accompagnent.
Tout d’abord, le point médian (« un.es ») vient remplacer les parenthèses (« un(e)s »), plus lourdes visuellement (un petit point se veut plus discret que deux grosses parenthèses) et moins symétriques (elles mettent à l’écart le féminin), ou encore le tiret (« un-e-s »), qui sépare trop horizontalement. Il s’agit donc d’un outil venu se substituer à d’autres, car plus léger et plus égalitaire, surtout quand on utilise le point unique (« un.es » et non « un.e.s ».).
Ensuite, on trouve bien d’autres moyens pour contrer la primauté du masculin dans notre langue :
- le doublement : « les françaises et les français pensent que... » ;
- le remplacement des termes genrés « hommes » et « femmes » par d’autres plus neutres ou indéterminés comme « gens », « personne(s) » , « on »...
- l’inutilisation du mot « homme », qui porte trop à confusion, quand on veut parler du genre humain (anthropos) plutôt que du genre mâle (andros) - préférer donc « humain.e » ;
- très utilisée au Québec, la féminisation des noms, notamment de métiers : l’« ingénieure », qui n’est point la femme de l’ingénieur (même si on se marie souvent au sein du même groupe socio-professionnel) ;
- le pronom « iel » / « iels » ou autres variantes ;
- la féminisation majoritaire du pluriel : parler de « elles » quand on évoque un groupe comptant sensiblement moins de paires XY que de XX ;
- et ma préférée (car elle débouche sur plus de liberté d’écriture que l’usage actuel, et permet de jouer avec) : la règle grammaticale de proximité, qui veut que l’on accorde un adjectif au genre du terme le plus proche : « tous les hommes et femmes sont belles » ;
- je rajouterais enfin, pour montrer que le débat sur l’écriture inclusive ne se restreint pas à notre langue française, l’emploi du « @ » à la place du « a » et du « o » que j’ai vu une collègue utiliser dans les langues espagnole et portugaise, qui séparent volontiers les genres par ces deux lettres : « tod@s » plutôt que « todos » (tous) ou « todas » (toutes).
Non, l’écriture inclusive bien utilisée n’a rien de lourd ou d’illisible
Beaucoup de détracteur.ices de l’écriture inclusive arguent que ça la rend illisible, lourde, difficilement compréhensible, et prennent parfois l’exemple d’un beau poème devenant ridicule une fois passé à la moulinette du point médian.
Certes, un point médian peut compliquer la lecture, notamment en créant une différence entre l’écrit, ou le point apparaît dans le « é.e » pour flanquer le masculin du féminin, et l’oral où on peut le gommer (« é » et « ée » se prononcent au fond pareil). Mais il suffit de ne pas le prononcer à l’oral tout en le lisant à l’écrit, un peu comme des lecteurs et lectrices de textes anciens vont dire « je mangeais » quand iels lisent « je mangeois ». Ou de brandir un autre outil plus convenable que le point médian pour ce qu’on veut dire.
De même, certes, le remplacement d’« un homme » par « un homme ou une femme » et la multiplication dans un discours de « les Françaises et les Français » peuvent vite se révéler pesantes. Mais c’est là que peuvent intervenir d’autres mots de substitution (« gens », « personne »...).
La lourdeur ne vient donc pas de l’emploi de l’écriture inclusive, mais de l’usage abusif d’une de ses modalités. Tout l’art réside ainsi dans le panachage que nous offre la boîte à outils multiples de l’écriture inclusive pour la rendre lisible, agréable et compréhensible. Et si jamais mon texte vous paraît lourdingue, ce n’est point du fait qu’il s’avère truffé d’écriture inclusive, mais d’un manque de style par rapport à d’autres. Remplacez la peinture à l’huile par l’aquarelle, et vous tomberez tout autant qu’avant sur des bon.nes et des mauvais.es peintres.
Par ailleurs, tout aussi lourdingue que puisse être mon texte, je vous mets au défi de ne rien y comprendre. Ou alors ça viendra d’une argumentation trop alambiquée plutôt que de l’écriture inclusive.
J’aimerais désormais m’appesantir sur deux arguments relatifs à la lisibilité : le handicap et la poésie, deux thématiques qui me sont par ailleurs très chères.
Tout d’abord la question du handicap. J’ai déjà entendu comme argument contre l’écriture inclusive le fait qu’elle passe mal à la lecture automatique (ou « synthèse vocale ») dont peuvent se servir aveugles, mal-voyant.es et dyslexiques. Ainsi, le programme buguerait sur « lu·es » et lirait n’importe quoi. Mais d’une part cela ne vaut que pour point médian et non pour tous les autres outils de la mallette, et ne vaut même plus si on le remplace par le point bas habituel (« . » plutôt que « · », ce que d’ailleurs je fais moi-même), où le logiciel prononcera « lu point e s », ce qui certes alourdit mais n’empêche pas la compréhension quand ça n’apparaît que de manière parcimonieuse. Et d’autre part, l’informaticien que je suis estime que ça ne doit pas s’avérer bien compliqué d’implémenter une version de synthèse vocale qui aurait appris à lire ce point médian. Là-encore, le souci ne vient pas de l’écriture inclusive mais du manque d’adaptation d’un logiciel.
Et puisqu'on parle ici de logiciels, arrêtez, messieurs de Gmail ou autres outils numériques, de considérer automatiquement mes "xxxx.es" comme des liens hypertexte vers des adresses URL espagnoles !
Restent les dyslexiques ou toute personne avec des difficultés de lecture. Rajouter des points par-ci par-là au milieu des mots doit certes la leur compliquer encore plus, mais je ne saurais dire à quel point. Une fois l’utilisation d’outils de compensation adaptés, la difficulté reste-t-elle accrue par l’usage du point médian ? A creuser. En tout cas, cela incite justement à multiplier les modalités d’écriture inclusive et de ne pas abuser du seul point médian.
La poésie maintenant. Prendre un ancien poème et le passer à la moulinette de l’écriture inclusive pour mieux la dénigrer relève au mieux de la mauvaise foi. Cela revient à coloriser une photographie conçue pour le noir & blanc afin de prouver que c’est mieux sans les couleurs. Certes, mais ceci ne dit rien des photographies prises directement en couleur, qui demandent seulement un autre style, d’autres techniques et d’autres effets que le noir & blanc. Il en irait de même avec du cinéma muet doublé par rapport au cinéma parlant. Il en va de même pour l’écriture inclusive. Et qui reste perplexe sur la possibilité de composer de la poésie en mode inclusif n’aura qu’à lire la tragédie en vers que j’ai moi-même concoctée, où je m’amuse avec la règle grammaticale de proximité tout en semant quelques (rares) points par-ci par-là. Quand l’écriture inclusive devient elle-même un facteur de créativité…
Non, l’écriture inclusive n’a rien d’un.e novlangue, bien au contraire
Voici un argument qui fleure bon un conservatisme qui se veut éclairé : l’écriture inclusive ne serait qu’une « novlangue ». On l’entend par exemple régulièrement dans la bouche d’un Raphaël Enthowen (personnalité que je peux apprécier par ailleurs quand elle parle philosophie), très féru de « 1984 » d’Orwell qui introduit cette notion.
Rappelons d’ailleurs « 1984 » : le régime totalitaire entreprend une réforme radicale de la langue, qu’il transforme en « novlangue » en l’appauvrissement à l’extrême, supprimant toute polysémie, toute synonymie, voire même toute contradiction (« La guerre, c’est la paix »). Cette réduction drastique a pour but explicite d’éviter toute pensée.
La « novlangue » consiste donc en un appauvrissement de la langue au service d’un pouvoir pour empêcher la réflexion. Peut-on reprocher cela à l’écriture inclusive ? Où se trouve l’appauvrissement, quand on double les termes ou use d’un point pour laisser apparaître la mixité, et qu’on rajoute un pronom (« iel ») ? Où résident les freins à la pensée quand on chercher justement à relever ce que le masculin-neutre cachait, ou quand la simple substitution d’une règle grammaticale (on accorde au masculin par défaut) par une autre (on rattache au genre le plus proche) ouvre le champ des possibles dans la composition d’une phrase ?
Prenons justement l’exemple frappant de la règle de proximité, qu’on trouvait en grec ancien, en latin, dans les autres langues romanes et notamment en vieux français, mais qui a disparu dans notre français actuel. Si l’on se réfère à la très sourcée page wikipedia consacrée, on y apprend que l’accord de voisinage, une autre de ses appellations, apparaît fréquemment jusqu’à la Renaissance, mais que peu à peu les arguments en faveur de la primauté du masculin prennent les rênes, jusqu’à la rendre incontestable à partir de la fin XVIIIe et du XIXe. Quels sont ces arguments ? Pour l’académicien Vaugelas (1647), « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins, même quand ils sont plus proche du régime ». Noblesse du masculin que rappelle le grammairien Bescherelle en 1850. C’est pour la même raison que le terme « autrice » disparut par la volonté de ces hommes d’écriture, d’où le combat actuel pour le réintégrer, alors qu’« actrice » ne pose de soucis à personne.
Ainsi donc, c’est une volonté de ne plus penser le féminin au même niveau que le masculin, issu d’un présupposé inégalitaire d’une plus grand noblesse de ces messieurs, qui conduit à la disparition d’une règle grammaticale qui coexistait avec une autre, et cela en partie sous la houlette de l’appareil d’État purement XY qu’est l’Académie Française. Si on reprend la définition d’une « novlangue » (un appauvrissement de la langue au service d’un pouvoir pour empêcher la réflexion), n’est-ce pas plutôt le français actuel qui campe une « novlangue » qui a réussi, et que l’écriture inclusive vient casser ? L’arroseur arrosé.
Oui, l’écriture inclusive heurte. Et alors ?
L’introduction, évoquée plus haut, de nombreux points médians dans une poésie pour mieux dénigrer l’écriture inclusive avait pour objectif de choquer autant que de ridiculiser. De même, un accord selon le voisinage, quand il ne passe pas inaperçu (comme c’est souvent le cas), va heurter les pointilleuses et pointilleux de la grammaire qui s’attendaient à l’accord habituel. Et de même que l’« auteur.ice » titille les oreilles la première fois qu’on l’entend, c’est encore me faire violence que d’utiliser le nouveau pronom « iel », déjà entré parcimonieusement dans mes emplois mais pas encore ancré dans mes habitudes. Et alors ? Toute évolution heurte de prime abord, comme l’introduction de nouveaux vocables par la nouvelle génération gêne la précédente aux entournures. A cela rien d’anormal, ni de blâmable, et ne donne en rien du crédit aux conservateur.ices qui usent et abusent de cela pour balayer d’un revers de la main l’écriture inclusive.
D’ailleurs, c’est comme le vélo, on se prend quelques pédales dans les mollets puis on s’y habitue vite, à l’oreille et plus encore à la plume ou au clavier. On ne va plus chercher des alternatives à « les hommes » par conviction mais par réflexe, et ça nous fait bizarre de continuer à devoir dire « Le docteur Martine Tartampion » alors que presque tout le monde est passé à « Mme la présidente » (pas de la République Française, certes). Quant à moi, tellement habitué à l’usage du point (bas et non médian comme expliqué auparavant, et dans sa forme unique pour ne pas trop séparer le féminin du reste), c’est quand il me faut l’éviter (si par exemple je rédige un texte au nom d’un collectif pas encore converti) que je prends plus de temps à écrire mon texte.
Combat symbolique vs luttes plus importantes ?
Voici un argument à deux balles utilisé contre les combats orientés du côté « symbolique », comme l’écriture inclusive, ou la disparition de « Melle » dans les cases à cocher des formulaires administratifs, ou encore la possibilité de choisir « non binaire » ou « ne se prononce pas » plutôt que "homme" ou "femme" dans des enquêtes : pourquoi se focaliser sur de pareils détails, plutôt que de s’engager pour de vraies causes féministes, comme le soutien aux iraniennes, la défense du droit à l’avortement, ou la lutte contre les violences sexuelles et agissements sexistes ? En gros, il faudrait choisir ses priorités, il y a plus important.
Certes. Mais d’une part, l’argument me semble très fallacieux. En quoi prôner ces modifications symboliques prive de tout engagement pour le reste ? Comme si un article de loi modifiant les règles d’écriture ou d’identification du genre dans des documents officiels empêchait en parallèle l’Assemblée ou le pays de soutenir une révolution féministe ou de lutter contre les féminicides.
D’autre part, la symbolique a sa part d’importance. L’écriture inclusive, à mes yeux, vient casser une règle motivée par la considération du masculin comme le genre le plus noble. Le « Melle » signe les relents d’un régime qui séparait les « Mademoiselles » des « Madames » et des « Veuves » pour mieux spécifier si ces femmes appartenaient à leur père, leur mari ou leur fils (comme on peut comprendre, dans un mariage, l’accompagnement par le père de la fiancée vers le promis comme un changement de propriétaire). La possibilité de cocher « non binaire » évite, un peu, à des personnes la violence quotidienne de se voir assigner à un genre où elles ne se reconnaissent pas, et qui engagent leur corps, même jusque dans une banale enquête. Derrière l’écriture inclusive et autres exemples précités, c’est une violence symbolique sur un genre et sur les corps que l’on souhaite briser.
Inversons maintenant l’argument. Si ces modifications d’écriture ou de formulaires restent dérisoires à côté de combats plus importants, s’il ne s’agit que de petites souris à côté de grandes montagnes, c’est bien que leur mise en action demande peu, s’avère beaucoup plus facilement et rapidement réalisable que d’accompagner victorieusement une révolution en Iran ou réduire drastiquement le nombre de meurtres conjugaux. Faisons-les donc, ne déployons pas tant d’énergie à s’y opposer, et passons au reste.
Le neutre et le masculin
Voilà un débat plus compliquée, car relevant d’un postulat de départ difficilement contestable, comme tout axiome : le masculin, en français, vaut-il neutre ? Quand on dit « ils » en évoquant un groupe d’un homme et plusieurs femmes, ce « ils » relève-t-il du neutre ou du masculin ? Doit-on considérer comme masculin ou neutre le « le » de « Le Dr Martine Tartampion » ? Autre exemple : mon épouse (qui n’a rien d’antiféministe) et moi divergeons sur l’appellation de sa profession : je mettrais volontiers « ingénieure » quand elle préfère « ingénieur », car elle considère que la seconde formulation reste neutre quand la première que je prône met en avant son genre quand il ne s’agit que d’exprimer son métier ou son diplôme.
Le français, langue latine, n’a pas de neutre à proprement parler, mis à part le pronom « on », et encore (il dépersonnalise plus qu’il rend neutre, au contraire du « iel », et pousse l’accord comme avec le masculin : « il est prêt, elle est prête, on est prêt »). L’anglais, au contraire, n’a quasiment que lui (le « a » vaut autant pour « un » que pour « une », il n’existe pas de déclinaison au féminin des adjectifs, on désigne le bébé par « it », la non nécessité de sujet dans « There is » permet de ne pas devoir choisir un déterminant comme « il » dans notre « il y a », et le « they » singulier fait office de « iel »). Quant à la langue allemande, elle compte un genre neutre (« das ») rajouté aux deux autres (« die », « der »), ce qui n’empêche pas de choisir comme pronom de la troisième personne du pluriel ou celle du vouvoiement (y compris envers Dieu) le « sie » / « Sie » de la troisième personne du singulier au féminin - mais ce qui n’empêche pas non plus au machisme ambiant de proliférer au pays des grosses bagnoles autant qu’en France.
Le français qui a donc des genres mais pas de neutre doit dès lors trouver comment l’exprimer avec ce qu’il a sous la main. L’option encore en vigueur actuellement fut de prendre le masculin comme neutre, du « il » du « il y a » au « ils » pour « les hommes et les femmes », avec les justifications poussives que l’on a vues. Le « iel » / « iels » y répond en proposant un pronom propre, et la règle grammaticale de proximité permet de panacher l’accord vers l’un ou l’autre des deux genres plutôt que toujours dans le même sens.
Comme pour les petits bonhommes des feux rouges et des toilettes, le français considère donc le masculin comme un neutre. Cela se voit au-delà des déterminants. En effet, la féminisation d’un adjectif vient souvent, comme le passage au pluriel, par le rajout d’une lettre, le « e » (« jolie »), voire le doublement de la consonne (« bonne », « folle »), ou même le rajout d’un suffixe (« enchanteresse »), comme ça se fait dans le peu égalitaire espéranto avec le suffixe « in » (« knabo » : garçon, « knabino » : fille).
Et c’est là que vient la féminisation des noms de métier. Le terme « ingénieur » est-il vraiment si neutre ? Ne vient-il pas au contraire porté par un partage sexuel des tâches qui perdure depuis des siècles voire des millénaires, et continue encore maintenant quand on use encore du « docteur » ou « médecin » quand bien même ces métiers se féminisent (on compte même une majorité de femmes chez les médecins du travail, profession que je côtoie souvent) tout en parlant plus facilement d’« infirmière » ou « aide-soignante » alors que des hommes, même moins nombreux, pratiquent également ce métier ? Ne trouve-t-on pas non plus ce partage sexuel des tâches bien ancré dans les mentalités de l’entreprise, quand, dans ma boîte, on évoque, de manière générique, aux salarié.es, leur « supérieur hiérarchique » et leur « assistante » dans un même texte ? Dès lors, la neutralité de l’« ingénieur » ne vient-elle pas de l’idée, révolue pour la plupart mais avec encore quelques relents dans la langue, que ce métier / diplôme est d’abord masculin ? La féminisation des noms de métiers a le principal défaut d’expliciter le genre de la personne qui l’exerce quand on y préférait un vrai neutre. Mais elle vient répondre au faux neutre, à mon sens, qu’est l’emploi exclusif du masculin pour certains métiers valorisés.
Conclusion
L’écriture inclusive, riches de toutes ses modalités et pas uniquement du seul point médian, vient redresser une langue tordue à la longue vers un seul genre plutôt que vers les deux équitablement. Elle opère certes dans le domaine symbolique, mais ce domaine symbolique contient lui aussi son lot de violence, de sous-entendu.es sexistes, de germes inégalitaires. De manière générale, je crois que le genre d’un terme peut, même inconsciemment, influencer son aura et son utilisation. Aurait-on un roi bien viril qui se réclame du Soleil ou des poètes hétéros qui chantent des odes amoureuses à la Lune si, comme en allemand, on disait « la soleil » (« Die Sonne ») et « le Lune » (« Der Mond ») ? A voir. Dès lors, si la langue joue son influence sur les mentalités autant qu’elle en découle et témoigne, mieux vaut qu’elle ne soit plus biaisée, voire même viciée.