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Billet de blog 22 novembre 2015

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Non à toute déchéance de nationalité !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Notre exécutif prétendument socialiste veut répondre au terrorisme par l'inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Honte à lui, une nouvelle fois.

Commençons par la bêtise de la mesure comme réponse au terrorisme. Nous avons des personnes prêtes à sacrifier leur propre vie pour tuer le plus grand nombre, ou à en aider d'autres à le faire. Nous avons des personnes qui haïssent assez la France pour vouloir qu'on l'attaque ou y participer. La déchéance de la nationalité (pour celles qu'elle concernerait) va-t-elle les arrêter ? Va-t-elle les punir ? A quoi donc servirait-il de les en déchoir ? A les expulser ? Cela n'évitera pas que des terroristes entrent en France pour y commettre des attentats. Quant aux jeunes radicalisé(e)s partant pour Daech, soit on les considère comme perdu(e)s et leur ôter la nationalité ne changera rien (pas même leur retour sanglant), soit on cherche à les dé-radicaliser et une telle déchéance va totalement à l'encontre.

Si la déchéance de la nationalité ne permet en rien de lutter contre le terrorisme, à quoi peut-elle bien servir ? Pour le pouvoir dit socialiste, à couper l'herbe sous les pieds de la droite qui elle court à toute jambe après l'extrême droite ? Cela revient à donner sur un plateau la victoire idéologique à Sarkozy et Le Pen, donc à leur dérouler le tapis rouge pour une victoire future. L'électorat préférera toujours l'original à la copie, a fortiori quand les copieurs lui donnent raison et s'avouent impuissants à construire une pensée alternative. Mauvais calcul politicien et aveu de faiblesse, donc.

Mais que cette mesure raconte-elle ? Brandir la menace de la déchéance de la nationalité pour répondre à des attentats sert en fait à affirmer que leurs auteur(e)s, complices voire sympathisant(e)s ne seraient pas de vrai(e)s Français(e)s. La France, nation grande et forte, ne peut les contenir. On les expulse moralement (et bientôt juridiquement) du peuple comme on expulse un tueur ou violeur d'enfants de l'humanité en le traitant d'inhumain ou de monstre. Mais comme dans le second exemple où l'on nie l'hubris ou la folie pourtant présente dans l'espèce humaine (homo sapiens demens, comme le dit si bien Edgar Morin), on ne veut pas voir ou accepter que des personnes français(e)s tout autant que les autres, même binationales, aient en haine le pays auquel elles appartiennent. 

Or il s'agit là d'un point fondamental : pourquoi des Français(e)s se retournent à tel point contre leur pays ? Je me garderai bien d’émettre la moindre réponse hâtive, tant la question demeure complexe. Le départ au "Djihad", c'est comme le divorce, tout le monde n'y vient pas pour les mêmes raisons, expliquait Mourad Benchellali sur Mediapart. Mais au-delà des cas individuels, le nombre pose une question sur notre pays. Est-ce la marque d'une faillite de notre système d'intégration sociale ? Echec de dans l'intégration il y a, au dépens d'une part de nos concitoyen(ne)s (il suffit de voir comment nos élites demeurent peu représentatives), mais cela explique-t-il l'extrême radicalisation de certain(e)s ? Question il y a, et au lieu de la poser explicitement et de tenter un remède, au lieu de prendre à bras le corps le sujet (ce qui pourrait remettre en cause sa politique sociale - ou son absence), notre exécutif aussi peu imaginatif préfère, au moins dans sa communication, brandir le seul bâton bête et méchant de la déchéance de nationalité.

Mais pourquoi tant d'hostilité de ma part à toute déchéance de nationalité, même pour des terroristes ? Cette hostilité, qui n'a rien de nouveau (elle figure dans la contribution thématique Immigration, Intégration et lutte contre les Discriminations dont je fus le premier signataire lors du dernier congrès du Parti Socialiste, peu avant que je le quitte), s'explique ainsi : la moindre déchéance porte un coup à toute la nationalité, et est discriminatoire. En instaurant une inégalité entre les Français(e)s que l'on peut dénaturaliser (impossible de rendre apatride) et les autres, elle crée de facto une classe de sous-Français(e)s qui n'ont pas les mêmes droits quant à leur nationalité, devenue conditionnelle et non plus absolue. Inégalement attribuée, orpheline de son absoluité, porteuse de discrimination, la nationalité en perd dès lors de sa substance. Or moi, je ne veux pas d'une nationalité au rabais. 

En 2012, le candidat Hollande s’engageait à octroyer le droit de vote aux personnes non européennes pour les élections locales, mesure certes pas révolutionnaire (de très nombreux pays l’appliquent déjà), mais égalitariste, et adaptée à la multiplicité de la citoyenneté actuelle. En 2015, Manuel Valls enterre cette promesse à laquelle il n’a jamais cru, et c’est, pour le bonheur de la droite et de l'extrême-droite, l’inscription dans la Constitution (histoire d’éviter le veto du Conseil Constitutionnel sur les décrets) d’une déchéance de la nationalité inégalitaire et discriminatoire qui la remplace. Quelle régression !

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