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Billet de blog 21 juin 2014

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Comment la FFF verrouille la com’ des Bleus

C’est une révolution ! Les joueurs de l’équipe de France ont été autorisés à tweeter pendant la Coupe du Monde de Football 2014 au Brésil. Etrange liberté donnée à de jeunes joueurs qui ont, par le passé, commis des erreurs de jugement.

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C’est une révolution ! Les joueurs de l’équipe de France ont été autorisés à tweeter pendant la Coupe du Monde de Football 2014 au Brésil. Etrange liberté donnée à de jeunes joueurs qui ont, par le passé, commis des erreurs de jugement. Mais la FFF semble avoir mis en place une stratégie de communication sans précédent pour éviter les péripéties de cette équipe française depuis une quinzaine d’années.
La FFF, dont l’objectif est de redorer le blason de l’équipe A, ne peut plus se permettre le moindre écart. De nombreux épisodes ont en effet nui à l’image de l’institution depuis 2010. De la main de Henry en barrages contre l’Irlande, l’affaire Zahia, l’affaire Ribéry/Gourcuff, l’affaire de la Marseillaise non entonnée par des « caïds immatures », les casques vissés sur les têtes des joueurs, les insultes d’Anelka à la mi-temps du match contre le Mexique qui a déclenché la grève du bus de Knysna et les conséquences politiques que l’on connaît… Lorsque chaque bad buzz peut déclencher une polémique aux proportions dévastatrices, tant l’attention médiatique attend ces individus au tournant, comment la fédé contrôle-t-elle la communication autour d’une équipe en reconstruction sportive et morale ?


Raymond Domenech, dont la reconduction à la tête de la sélection avait entraîné un manque d’autorité naturelle sur les joueurs, avait pourtant l’habitude de soigner sa com’. Mais avec lui, on ne parlait pas souvent de football : les résultats sportifs du sélectionneur controversé étaient trop mitigés pour faire oublier les crises médiatiques qui ont conduit à une détérioration sans précédent de l’image de l’équipe de France, à l’échelle internationale.


Pour préserver l’intérêt de partenaires qui investissent massivement en contrats de sponsoring, la FFF propose désormais une garantie d’image avec notamment un nombre de partenaires réduit à douze. Les sponsors bénéficient depuis 2013 d’une exclusivité sectorielle. Laurent Blanc, lors de son court passage à la tête de la sélection (2010-2012), avait déjà insufflé un renouveau, bien aidé en cela par le nouvel équipementier de « l’EDF ». Nike avait en effet à cœur de limiter le manque à gagner issu de la mauvaise presse et aux dysfonctionnements collectifs, dont les joueurs et l’institution FFF elle-même étaient responsables. La Fédération a reconnu que la reconduction en 2008 de Domenech était une erreur stratégique majeure. Pour cela, Nike et le service communication du foot français ont proposé de faire entrer les fans dans le quotidien des joueurs, en pariant sur la transparence, grâce à des webdocumentaires visibles sur les réseaux sociaux. Selon le responsable marque et promotion de la FFF, François Vasseur « chaque match doit s’inscrire dans une série, comme les épisodes d’un grand feuilleton, en l’occurrence celui du Mondial 2014 et, demain, de l’Euro 2016. »
Conflits de générations
Le message s’inscrit donc dans une volonté de tourner la page, en humanisant davantage des joueurs dont les salaires et le comportement de mercenaire avaient écœuré jusqu’aux plus fervents supporters, dans une société tendue par des troubles politiques et économiques sans précédant. Or, les épisodes qu’on retient à tort de l’ère Blanc, ne sont pas la vision du jeu d’une jeunesse talentueuse, mais les altercations de Nasri avec la presse, ou Ben Harfa répondant au téléphone portable dans le vestiaire. Du grain à moudre pour les partisans d’une France incapable d’éradiquer la « racaille » en « manque d’éducation » qui menace sa noblesse culturelle. Même les plus modérés restent amer et regrettent la nostalgie de la France Black/Blanc/Beur de la « génération 98 ». Emmanuel Petit déplorait dès le mois de juin 2010 que l’héritage culturel du maillot bleu était en miette.

Désormais, c’est Didier Deschamps le patron. Respecté au sein du groupe autant par son palmarès (il a tout gagné en tant que joueur) que par sa personnalité de combattant, celui qu’on surnomme « Dédé la gagne » semble avoir compris ses joueurs. Si l’ancien président de la FFF, Jean-Pierre Escalette (75 ans au moment de l’épisode de Knysna) a reconnu n’avoir jamais partagé un petit déjeuner avec ses joueurs en Afrique du Sud, le grand décalage générationnel qui peut expliquer la plupart des remous de cette équipe semble enfin dépassé. Noël Le Graët, le nouveau président de l’association de loi 1901, est issu du monde professionnel, alors que son prédécesseur représentait le monde amateur.
Didier Deschamps l’a reconnu en conférence de presse, avant de partir pour le Brésil : les joueurs sont devenus des PME. Ils sont constamment entourés de leurs agents ou leur entourage familial qui ont une influence sur leurs choix de carrière individuelle. Les joueurs français évoluent dans les meilleurs clubs européens, et les enjeux économiques qui pèsent sur leurs épaules sont colossaux. Ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau en revanche, c’est l’accès aux nouvelles technologies, et aux réseaux sociaux. Si le fiasco d’Afrique du Sud résulte en partie d’une fuite dans le quotidien sportif l’Equipe, qui révélait à la France incrédule les tensions entre les joueurs et leur sélectionneur lors du deuxième match de groupe en 2010, le monde a bien changé depuis. Twitter représente aujourd’hui un moyen d’expression directe entre un joueur et ses fans, sans qu’il passe par un chargé de communication. Même si Philippe Tournon, l’attaché presse qui accompagne les joueurs lors des points presse est à la manoeuvre, les joueurs commentent leur intimité au pays du foot.
Offensives médiatiques
Mais ces épisodes semblent tout de même avoir donné lieu à une réinvention de la communication de l’équipe de France. On a le sentiment que la Fédé a pris à bras le corps l’épineux problème de besoin de communiquer des joueurs. Lorsque le mannequin Anara Atanes insulte le sélectionneur français pour la non-sélection de son compagnon Samir Nasri dans la liste des 23, la FFF soutient Didier Deschamps qui porte plainte immédiatement pour injure publique. Le ton est donné. La communication est donc calibrée. Pas de place pour les brebis galeuses. La charte de conduite exigée à la suite du fiasco de 2010 s’est jouée en coulisses. Le sélectionneur a confirmé au Brésil que les joueurs pouvaient tweeter, mais le contenu ressemble fort à des éléments de langage. Derrière le hashtag #E2F, le message : travail, bonne ambiance, proximité, humilité.
Tout est là. À peine sorti du terrain, où il a marqué son premier but de coupe du monde face à la Suisse, Olivier Giroud, est interrogé sur ses déclarations de n’être pas titulaire face au premier match contre le Honduras. Le numéro 9 des Bleus s’était publiquement excusé de ses frasques extra-conjugales sur le réseau social, et avait exprimé sa déception. Devant le micro, il menace de se remettre à la langue de bois. Le journaliste de TF1 le contredit aussitôt. Surtout pas ! Restez naturel. Vraiment ?
À la FFF, François Vasseur veut « mettre l’accent sur l’amour du maillot, fédérer les gens derrière l’équipe de France, créer une vraie communauté ». Pour cela, un dispositif innovant et participatif a été mis en œuvre durant la campagne de qualification épique des Bleus pour le Brésil, « non seulement pour remplir les stades, mais surtout pour susciter l’engouement de tous les supporters autour des Tricolores. » En partant du postulat que « l’équipe de France concerne tous les Français », la Fédération constate « un regain d’intérêt populaire autour des Bleus ». L’idée est de « capitaliser sur ce contexte plus favorable pour créer une ferveur chez les fans et les inciter à s’engager. » Selon la FFF, la page Facebook Équipe de France a « dépassé le million de fans » et dispose de « 20 000 followers » sur son compte Twitter.
Sur le site www.tousenbleu.fr, et sur les réseaux sociaux, le réalisateur officiel des courtes vidéos quotidiennes Guillaume Bigot, à la FFF depuis 1998, publie l’intimité des joueurs, comme pour mieux montrer ce semblant de transparence. Les séances d’entraînement, les moments de détente, les coulisses... Tout est fait pour montrer une équipe humble, sérieuse, travailleuse, aux antipodes de la réalité de la campagne précédente. Une newsletter a été conçue pour « cibler les personnes directement impliquées par les matches, les familles et les fans, offrir un contenu personnalisé avec des informations privilégiées sur les joueurs, leurs parcours, et permettre aux fans de vivre une expérience particulière à chaque rencontre, en leur offrant des exclusivités, en individualisant la relation » selon François Vasseur.
Le partenaire médiatique historique de l’équipe de France est mis à contribution : Karim Benzema, lors du 20H de Claire Chazal une heure avant le premier match des Bleus, se montre sous un nouveau jour. Après un reportage à sa gloire, les journalistes sportifs veulent contribuer à effacer sa disette de buts pendant plus de cent minutes de jeu. On le montre comme efficace, souriant, heureux voire patriote ! Patrice Evra, le capitaine malheureux du boycott de Knysna, est désormais montré comme le grand frère expérimenté, souriant, « Tonton Pat »… Bien loin, le capitaine de Manchester United, chasseur de taupe, qui a gardé ses distances avec les médias, suite à de nombreuses offensives maladroites.
La FFF revendique une progression de 35 % de la note d’image de l’équipe de France depuis la prise de fonction de Didier Deschamps. C’est un travail de « longue haleine » qui tente de rendre cette équipe proche des gens. Mais mesurer précisément l’efficacité du travail engagé par la FFF pour reconstruire son image de marque prendra du temps. La communication n’assure pas les résultats sportifs, mais accompagne un effort national. La fédération se dit néanmoins « sur la bonne voie ». Comme quoi la communication a au moins le mérite d’éloigner l’image de « racailles », aux salaires indécents, dépourvus d’éducation qui faisaient jaser des ministres en séance gouvernementale… La route est longue et impitoyable pour la rédemption. C’est avant tout sur le terrain que les Français jugeront.
Sébastien Tricard
Consultant en stratégie

sources :
http://www.sportbuzzbusiness.fr/fff-creer-de-la-valeur-pour-les-partenaires-tout-en-affirmant-nos-valeurs.html
http://www.lemonde.fr/coupe-du-monde/article/2014/06/18/sur-la-scene-du-theatro-pedro-ii-la-parole-tres-maitrisee-des-bleus_4440289_1616627.html 

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