sebastiengamon (avatar)

sebastiengamon

Étudiant et naturaliste amateur

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 novembre 2022

sebastiengamon (avatar)

sebastiengamon

Étudiant et naturaliste amateur

Abonné·e de Mediapart

Sortir du dogme du « milieu ouvert »

La France ne compte pas assez de milieux naturels boisés. Pourtant les gestionnaires de biodiversité empêchent systématiquement toute apparition de forêts matures.

sebastiengamon (avatar)

sebastiengamon

Étudiant et naturaliste amateur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En France, la déprise agricole du XXème siècle libéra certaines terres de leur exploitation agricole et permit progressivement au couvert forestier de s’étendre. Boisée sur seulement à peine 10% de son territoire au XIXème siècle, le tiers de la France métropolitaine est désormais couvert de forêts ou de plantations d’arbres. 

La répartition entre milieux ouverts et fermés fut de fait modifiée. En effet, les milieux ouverts correspondent aux espaces naturels de végétation basse, sans ou avec peu d’arbres. Les milieux fermés, au contraire, sont les espaces où l’arbre domine : forêts, sous-bois… Entre les deux stades, la friche correspond à l’état transitoire du milieu ouvert vers le milieu fermé : l’espace y est souvent « embroussaillé ». Au XXème siècle, les milieux ouverts régressèrent donc au profit des espaces fermés. 

La plus grande expansion de la couverture forestière française s’opéra pendant les Trente Glorieuses : la déprise agricole entraina la baisse des besoins fonciers pour l’agriculture. Par conséquent, des surfaces considérables de terres agricoles furent abandonnées. Pour redonner une utilité à ces terres délaissées, les pouvoirs publics décidèrent de les reboiser afin de tirer une rente de ces nouveaux boisements. De grandes plantations virent ainsi le jour dans plusieurs régions rurales : plateau de Millevaches, Causses, Morvan…  

Toutefois, la position politique s’inversa radicalement dans la décennie 1990. Pour protéger des identités paysagères mais aussi certaines espèces végétales et animales, il s’agit désormais de préserver les milieux ouverts auxquels paysages et espèces sont inféodés. Il faut désormais contenir non seulement le reboisement artificiel mais également la colonisation naturelle de la forêt. Cette volonté du maintien d’espaces ouverts au nom de la préservation des paysages et de la biodiversité est solidement ancrée dans certaines régions (en montagne, sur les Causses…). Mais elle est aussi présente là où on l’attend moins. Par exemple, sur le site de Coët Léthune, à Cléguer dans le Morbihan (56), géré par les équipes de Lorient Agglomération. Anciennement lieu de culture, ce terrain en bordure du Scorff (fleuve) est dorénavant pâturé de manière extensive par des poneys de race rustique avec l’objectif d’éviter son reboisement naturel. 

Ce schéma de gestion perdure. La régie d’espaces naturels « historiquement » ouverts tend souvent à préserver ce caractère. C’est une sorte de réflexe chez les gestionnaires de la biodiversité. La colonisation naturelle de la forêt s’en retrouve muselée.

Or, dans l’ordre naturel, la forêt est la règle. L’ouverture n’est que l’exception. Sous nos latitudes, l’écrasante majorité des espaces non-artificialisés terrestres évolue vers la forêt. Seules de rudes conditions liées à la nature du terrain ou au climat qui y règne peuvent empêcher l’apparition d’un couvert forestier, comme c’est le cas pour les pelouses de l’étage alpin en haute montagne par exemple. En somme, une nature vierge est une forêt. 

Mais, paradoxalement, les milieux fermés sont perçus comme une menace pour la biodiversité : les espèces floristiques et faunistiques adaptées aux espaces ouverts sont désormais considérées comme étant absolument à préserver. C’est le cas pour certains oiseaux nicheurs ou des espèces d’orchidées — souvent portées en emblème. Certes, la présence de ces espèces spécifiques témoigne d’un bon état écologique du milieu, mais permettent-elles de justifier l’immuabilité d’un espace sous le joug de l’Homme ? Maintenir ces biotopes ouverts et les espèces qui y sont associées revient à empêcher l’apparition de celles qui sont adaptées à un couvert forestier. Ce n’est qu’un choix anthropique qui va présomptueusement à l’encontre des dynamiques naturelles. Il y a-t-il plus prétentieux que de vouloir perturber l’évolution de la nature pour mieux la préserver ?

Par ailleurs, la forêt naturelle demeure un haut-lieu de biodiversité (où poussent soit dit en passant nombre d'espèces d’orchidées moins connues). Elle accueille à titre d’exemple 50 % des espèces de coléoptères et les trois-quarts des espèces de champignons. Elle est donc très loin d’être biologiquement amorphe. Ainsi, vouloir classer les milieux selon une hiérarchie de richesse faunistique ou floristique en fonction d’un groupe (orchidées, avifaune…) n’a pas de sens. Laisser la nature accomplir ses cycles, davantage. 

Pour mieux comprendre les réticences face au reboisement spontané, il convient sûrement de s’intéresser à la nature du couvert forestier français. Étant relativement récente, la forêt française ne présente que peu de bois matures, de la plus riche biodiversité. Caractérisées par un très fort sentiment de naturalité, en libre-évolution et pouvant accomplir l’entièreté de leur sylvigénèse, ces vieilles forêts comprennent différentes essences, des individus de tout âge et une grande proportion de bois mort. Elles parviennent à ce stade ultime après plusieurs siècles. Or, ces forêts sont quasi absentes de notre territoire. Ainsi, dans l’ex-région Midi-Pyrénées, elles n’occupent que 2% de la surface boisée. Autant dire qu’à l’échelle de la métropole, elles sont pratiquement inexistantes et que leurs enjeux de conservation et de restauration sont extrêmement élevés. 

De fait, lisser les disparités qualitatives du couvert forestier peut aboutir à négliger et oublier ces biotopes, si riches et malheureusement si rares. En effet, le véritable ennemi du milieu ouvert, du patrimoine et du paysage qui y sont associés, ce sont les boisements de production industriels détruisant à la fois paysages et écosystèmes. Au contraire, la forêt spontanée, qui prend en maturité et en rareté biologique au fil des décennies, est un écosystème précieux. Malheureusement, la politique dogmatique du maintien de l’ouverture des milieux empêche ou ralentit son apparition. Préserver de manière systématique landes, prairies ou pelouses revient à refuser l’existence de forêts sauvages ; à conserver une nature domestiquée. 

Il existe donc un besoin crucial de retrouver de véritables forêts matures. Elles doivent devenir une norme, aux côtés des forêts de production qu’il convient par ailleurs de gérer de la meilleure des manières. Cette question doit participer à une plus large réflexion sur la libre-évolution des espaces naturels pour s’extirper de la tyrannie du milieu ouvert. 

Pour autant, il ne s’agit pas de supprimer tous les espaces ouverts, dont l’existence de certains se justifie. Ainsi, sur le Causse Méjean (Lozère méridionale) cohabitent de manière équilibrée une moitié boisée (en partie issue de processus spontanés) et une partie plus nue, héritière d’un pastoralisme ancestral. Il ne s’agit donc jamais d’ouvrir pour ouvrir, et n’oublions pas que, dans l’écrasante majorité des configurations, la nature s’occupe mieux d’elle que nous. 

Finalement, la doctrine d’une nouvelle politique environnementale sur la nature des milieux pourrait consister en la coexistence de forêts vieillissantes tendant vers la haute naturalité, de milieux ouverts présents ponctuellement et pertinemment justifiés par des logiques patrimoniales et paysagères, et enfin par des boisements de production gérés par une sylviculture raisonnée, au plus faible impact sur la biodiversité. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.