30.11.14 - Aujourd'hui se joue une autre partie importante dans le contexte de l'affrontement entre puissances qui marque le début du 21e siècle : dans la petite République de Moldavie auront lieu en effet les élections, selon la Banque Mondiale le pays le plus pauvre d'Europe, une autre cruche entre pots de fer, comme l'Ukraine frontalière, dont l'histoire récente présente de nombreuses similitudes.
En effet, l'économie moldave aussi s'est complètement déstructurée à la chute de l'URSS : le secteur agricole est resté presque exclusivement le seul en importance, tandis qu'aux commandes du pays s'est installée une élite financière pas du tout liée au développement de la production et du marché intérieurs ; la principale ressource du pays, jusqu'à aujourd'hui, est représentée par les entrées envoyées par les nombreux émigrés !
La force politique hégémonique a été pendant longtemps le Parti Communiste de la République de Moldavie, héritier direct de l'aile moldave du PCUS et adhérant au Parti de la Gauche Européenne de Tsipras ; c'est de ce parti qui depuis 2001 à 2009 est issu le Président de la République (élu par le Parlement) en la personne du Secrétaire Vladimir Voronin. Les Gouvernements du Parti Communiste ont été marqués par une ligne d'équilibre entre l'ouverture graduelle vers l'union Européenne et l'exigence de maintenir en vie le secteur agricole local qui cependant est sorti étranglé d'un parcours accéléré de rapprochement au pôle impérialiste européen ; quoi qu'il en soit, les positions fondamentales du patronat moldave n'ont pas été touchées, comme on pourrait s'attendre d'un gouvernement géré par un parti communiste, au contraire sa ligne a paru plus proche de l'ukrainien Ianoukovitch hésitant entre deux positions.
Le premier moment d'exacerbation de l'affrontement a eu lieu en 2009, lorsque le Parlement néo-élu entre dans l'impasse et ne parvient pas à élire le nouveau Président de la République tandis que tous les partis philo-impérialistes s'allient pour empêcher la réélection de Voronin, malgré que le Parti Communiste soit encore solidement le premier parti.
Il en découle une sorte de révolution colorée ou un petit Maidan moldave, dans lequel les manifestants, conduits par les composantes politiques philo-occidentales, prennent d'assaut le Parlement, le contraignant à la dissolution pour donner lieu à de nouvelle élections. Cette fois la coalition des partis philo-impérialistes, bien qu'ayant à faire face au Parti Communiste encore en majorité relative, parvient à constituer un Gouvernement propre et à élire un Président, Tomofti ; l'accélération de l'intégration européenne, présentée comme la panacée à tous les maux par une propagande martelante aboutit à la signature d'un traité d'association avec l'UE, semblable à celui imposé à Porochenko.
Le résultat principal de ce traité est de détruire le secteur agricole moldave, qui ne peut rien dans la compétition avec les colosses européens ; la situation économique précipite ultérieurement avec l'imposition de contre-sanctions à ce secteur de la part de la Russie conséquemment à la crise ukrainienne, dans laquelle les aventuriers dirigeants moldaves ont soudainement joué le rôle de faucons philo-impérialistes ; le russe en effet était le principal marché d'absorption des produits moldaves.
Ainsi les agriculteurs, conjointement à d'autres secteurs populaires, sont descendus dans la rue en masse dans les derniers mois, donnant vie à de grosses manifestations et à des blocs routiers avec la menace de marcher dans la capitale Chinisau.
Aujourd'hui nous sommes parvenus au terminus, des postures équilibristes ne semblent plus possibles à cause de l'exacerbation de la compétition globale. D'un côté il y a le Parti Démocratique, le Parti Libéral-Démocratique (l'un observateur du Parti Socialiste Européen, l'autre membre du Parti Populaire Européen, donc une grande coalition à la sauce moldave) et le Parti Libéral, favorables à l'intégration pleine dans l'UE, et par conséquent, l'expression de l'élite patronale financière et parasitaire, de l'autre côté il y a le Parti Socialiste de la République de Moldavie (qui n'a pas d'associations internationales) et le parti Patrie, favorables par contre à un programme d'intervention massive de l'état dans l'économie, à la sauvegarde des secteurs productifs, à l'augmentation de la protection sociale et surtout, à l'association du pays à l'Union Douanière, l'accord d'intégration économique auquel participent actuellement la Russie la Biélorussie et le Kazakistan et qui en 2015 deviendra l'Union Eurasiatique, tout en s'amplifiant ultérieurement. Au milieu de ces deux blocs il y a le Parti Communiste, dont le programme n'est pas très clair sur la politique étrangère, puisqu'il ré-propose l'équilibrisme proposé pendant les huit années de gouvernement (sans tenir compte des accélérations des derniers temps) et il semble donc ne pas avoir abandonné l'aspiration à l'intégration européenne : sur l'accord d'association avec l'UE on dit simplemnt que le pays "n'était pas prêt" pour le signer, sans exprimer aucune opposition de principe. Selon un sondage de l'Institute of Public Policy, financé par Soros, et donc non suspect de vouloir orienter les consensus en direction de partis fortement motivés par une alliance avec la Russie, comme le Parti Socialiste et Patrie, ces derniers et le Parti Communiste pourraient obtenir ensemble de 53 à 55 sièges, tandis que les trois partis favorables à l'intégration européenne seraient à hauteur de 47-50, sur 101. Cependant, le chemin pour arriver à une alliance entre communistes, socialistes et Patrie, laquelle amènerait à s'extraire du traité d'association avec l'UE, serait fortement orientée vers la Russie comme partenaire politique et économique privilégié, et peut-être, selon l'organisation révolutionnaire ukrainienne Borotba (http://borotba.su/european_integration_for_the_elite-_who_will_win_the_elections_in_moldova.html), même en mesure d'infléchir l'ultra-pouvoir des oligarques locaux, paraît très raide. D'après beaucoup d'analystes politiques en effet, le Parti Communiste serait plus orienté par une surprenante alliance avec les partis philo-impérialistes ; actuellement, comme on peut le lire aussi sur les sites officiels, la dialectique entre communistes et socialistes est très très âpre et ne laisse pas du tout entrevoir une future alliance : sur la balance il y a des accusations de vouloir modifier les règlements et les seuils de barrage in extremis au détriment des socialistes. Si le scénario de la super-alliance philo-UE des démocrates, libéraux, libéral-démocrates et communistes devait se vérifier, le Parti Communiste écrirait une page très noire dans l'histoire de la Gauche Européenne, qui pourrait anticiper d'autres pages noires (où pour pages noires on entend de subordination à l'impérialisme européen) dans d'autres pays du continent.
A la lumière de ces faits, la question de l'attitude envers l'UE, de rupture ou de réforme, se pose de plus en plus comme une ligne de démarcation à l'intérieur de la gauche de classe et radicale européenne : les postures d'équilibrisme, conscient ou pas, deviennent de plus en plus la feuille de vigne de la subordination de fait à l'impérialisme européen.
Au-delà de ces implications, la tension en Moldavie est palpable, une nouvelle situation d'impasse semble possible, comme n'est pas à exclure une précipitation de type ukrainien, dans l'affrontement ; même ici la situation est compliquée par le facteur ethnique, qui recoupe en partie les divisions politiques ; pour une grande majorité de roumains (70%), se côtoient des fortes minorités d'Ukrainiens et Russes ; les partis philo-impérialistes regardent majoritairement aux Roumains, tandis que les partis philo-russes se posent aussi comme l'expression organique des populations d'ethnie et de culture russe ; plus transversal est le Parti Communiste.
Un ultérieur facteur de tension est représenté par la question encore ouverte de la Transnistrie, qui a toujours compliqué les rapports avec Moscou (et avec l'Ukraine) : la petite région à majorité russe à la frontière avec l'Ukraine, s'est déclarée un état indépendant de fait (en arborant, entre autres, le drapeau de la Moldavie Socialiste) en 1990 sans aucune reconnaissance internationale ; sur elle la Moldavie revendique la pleine souveraineté et dans les premières années de 1990, a accompli de sanglantes attaques militaires, en provoquant le déploiement d'un contingent russe sur la frontière avec la région indépendantiste suite à un accord précaire encore en vigueur. Après le referendum qui a marqué l'annexion de la Crimée à la Fédération Russe, le Gouvernement de fait de la Transnistrie a demandé d'en faire autant, provoquant l'exacerbation des tensions entre Chisinau et Moscou.
Nous verrons comment cet affrontement évoluera, il peut représenter la énième mèche en mesure de faire déflagrer un énième conflit de vastes proportions à la périphérie de l'Union Européenne.
Giovanni Di Fronzo
Contropiano.org
http://contropiano.org/internazionale/item/27820-la-moldavia-al-bivio-scenario-ucraino-per-chisinau