Digital labor : une exploitation sans aliénation - par Dominique Cardon (2016)
La notion de digital labor connaît un grand succès. Pourtant, les constats sur la mise au travail généralisée des internautes ne font pas théorie. L’exploitation du travail des internautes s’inscrit en fait dans une sorte de nouveau contrat social entre les plateformes et les usagers.
L’étonnant succès que rencontre aujourd’hui la notion de digital labor est le témoin des incertitudes pratiques dans lesquelles nous plongent les nouvelles réalités numériques. Pour beaucoup de ceux qui la manipulent, elle consiste à requalifier sur un air transgressif chaque activité numérique en révélant à ceux qui s’y livrent : « Vous croyez faire X, mais en fait vous travaillez pour Y ». Écrire sur Wikipédia, cliquer sur lien, décoder un captcha, partager ses photos sur Internet, échanger des blagues avec ses amis sur les réseaux sociaux, etc., plus rien n’échappe à l’extraction de valeur par les plateformes. Élargissant systématiquement son champ d’application à la quasi-totalité des gestes déployés devant une interface numérique, la formule se présente comme un rite de désenvoûtement, une potion un peu amère et sans illusion qui se vide très vite de sa valeur subversive. Car, nous découvrir « travailler pour » ne nous décourage en rien de continuer à user des réseaux numériques ; il n’est d’ailleurs pas rare – misère de la critique – que les promoteurs du digital labor profitent activement des usines laborieuses du capitalisme numérique pour promouvoir leur thèse et voir les exploités la rendre populaire sur leur lieu de travail.