Je publie ci-dessous la trace écrite d'une des émissions de France Culture les plus stimulantes et réussies par la qualité des échanges qui purent s'y exprimer. C'était en 2004 et le sujet traité, les origines du langage ; les invités de Catherine Donné, le sociologue et directeur du magazine Sciences Humaines Jean-François Dortier, Frédéric Kaplan, ingénieur et chercheur en Intelligence Artificielle, et Jean-Louis Dessalles, informaticien chercheur en Intelligence Artificielle et en Sciences Cognitives. Malheureusement manquent quelques minutes du début et quelques mots qui étaient incompréhensibles. L'émission n'étant plus disponible au public, c'est un document personnel auquel je tiens particulièrement, et que je partage avec plaisir avec tous les curieux du Club et au-delà.
France-Culture
24.02.04
Émission Science Culture de Catherine Donné (19.30-20.30)
réal. Brigitte Aléo, prise de son Jacques Vincent
invités : Jean-François Dortier, Frédéric Kaplan, Jean-Louis Dessalles
Transcription d’après enregistrement magnétique
[manquent quelques minutes du début de l’émission]
Jean-François Dortier : [...] Il va y avoir une sorte de mise à l’écart de cette question parce que au fond étudier les origines du langage, comme c’est forcément... on a pas de fossiles, on n’a pas de données directes, c’est une question oiseuse pour des gens pas très sérieux, et il faudra attendre pratiquement un siècle pour que cette question redevienne à l’ordre du jour.
Catherine Donné : Oui, Frédéric Kaplan, vous me disiez vous, ce que vous faites, ça fait une dizaine d’années que ce type de recherches existe en France. Peut-être alors dites-nous ce que vous faites, rapidement, et depuis quand ce champ de recherches s’est installé sur le sol français.
Frédéric Kaplan: Alors il y a eu un véritable renouveau de ces questions dans ces dix dernières années. Nous, on a un rôle un peu particulier parce que on essaie de faire des expériences dans ce domaine ; c’est un domaine où on ne peut pas faire d’expériences parce que il y a pas beaucoup de moyens d’enfermer des enfants et de voir quel genre de langue par exemple il pourraient créer si on les laisse en contact avec leurs parents, pendant un certain temps. Donc, ce qu’on fait c’est qu’on essaie de faire ce genre de choses mais avec des robots, et on dote ces robots de capacités particulières, et on voit comment, en les laissant interagir les uns avec les autres, ils sont capables donc, d’avoir un début de communication linguistique qui s’instaure entre eux.
C. D.: Et donc c’est assez récent hein ?, évidemment il a fallu déjà qu’on puisse avoir des robots assez... ben assez perfectionnés, qu’on arrive en intelligence artificielle à un certain niveau de connaissance, j’imagine...
F. Kaplan : Oui, à l’utilisation de ce genre d’outils pour essayer non pas forcément d’apporter des réponses définitives dans ce débat, mais de l’organiser un peu en disant ben, voyez, je mets telle capacité dans mes robots, je leur donne la possibilité d’interagir de telle et de telle manière, je leur permets d’apprendre d’une certaine manière comment ils vont interagir les uns avec les autres, et bien cette possibilité là est assez récente et elle commence petit à petit à jouer son rôle dans ce débat.
C. D.: Jean-Louis Dessalles, quand on regarde la bibliographie proposée par Jean-François Dortier à la fin de son livre, — parce qu’on peut ensuite selon les centres d’intérêt qu’on s’est choisi en parcourant son livre, essayer d’aller en savoir plus — on voit beaucoup d’anglo-saxons; alors est-ce que ça veut dire que en France on est un peu en retard sur ces questions-là, qu’elles ne sont pas très explorées... ?
Jean-Louis Dessalles : oh j’ai envie de dire oui...
C. D.: ...
J.-L. Dessalles : C’est-à-dire que maintenant c’est le renouveau un peu, après les interdits du XIXe siècle, effectivement depuis dix ans on commence à replacer la question de l’origine du langage dans le cadre de la théorie de la sélection naturelle, de la théorie darwinienne. Et nous avons maintenant les moyens de le faire par différentes approches, une approche interdisciplinaire, d’une part, en croisant les données des paléontologues, des linguistes, et de gens comme nous, qui sommes des informaticiens qui faisons des modélisations. Donc maintenant on peut mettre à l’épreuve certaines théoriesde l’origine du langage, à l’épreuve de la simulation informatique. Donc ça, c’est mon métier, je le pratique à l’École Nationale Supérieure des Télécoms avec des étudiants, qui nous aident beaucoup, et donc voilà : par la simulation on peut arriver à s’apercevoir du fait que beaucoup de solutions proposées, de scénarios proposés pour l’origine du langage, sont erronés.
C. D.: mm... alors l’idée de la sélection naturelle de remettre cette question dans le cadre plus général de la sélection darwinienne, c’est se dire finalement pourquoi... pourquoi est-ce que les hommes qui ont possédé le langage enfin... qui ont mis en place le langage finalement ont survécu, c’est ça ?... ils se sont imposés...hein ? c’est ça le...
J.-L. Dessalles : Voilà, pourquoi nous descendons des individus qui parlaient...
C. D.: Voilà...
J.-L. Dessalles : Plutôt que des individus qui se contentaient d’écouter...
C. D.: Qui parlent pas, voilà... (rire)
J.-L. Dessalles : Et... c’est pour ça hein ? pour revenir à la question des anglo-saxons, c’est que les anglo-saxons sont beaucoup plus au fait des théories darwiniennes, peut-être parce que Darwin était lui-même anglais, mais aussi sans doute parce qu’ils ont moins de blocages... culturels, que notamment les personnes de l’Europe du Sud qui ont peut-être... quelque.. l’enseignement... de la théorie de la sélection naturelle est sans doute beaucoup plus mal fait en Europe du Sud...
C. D.: Pour des questions religieuses, vous sous-entendez... ?
J.-L. Dessalles : Peut-être, ça je ne suis pas du tout expert...
C. D.: (sourire) Jean-François Dortier... ?
J.-F. Dortier : Oui, cette question des origines du langage, effectivement il y a une dizaine d’années qu’on l’étudie vraiment, mais peut-être qu’il faut qu’on la resituer dans un contexte plus vaste qui à mon avis remonte un petit peu plus loin, il y a déjà vingt-trente ans, et à mon avis il y a deux ou trois domaines d’émergence disciplinaire qui ont permis la réapparition de cette question.
Alors, on l’a dit, le langage il ne laisse pas de traces, il laisse pas de fossiles. Il y avait cette belle idée, je crois que c’était Rabelais qui l’avait dit, qui s’imaginait qu’un homme des neiges, par un jour de grand froid, se serait mis à chanter, et son chant aurait été gelé le long des parois. Mais bon... on n’a pas de fossiles. Alors on est obligé d’aborder la question par des traces indirectes, par des traces indirectes. Mais, donc disons environ trois décennies, on a plusieurs champs Premier, c’est celui quand même des expériences qui ont été faites sur les chimpanzés pour tenter d’apprendre à des chimpanzés puis à des gorilles, et globalement à plusieurs types de primates, supérieurs, le langage des signes, le langage des signes des sourds-muets. Et maintenant on a quand même un bilan de trente ans d’expérience qui nous permet, alors bon... on en parlera j’imagine un peu plus dans le détail, en gros de changer la perspective initiale qui était d’avoir tracé une frontière absolument radicale entre les aptitudes des humains et celle des chimpanzés. Une chimpanzé comme Ouachou, la plus célèbre, la plus connue, qui vit encore d’ailleurs, et qui a été la première à faire cette grande expérience, a appris environ 300-400 mots, qu’elle utilise à bon escient. Elle sait en associer deux, alors... et ce sont des signes arbitraires, du langage des signes. Donc c’est un premier pas qui montre que la communication, alors ce n’est pas le grand dialogue entre les êtres humains et une autre espèce, avec des conversations sur leurs représentations mentales, mais en tout cas ça a permis de faire progresser cette question.
Un deuxième aspect c’est des recherches en paléoanthropologie, où on a des données qui proviennent de l’appareil phonatoire, des capacités d’articulation. Là encore il y a une vingtaine d’années, il était admis que seuls les Homo Sapiens auraient pu très récemment, pouvoir parler, parce qu’ils disposaient d’un appareil phonatoire leur permettant de parler. Or, aujourd’hui on a plusieurs données qui nous laissent supposer que beaucoup plus tôt, dans la préhistoire, c’est-à-dire il y a peut-être 2.000.000 d’années, il y a des... alors on a découvert une zone de Broca, chez un Homo Rodolphensis, c’est-à-dire un des premiers êtres humains parus en Afrique. Maintenant on a aussi des éléments sur des appareils phonatoires qui laissent entendre que les Hommes de Neandertal avaient des possibilités d’articuler cinq, peut-être huit sons différents, et avec huit sons vous pouvez déjà dire beaucoup de choses hein ?, en français vous avez trente phonèmes simplement pour exprimer des tas de langages, des tas de choses.
Un troisième domaine, c’est celui de l’archéologie. Et en archéologie, maintenant par des moyens détournés aussi, on s’interroge sur la possibilité.. on se demande si il y a un degré technologique suffisant, comme par exemple la construction des huttes, il y a 500.000 ans, comme à Terra Amata, près de Nice, où on a des fabrications de huttes assez importante, où des gens vivaient dans des huttes de 20m², avec une vingtaine de personnes à l’intérieur, des huttes qu’il a fallu couper avec des gros rondins de bois, gros comme mon bras ; vraisemblablement on a une communication élaborée qui va bien au-delà des simples signes qu’échangent les animaux. Et ça c’est un troisième domaine.
C. D.: Vous voulez absolument nous dire qu’il y a beaucoup d’autres choses que les sciences cognitives, et que l’Intelligence Artificielle...
J.-F. Dortier : Oui... non, non : je pense que la théorie de l’évolution est un autre aspect, est un autre aspect important qui a permis effectivement de faire... Jean-Louis Dessalles a raison, qui a permis de faire des modélisations sur le langage, de la même façon les études en psycholinguistique sont très importantes. Les études sur les robots sont effectivement très importantes aussi. Donc on en fait une configuration de plusieurs domaines qui sont en convergence et qui nous permettent de forger, de rassembler des éléments d’un puzzle qui est encore très très très fragmentaire...
C. D.: Alors, moi ce qui m’a beaucoup frappée quand même dans votre livre L’homme cet étrange animal, c’est que tout ce qu’on croyait savoir, bon, ce sont des idées qu’on avait apprises à l’école, qui ont peut-être quelques années, mais enfin tout ce qu’on croyait savoir sur le propre de l’homme, tout ça c’est... vous tirez à boulets rouges finalement sur tout ce qu’on nous a appris, alors l’homme c’est l’outil, non l’homme c’est pas l’outil, ce serait trop réducteur, alors l’homme c’est le langage, non plus, l’homme c’est l’expression artistique, non plus. C’est assez intéressant bon, à quel point maintenant, ce croisement de disciplines permet de remettre en cause beaucoup des théories qui comme peut-être toutes les théories, sont trop univoques. Moi, ce qui m’a frappée pour l’émission de ce soir, c’est quand vous dites finalement : non non, la pensée ce n’est pas le langage.
Alors ça, je voudrais qu’on en discute un petit peu, parce que c’est quand même une idée extrêmement répandue, que la pensée s’arrête aux limites du langage. Et tout le monde porte en soi ce préjugé, même qu’on l’entende d’une manière tout à fait fortuite, mais socialement un illettré est censé ne pas être capable de penser le monde dans lequel il vit, enfin on véhicule tous une très grande valorisation du langage et de l’écrit. Et vous, vous nous dites que non, en fait le langage n’est qu’une province de la pensée, c’est une production qui est possible grâce à des schèmes cognitifs beaucoup plus profonds.
J.-F. Dortier : Oui, c’est exactement ça. Donc vous avez raison de dire, d’abord, c’est depuis quelque temps, un des propres de l’homme, c’est-à-dire l’orgueil de son espèce qui consiste à s’ériger au-dessus des autres espèces, d’ailleurs, et à dire : je suis doué, je suis doué on a dit : de raison ; on a dit : de conscience ; on a dit : de culture ; on a dit : d’intelligence ; on a dit : de langage ; on a dit : d’art ; on a dit : le rire ; on a dit des tas de choses pour définir le propre de l’homme. Et effectivement en regardant d’un peu plus près nos cousins primates, ou les cétacés, ou parfois les oiseaux, un à un chacun de ces critères se sont disons effrités. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il y aurait plus de différences et que d’un seul coup nous serions tous mélangés... bon. Mais c’est vrai que les barrières linguistiques, elles sont beaucoup plus floues que ne l’étaient auparavant. Les barrières de la technique, on le sait aussi, il y a des proto-cultures, on parle de proto-culture chimpanzé, des échanges d’innovations d’une communauté à l’autre entre groupes de chimpanzés ; sur les aptitudes artistiques on en trouve chez des oiseaux, enfin bref.
Alors, la question que je me suis posé c’est... — alors le langage étant évidemment souvent un des critères prépondérants pour définir l’humanité — la question que je me suis posé dans ce livre d’abord, c’était une enquête justement, sur les recherches récentes autour de tous ces domaines. Et je me suis dit, mais comment se fait-il que l’homme ait pu s’attribuer autant de propriétés, autant de dignité, et qu’on puisse avoir finalement une pléthore de réponses ? Alors, on a deux hypothèses : premièrement — parce que je pense quand même qu’il y a, on a une culture symbolique qui est différente des proto-cultures des chimpanzés, hein ? jusqu’à preuve du contraire aucun chimpanzé n’a construit de cathédrales, n’a construit de robots, bon ; en matière linguistique c’est pareil, il y a des propriétés du langage des chimpanzés, ou d’autres primates, mais personne ne raconte vraiment d’histoires, les chimpanzés ils n’ont pas vraiment des choses à se dire en fait hein ?, bon — donc première hypothèse : la nature se serait penchée sur l’être humain et lui aurait donné tout une série de vertus, et d’atouts. C’est ce qu’on appelle en psychologie évolutionniste la théorie modulaire, qu’est-ce qu’on veut dire par là ? c’est que le cerveau humain, en fait est doté de toute une série de propriétés spécifiques, l’intelligence technique, une intelligence sociale qui nous permet de vivre en groupe, une intelligence linguistique qui lui permet de parler, une intelligence artistique pourquoi pas, qui nous permettrait d’avoir de l’art, et il faudrait pour chacune de ces propriétés, inventer finalement une nouvelle forme d’intelligence, qui serait... qui ait forcément un siège cérébral.
Alors l’hypothèse que j’avance, — et je ne suis pas le seul, avec d’autres — c’est qu’il y aurait peut-être une relation cachée qui unirait tous ces phénomènes, une propriété plus fondamentale qui permettrait d’expliquer tout à la fois, l’émergence des techniques, de l’art, du langage, des cultures symboliques. Et, si c’est le cas, bon on va évidemment en parler un peu, c’est une autre façon d’aborder le langage, c’est-à-dire effectivement, comme... vous avez raison, ce n’est qu’une province, et donc on ne peut pas aborder le langage uniquement en tant que tel, il faut s’interroger s’il n’y a pas derrière une aptitude plus fondamentale.
C. D.: Alors Jean-Louis Dessalles, c’est une hypothèse que vous partagez, cette idée qu’on ne peut plus dire aujourd’hui que l’homme naît... alors, c’est une expression d’André Langaney que Jean-François Dortier... pour la reprendre, pour la critiquer, qui est celle de “singe grammairien”... ce serait finalement dire que la barrière entre le chimpanzé et l’homme c’est le langage, ce serait abusif... ?
J.-L. Dessalles : Il y a deux choses là, l’idée... il y a une idée qui est malheureusement assez commune dans le milieu scientifique, qui est que le langage est un bienfait, et que ce qui manquait aux chimpanzés pour arriver à parler c’était la grammaire, c’était la syntaxe, bon. Ça les gens qui sont au courant un petit peu des mécanismes de la sélection naturelle savent que ça ne tient pas. Ce n’est pas la grammaire, la syntaxe, la capacité à enchaîner des mots pour former des phrases... est un moyen, mais surtout l’idée dont on est sorti c’était cette idée naïve selon laquelle le fait de parler étant un bienfait magnifique pour toutes les espèces, et que si le malheureux chimpanzé ne parle pas, c’est que il n’a pas eu le temps d’évoluer, je ne sais quelle autre fable. Non, nous sommes différents des autres animaux, toutes les espèces animales sont différentes, l’éléphant a une trompe, les castors font des barrages, et nous, nous parlons, ça fait vraiment partie de nos particularités.
Alors, pour rejoindre ce que disait Jean-François Dortier, on sent bien que parmi toutes ces particularités humaines que vous avez citées, l’art, la religion, le fait quand même d’avoir des capacités d’ingénierie, pour l’espèce humaine, on sent bien qu’il y a une espèce de déterminisme commun. Alors, j’ai bien envie quand même de mettre le langage un petit peu au centre, c’est-à-dire lui faire un petit peu jouer ce rôle. Et en cela je suis quelqu’un d’assez prestigieux, qui est en l’occurrence Jacques Monod, qui a émis je crois un des premiers cette hypothèse, qui est que l’originalité de notre espèce est due au fait que nous avons le langage. C’est le langage qui a entraîné un petit peu les autres facultés. Contrairement à l’idée souvent répandue qui est que nous sommes devenus intelligents parce que nous étions je ne sais pas quoi... débout, ou on avait des mains pour nous fabriquer des outils, que ça nous a rendu intelligent et que après on avait rien trouvé de mieux que de se mettre à parler. Et ce que fait Jacques Monod c’est qu’il renverse un peu cette logique, et il dit non, nous sommes intelligents, nous manipulons des concepts, parce que nous avons un intérêt à parler et à communiquer des concepts. Donc, l’intelligence est une conséquence du langage et non pas une cause.
C. D.: ... Jean-François Dortier ?
J.-F. Dortier : Voilà, c’est la position sur laquelle nous sommes en désaccord, puisque je soutiens une position exactement inverse. Alors, bon cela dit il faut argumenter.
S’il est vrai que le langage serait la cause qui permet d’expliciter d’autres propriétés de l’être humain, — par exemple : les productions artistiques, par exemple : la production technique, par exemple : les cultures symboliques — il faudrait démontrer d’abord que chacune de ces attitudes est profondément liée à la capacité de parler. On a à mon avis des éléments qui permettent d’aller à l’encontre de cette hypothèse. Je vais en citer quelques uns.
Premièrement, il y a les travaux sur les aphasiques. Les travaux sur les aphasiques, je renvoie au très beau livre de Dominique Laplane, qui a écrit un livre avec quelques uns qui s’appelle La pensée d’outre-mots[1] , qui étudie des gens qui ont eu, connu des phases très profondes de détérioration linguistique, dans certains cas il y a eu des crises aphasiques, des personnes ont connu des crises aphasiques, Dominique Laplane — et je le cite d’ailleurs dans mon ouvrage aussi, — c’est le cas d’un médecin qui s’appelle le docteur Lordat, qui est au XIXe siècle, avait connu comme ça un épisode de plusieurs mois où son langage avait complètement disparu. Quand on dit que son langage avait disparu, non seulement il ne reconnaissait plus le sens des mots, il ne connaissait plus la grammaire, il ne pouvait plus lire, et c’était une crise subite. Et ce médecin raconte lui-même plus tard, que quand il a été face à cette maladie, à l’époque on ne connaissait pas cette maladie, lui-même s’est interrogé à chercher dans des ouvrages, dans des encyclopédies pour comprendre ce qui lui arrivait, il a découvert d’ailleurs ce faisant qu’il ne pouvait pas lire, il ne pouvait pas s’adresser pour expliquer, mais il raconte qu’il possédait quand même toutes ses facultés mentales, il lui semblait posséder toutes ses facultés mentales, puisque justement il cherchait quelle était l’origine de sa maladie... bon. Alors, si le langage était vraiment le mécanisme déclencheur de notre type de pensée, de représentations mentales, de stratégies intelligentes, alors vraisemblablement elles devraient être profondément détériorées, et l’idée selon laquelle pas de mot pas de pensée, bon... ça, ça me paraît être un premier argument qui va à l’encontre de l’idée selon laquelle le langage serait finalement le moteur décisif.
C. D.: Alors, on laisse Frédéric Kaplan peut-être répondre...
F. Kaplan : Alors, au milieu de ce débat il y a une expérience intéressante qu’on a mené, qui consistait en fait à donner la possibilité à deux robots d’explorer l’environnement, un peu comme ils le voulaient, — ce qui leur permettait... — avec l’idée d’essayer de le catégoriser d’une certaine manière. Et donc, typiquement quand vous faites cette expérience vous allez avoir un robot par exemple qui va développer des stratégies pour utiliser les couleurs : il va faire la différence entre les différentes parties de son environnement, en disant celle-ci est plus rouge, plus vert. Un autre robot peut utiliser par exemple, les formes, et c’est finalement difficile de dire si il y a un système qui est meilleur l’un que l’autre.
Si maintenant, vous faites une expérience dans laquelle ces deux robots ils ont à communiquer, l’un avec l’autre. C’est-à-dire en fait, qu’ils vont devoir, par exemple, essayer de pointer un objet de leur environnement — l’un va dire un mot et l’autre essayer de dire ben oui, ça c’est cet objet en le touchant, par exemple. S’il y a cette espèce de contrainte. Et si on ne leur permet pas de regarder bien sûr dans la tête de l’un et de l’autre. Il y a un phénomène intéressant, qui va en fait induire une forme de convergence entre ces catégories internes, que les robots construisent au fil de leur interaction, de manière à ce que elles puissent être compréhensibles par un autre robot.
Alors, dans ce débat pour savoir est-ce que la pensée précède le langage ou bien le langage précède la pensée, on a ici, alors bien sûr ça, c’est des modèles assez simples, somme toute, mais on voit en fait, au moins une situation dans laquelle au moins, il y a une forme d’influence assez claire dans la situation où les robots doivent communiquer, qui va amener vers une certaine convergence, vers certains concepts communs, qui n’a pas lieu bien sûr, si ce sont des robots... des robots individuels.
C. D.: Donc en fait, le fait de partager le langage, le fait de dialoguer, donc si j’ai bien compris... modèle l’intelligence humaine ? Donc ça serait... là vous prêcheriez plutôt sur l’idée : du langage découlent nos représentations...
F. Kaplan : Alors, c’est toujours difficile d’extrapoler à partir de ces expériences, justement : c’est l’intérêt de ces expériences, c’est de dire voilà, on a mis ces capacités dans ces robots, qu’est-ce qu’on peut en conclure ? comment ça se positionne sur le débat. Ce que ça montre, c’est que, en tout cas dans cette expérience et avec le modèle sous-jacent, on a une situation dans laquelle certains concepts ne seraient pas développés en fait par ces robots, s’ils n’avaient pas cette nécessité de communiquer.
C. D.: Oui, alors Jean-Louis Dessalles, restent les aphasiques quand même de Jean-François Dortier... (rire), qu’est-ce qu’on en fait ?
J.-L. Dessalles .: ...Loin de moi l’idée de réduire le langage à sa production. L’idée c’est que, pour prendre une très mauvaise image, si vous prenez... lancez un programme dans un ordinateur, un programme par exemple, comme les simulations que nous faisons tourner, si vous débranchez l’écran et le clavier de l’ordinateur, ça continue à tourner. Donc, l’idée c’est que le langage c’est pas seulement la production des mots, c’est pas seulement la syntaxe, c’est aussi la production du sens, hein ? C’est la capacité à conceptualiser. Donc si on inclut la capacité à conceptualiser dans le langage, c’est-à-dire le langage n’est pas apparu avant qu’on ait quelque chose à dire, à ce moment-là, je pense, qu’on puisse tomber d’accord. C’est-à-dire, cette capacité à conceptualiser, qui n’a d’autre fin que de communiquer, nous a permis par ailleurs, à, en simplifiant, à devenir plus intelligents, de nous mettre à résoudre des problèmes d’une meilleure façon, et ainsi de suite. Donc, moi c’est comme ça que j’ai envie de défendre l’idée de Jacques Monod.
Ça veut pas dire que je vais mettre comme primus movens le langage. Je pense effectivement qu’il y a un déterminant avant. Si on cherche un chaînon manquant, vous savez le fameux chaînon manquant on le cherche dans les squelettes, on a pléthore de squelettes, on a très peu de squelettes pour l’évolution des chimpanzés, on en a plein pour l’évolution humaine, il y a toujours des gens qui vont vous réclamer un chaînon manquant, bon. Mais ce qui nous manque c’est un chaînon manquant conceptuel, c’est-à-dire qu’est-ce qui nous a fait bifurquer au cours de l’évolution d’un mode de vie du type primate, qui ne parle pas ou qui communique de manière comme on dirait... assez répétitive... La communication des primates ou des animaux en général peut être très complexe : on ne comprend rien à la communication des dauphins, dont la complexité nous échappe. Mais l’idée c’est que leur communication, comme vous disiez Jean-François Dortier, la communication des chimpanzés, finalement ils n’ont pas grand-chose à se dire, d’un point de vue humain, hein ? c’est un jugement peut-être de valeur... L’idée c’est que notre communication diffère qualitativement de la leur, et la question est de savoir quel est le chaînon manquant, qu’est-ce qui a fait qu’on ait bifurqué, et mon candidat à moi c’est pas le fait qu’on s’est mis à avoir un pharynx plus bas, à émettre des sons ou à pouvoir enchaîner des mots par une grammaire, je pense vraiment que le chaînon manquant c’est un changement d’organisation sociale : nous avons une organisation sociale qui diffère qualitativement de celle des autres primates, et qui fait que dans cette nouvelle organisation sociale, les individus ont intérêt à communiquer. Ce qui n’est pas le cas chez les autres primates. Donc, là on a peut-être un chaînon manquant, et cette organisation sociale différente a pu entraîner le langage d’un côté, et d’autres choses, pourquoi pas ? l’expression artistique, même la religion ou d’autres phénomènes qu’on considère comme proprement humains. Donc, il y aurait une bifurcation qui serait de type d’organisation sociale qui aurait entraîné tout un tas de choses, le langage étant effectivement un élément assez fondamental, le langage et la pensée qui le soutend.
C. D.: Alors, bifurcation sociale, il faut que vous nous en disiez un peu plus tout de suite parce que sinon les auditeurs vont attendre, alors quel type d’organisation sociale ?, qu’est-ce qui se serait passé pour que justement voilà, on se mette à, comme vous disiez, à produire cette capacité à conceptualiser afin, afin de communiquer.
J.-L. Dessalles : Alors, moi j’ai un candidat hein ?... nous, nous avons tous des thèses ce soir... j’ai la mienne...
C. D.: C’était interdit au XIXe siècle mais ça revient en force... (rire)
J.-L. Dessalles : Voilà, voilà, comment vous dire, on a le droit de dire des bêtises[2]...
C. D.: (rire) ...Non mais, ce qui est intéressant aussi c’est que même dans les hypothèses les plus modernes, on retrouve des choses qui ont été émises aussi au XIXe siècle, et sans doute bien avant, et c’est aussi l’intérêt de cette émission de ce soir... oui...
J.-L. Dessalles : Alors, je pense la différence avec la situation du XIXe siècle c’est qu’à l’époque, c’était un peu comme le jour des fous, on pouvait un petit peu dire ce qu’on voulait, sans cent critères pour essayer de tailler au sein de la forêt des hypothèses. Maintenant, la situation est très différente. C’est-à-dire que on a des moyens conceptuels pour se dire si telle et telle hypothèse est fausse. Et donc notamment les hypothèses qui viennent immédiatement à l’esprit, qu’on nous a beaucoup raconté, sur le langage est utile à l’espèce, etc. bon, on se rend compte que ça ne tient pas la route. C’est-à-dire que c’est des scénarios qui ne fonctionnent pas, et d’ailleurs quand je les simule sur ordinateur, je vois très bien que les individus qui se taisent s’en sortent beaucoup mieux que les individus qui donnent bêtement des informations utiles à leurs concurrents. D’où l’idée d’avoir des scénarios. Moi, mon candidat c’est une organisation... le fait que nous soyons une espèce politique, finalement. Nous ne sommes pas les seuls, les chimpanzés...
C. D.: comme zoo, c’est Aristote là, vous voyez ? bon... (rire)
J.-L. Dessalles : Voilà, on remonte à Aristote. Mais on remonte aussi un petit peu moins loin à un célèbre livre de Franz Deval, qui a écrit un livre qui s’appelle La politique du chimpanzé, qui décrit notre espèce cousine comme une espèce éminemment politique, dans laquelle les individus font des alliances pour conquérir le pouvoir ; l’idée c’est que nous sommes encore plus graves que les chimpanzés à cet égard, c’est-à-dire nous sommes une espèce très politique, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas nous empêcher de former des coalitions d’individus. Ça peut être des coalitions... ce qu’on appelle l’amitié, nous avons tous des amis, un réseau de relations, ça peut être des choses beaucoup plus formelles qui se traduisent dans nos sociétés modernes par les systèmes politiques proprement dits, et l’idée c’est que le langage vient s’insérer dans ce scénario politique comme un moyen d’afficher des qualités.
Alors, évidemment c’est pas un scénario très simple...
C. D.: ... (rire)
J.-L. Dessalles : ...Mais c’est le scénario le plus simple que j’ai pu trouver, qui soit compatible avec la théorie de la sélection naturelle. Et ça je peux dire en deux mots pourquoi, c’était imaginer que chez nos ancêtres il y ait donc deux belles créatures, appelons-les Ève et Léa, et Ève se met à parler, à donner des informations utiles à ses congénères, et Léa se contente d’écouter ce que dit Ève, et surtout de ne pas dire les informations précieuses, de ne pas les donner aux autres. Le défi que nous avons pour expliquer la naissance du langage, c’est d’expliquer pourquoi nous descendons d’Ève et non pas de Léa, parce que le bon sens voudrait dire que nous descendons de Léa et non pas d’Ève, puisque Léa dispose de ses propres informations plus celles que lui a donné Ève. Donc on devrait descendre de Léa, or nous descendons d’Ève. Donc, ça c’est la partie difficile à expliquer, si on veut rendre un scénario de l’émergence du langage compatible avec la théorie de la sélection darwinienne, qui prévoit des comportements plutôt égoïstes.
Donc là, le langage n’est pas un comportement égoïste, les humains ont énormément de comportements qui ne sont pas égoïstes, c’est très difficile à expliquer dans le cas de la sélection darwinienne, ce n’est pas impossible.
C. D.: Alors, Jean-François Dortier...
J.-F. Dortier : Donc, Jean-Louis Dessalles disait tout à l’heure le langage [...] actuellement il y a beaucoup de recherches qui portent, — en psychologie cognitive, en sciences cognitives globalement — sur une aptitude qui serait propre aux êtres humaines, dans le cas des relations sociales, qui permet une vie sociale particulière, et qu’on appelle la théorie de l’esprit, c’est-à-dire la capacité qu’ont les êtres humains, à pouvoir lire dans les pensées d’autrui, c’est-à-dire à pouvoir imaginer les intentions ou les pensées d’autrui. Je vais prendre un exemple très simple : il y a des expérimentations qui ont été faites récemment sur la fabrication des outils comme des outils de pierre qu’utilisaient les derniers Homo Erectus, qu’on appelle les biface, et même des outils plus sophistiqués, qui arrivent à l’époque dite Moustérienne, il y a environ 150.000 ans, où il faut débiter une pierre en plusieurs tronçons ; ce qui suppose, pour débiter en lamelles un bloc de pierre, une anticipation, une capacité d’avoir une idée, une représentation mentale de ce à quoi on veut aboutir, donc la personne qui reproduit cet objet, qui produit cet objet, doit avoir quelque chose comme une image mentale du but auquel il veut arriver. Ce qui est pour moi le critère fondamental, bon. Un autre humain qui l’observe faire, peut assez vite comprendre quelles sont ses intentions, c’est-à-dire quel but il veut atteindre, et donc d’une certaine façon il partage ses pensées, alors que le chimpanzé pourra essayer de reproduire les gestes, il va refaire à peu près les mêmes choses, mais il n’aura pas compris ses intentions: c’est-à-dire que si la personne par exemple, casse maladroitement... si je suis en train de tailler mes pierres, je casse maladroitement une pierre, je la jette de côté j’en prends une autre pour recommencer, l’être humain en face va comprendre que je me suis trompé et que mon but n’a pas été atteint ; le chimpanzé lui, aura tendance à refaire la même chose, c’est-à-dire à jeter la pierre de côté et à en reprendre une autre, donc à simplement imiter si vous voulez, alors que nous, nous partageons les intentions. Ici, il y a bien eu partage d’une représentation sans langage, sans langage. Et l’hypothèse que je descends... que je défends, c’est qu’il y aurait justement une aptitude à 1. produire des représentations, à les partager donc toute une série d’activités humaines consiste à partager des représentations sans le recours, sans le passage justement, ni par les mots, ni même par une forme profonde qu’on appellerait la conceptualisation.
Quand vous jouez aux échecs, il y a des enfants qui apprennent à jouer aux échecs en regardant d’autres personnes jouer aux échecs ; jouer aux échecs c’est comprendre des règles du jeu, partager des règles du jeu, c’est-à-dire vous n’avez pas besoin de mots, vous n’avez pas besoin de représentations, toute une série d’opérations que connaissent bien les mathématiciens, les géomètres, consiste à penser, à élaborer à partir de représentations mentales. Einstein le faisait, il disait moi je n’utilise pas les équations : j’imagine des mondes, dans ma tête, bon.
Alors, l’idée que je défends ce serait ça, cette aptitude, et il me semble qu’elle est beaucoup moins coûteuse en termes scientifiques. Elle est beaucoup moins coûteuse parce que si cette aptitude-là, pour résumer, à avoir des images mentales, serait finalement la cause fondatrice à la fois de l’art, de la technique, du langage, qui seraient des outils, des outils qui permettent finalement d’exprimer ces représentations mentales, c’est beaucoup plus économique en termes scientifiques. C’est-à-dire qu’on n’est pas obligé de multiplier les hypothèses sur les comportements humains, parce que une fois qu’on expliqué le langage il n’empêche qu’il faudrait expliquer justement l’aptitude à la technique, puis l’aptitude à produire des œuvres d’art, puis l’aptitude à jouer, à justement partager des représentations, et ce qu’on appelle la théorie de l’esprit.
Donc, si on a une cause plus fondamentale, et évidemment là je partage l’idée qu’il faut le prouver, parce que sinon si on avance une hypothèse de plus, il y en a suffisamment sur le marché des idées... donc, il faut le prouver, alors je crois qu’on aura avancé.
C. D.: Frédéric Kaplan, ça rejoint des questions qui peut-être intéressent les chercheurs en Intelligence Artificielle, justement...
F. Kaplan : Finalement, nous ce qui nous semble le plus dur, pour avoir deux robots qui réussissent petit à petit à construire on va dire une représentation culturelle ensemble, c’est une notion qui se rapproche tout à fait de ce que vous dites, et qui est la notion de partage de l’intention. C’est-à-dire que si vous la mettez dans ces deux représentations... si vous dites ces deux robots, ils savent qu’il sont en train d’essayer de se comprendre l’un l’autre, et quand un pointe vers un objet, l’autre sait que ça veut dire en fait, qu’il lui indique d’une certaine manière cet objet comme étant quelque chose d’intéressant dans son environnement, pour qu’il en apprenne le sens ; et bien si vous, si vous mettez ça dans le système finalement, ce n’est pas très difficile après, pour les deux robots, de se mettre d’accord qu’on va utiliser tel mot pour désigner ceci.
Maintenant si vous ne mettez pas ça, c’est-à-dire si vous avez vos deux robots, et vous les laissez se balader, il y en a un qui dit un mot, qui émet un son de temps en temps, l’autre ne pourra jamais savoir de quoi il s’agit. Parce que ils ne seront pas ensemble en train de regarder la même chose, et même pour aller plus loin, ce n’est pas simplement le fait de regarder la même chose, ils ne seront pas ensemble en train d’avoir la même intention vers cette chose.
Alors, c’est pas encore la théorie de l’esprit, et finalement il y a peut-être un précurseur à cette théorie de l’esprit, qui serait finalement la détection des intentions, c’est-à-dire le fait d’être capable de lire dans le comportement de l’autre : quand un robot voit dans un autre robot se déplacer, il ne le voit pas simplement comme étant une espèce de mouvement dans son champ visuel, il le voit comme étant un mouvement qui est dirigé vers un but, qui est un mouvement qui est dirigé par une forme d’intention. Et ce point crucial, le partage de l’intention, de l’attention et de l’intention, c’est dans notre série d’expériences qu’on est en train de réaliser, le point difficile vraiment.
C. D.: C’est crucial. Et en effet, les animaux ont probablement du mal à partager cette attention et cette intention, ce qui pourrait être aussi l’une des explications du fait qu’ils n’aient pas développé un langage parlé, ou un langage disons aussi complexe que le langage humain.
F. Kaplan : Alors à nouveau, comme toujours il faut être prudent avec les animaux, parce que il y a... les études changent et varient, mais c’est vrai que c’est un grand débat de savoir est-ce qu’il y a des animaux qui sont capables d’avoir des manières de partager l’attention, aussi sophistiquées en tout cas que les humains.
J.-L. Dessalles : Alors, Jean-Louis Dessalles, en vous lisant j’ai quand même appris beaucoup de choses sur la communication animale parce que justement vous, vous dites qu’il peut y avoir une communication animale qui passe par des représentations.C’est-à-dire que la communication animale on avait toujours pensé que c’était une question de stimuli et hop, apparaît un prédateur, on crie, tout le monde s’en va, et tout ça c’est fait disons au niveau de l’instinct sans que ça passe par des représentations mentales. Et vous citez l’exemple des singes... que j’ai oublié leur nom... voilà les singes vervé, dont on pourrait grâce à des observations d’éthologie, enfin dont on pourrait tester qu’ils passent par des formes de représentation mentale. Alors, on retrouve ce que disait Jean-François Dortier, alors : qui, qui... ? qu’est-ce que c’est qu’une représentation mentale ? et est-ce que l’animal peut en être doté ? et si l’animal en est doté, qu’est-ce qui ferait la différence radicale avec l’homme ?
J.-L. Dessalles : Oui, alors les... les représentations mentales ne sont pas refusées aux animaux, pas du tout hein ? et je ne pense pas que c’était dans... dans l’idée de mes collègues ici. C’était l’idée que c’était...
C. D.: Oui, mais à l’intérieur du système de communication...
J.-L. Dessalles : ...Voilà, c’était l’idée plus compliquée que ça... c’était l’idée de leur prêter des intentions. Donc là, des représentations mentales effectivement, si on regarde certains animaux notamment les singes vervé, et qu’on leur demande d’associer des situations, on s’aperçoit qu’ils associent les situations beaucoup plus volontiers par le signifié, c’est-à-dire par exemple, si on a deux situations dangereuses, parce que ce sont des animaux qui poussent des cris d’alarme, et si on associe deux situations par leur signifié, c’est-à-dire par le type de danger, ils vont utiliser comme comprendre [?] un signe pour l’autre, même si les signes sont très différents. En revanche on a beaucoup de mal à leur faire associer des signifiants, c’est-à-dire des types de cris qui se ressembleraient mais qui n’auraient... qui donneraient des... qui auraient des significations, en termes de danger, qui seraient différentes. Donc, en fait on s’aperçoit que on peut penser qu'ils ont la représentation mentale du danger, quand ils entendent un cri, et que c’est par cet intermédiaire là qu’ils font des associations.
Donc, les animaux on leur donne des représentations mentales qui soutendent leur communication. Mais le débat là tout à l’heure, était de savoir si parmi ces représentations mentales, des choses beaucoup plus compliquées, qui sont le fait de prêter une intention à autrui, est quelque chose qu’on partage avec les animaux ou non. Donc, il y a un consensus qui grandit pour dire que non, nous avons ceci en propre, en tant qu’humains ; d’où l’idée qui a été... qui est défendue par beaucoup de mes éminents collègues qui est que, — et qui est à peu près ce que Jean-François Dortier voulait signifier — qui est que cette capacité apparaît en premier et que le langage est une conséquence. Et moi je maintiens, — je suis cohérent... (rire) — que ça marche à l’envers. C’est-à-dire que cette capacité effectivement elle est fondamentale, la capacité à comprendre les intentions de l’autre d’une part, et vous avez aussi cité la capacité à former des images mentales, à faire de la conceptualisation sur des simulations mentales, — vous parliez d’économie en termes d’hypothèse — il est beaucoup plus économique d’en faire... de motiver l’apparition de cette capacité-là, par la communication.
Donc, je vous donne juste deux exemples : la capacité à comprendre les intentions de l’autre. Si vous voulez lui montrer qu’il s’est trompé, hein ? si vous voulez argumenter, donc l’argumentation c’est un des propres de l’homme, là, là y a pas photo, vraiment nous sommes les seuls à argumenter, les animaux font beaucoup d’autres choses, mais nous, nous argumentons. Nous sommes en train d’argumenter ce soir entre nous. Et pour que je puisse argumenter avec Jean-François Dortier, il faut que j’aie une représentation de sa logique, de ce qu’il pense, de ses intentions, en termes de défendre des idées ou autres. Donc, ça c’est une première idée, ça, le fait que nous ayons une capacité de comprendre l’autre, c’est essentiel à la communication argumentative.
Et la capacité à avoir des images mentales, à essayer de comprendre des situations, et surtout de comprendre des différences entre situations, qui est une capacité comme vous l’avez dit qui est essentielle pour fabriquer des outils avec planification, là aussi on peut en faire une conséquence de la communication ; parce que si vous voulez montrer à l’autre, toujours pour argumenter, qu’il ment, donc la détection contre le mensonge, ça consiste à contraster ce que vous avez vu avec ce qu’il dit ; et ça c’est une capacité fondamentale de nous, en tant qu’êtres humains, c’est détecter le mensonge par, en contrastant deux situations. Et donc ça, c’est... moi j’ai envie de faire de cette capacité à faire des images mentales, à les simuler dans la tête, à les opposer, à voir ce qui en fait la différence, c’est une conséquence de notre capacité à détecter le mensonge, dans le discours des autres. Donc, j’en fais une conséquence du langage.
C. D.: Jean-François Dortier...
J.-F. Dortier : On peut peut-être décrire concrètement quelques expériences qui ont été faites sur les animaux justement, sur les intentions. Parce que les mots sont abstraits, ils sont toujours marécageux et piégeants. Chaque fois qu’on emploie des termes comme intention, intentionnalité qu’emploient les philosophes, on est en terrain marécageux. Alors, les singes vervés par exemple effectivement, c’est Cheney je crois qui l’a montré, en trois cris d’alarme différents, vous prenez un singe vervé, un cri d’alarme qui informe son groupe qu’il y a un danger, il a un cri différent pour annoncer qu’un aigle est là, l’aigle peut saisir un petit qui est sur une branche, s’il pousse ce cri là, tous les animaux vont venir se réfugier au bas de l’arbre. S’il pousse un cri alertant la présence d’un tigre au contraire, tous les singes qui sont au sol vont grimper dans l’arbre. Et s’il a un cri qui alerte plutôt d’un danger comme un serpent, alors les singes vont regarder de droite et de gauche. Donc, il y a bien là un signe qui représente une réalité différente. Alors on est parti de ce type d’expériences là, et maintenant on a beaucoup de choses effectivement sur le partage des intentions.
Alors, quelques descriptions d’expériences pour être concrets. L’idée donc de partage d’intentions d’abord, il y a plusieurs degrés dans l’intention ; un chat qui dresse le poil et qui crache à la figure, vous avez compris ses intentions, et dans le monde animal ce type d’intentions là est universellement partagé ; sors de mon territoire, j’ai envie de toi, va-t-en d’ici, ça on sait partager, les animaux savent partager, il y a pas besoin de représentation ; un signe direct le manifeste. Alors, on s’est demandé est-ce qu’il y a pas des possibilités de voir si l’animal avait la capacité d’imaginer ce que pensait l’autre, indépendamment de signes extérieurs manifestes, comme la peur, la colère... bon. Alors, une des expériences portent sur ce qu’on appelle la supercherie, la supercherie dans le monde animal, est-ce que les animaux sont capables de tricher pour essayer de faire croire à l’autre quelque chose. Alors, il y a des expériences célèbres, par exemple qui montrent que certaines chimpanzés femelles, qui sont sous la domination d’un mâle dominant dans un groupe, et qui doivent normalement vis-à-vis de ce mâle qui a l’exclusivité sexuelle sur elles, lorsqu’elles veulent avoir une aventure, parce que ça arrive aussi, avec un mâle moins dominant, mais qui est très séduisant, elles peuvent l’entraîner derrière un rocher et copuler en cachette, sachant que donc le mâle ne va pas le voir. Un mâle dominé aussi qui trouve une orange sait que s’il la montre devant le mâle dominant, il y a beaucoup de chances pour que celui-ci se rue sur lui et lui vole l’orange. Donc il peut la dissimuler, on a vu les observations, où le singe au lieu de manger son orange, il la dissimule, il pousse un cri d’alarme, tout le groupe se sauve en s’imaginant qu’il y a un danger, et profitant donc de ce moment de dispersion, va manger son orange. Qu’est-ce qu’il a fait ? c’est d’aller beaucoup plus loin, c’est que là il a anticipé sur le comportement des autres, il a dit si je ne fais rien, on va me la voler mon orange, donc là on a commencé à tricher, à avoir une sorte de supercherie. Alors là, il y a une observation même célèbre, chez les corbeaux, qui sont des animaux très intelligents, sans doute les plus intelligents parmi les oiseaux. B. Heinrich a fait des observations sur les corbeaux dans un très beau livre qui s’appelle Mind of the raven — “ l’esprit des corbeaux ”.Un corbeau là aussi, — il y a une hiérarchie chez les corbeaux — donc un corbeau à qui on donne un morceau de viande, commence à le manger ; derrière il y a deux corbeaux plus forts, plus solides que lui et qui sont capables de lui voler, de lui voler son morceau de viande. Malheureusement ils sont séparés par une grille, donc ils ne le font pas. Si on enlève la grille, le corbeau a bien compris qu’il va se faire voler, alors il va d’abord dissimuler, il va dissimuler son morceau de viande ; mais à malin malin et demi, le corbeau dominant va lui, immédiatement aller à l’endroit où l’autre a caché, et prendre la viande. Et Bienrich a observé cette observation tout à fait intéressante, c’est que une fois que ce petit manège a été fait deux ou trois fois, le corbeau possesseur de son morceau de viande, va simuler auprès des autres corbeaux, qu’il est en train de cacher quelque part de la nourriture, mais en fait l’amener avec lui pour la manger plus loin. Lorsque les deux corbeaux ils vont être libérés, ils vont venir à l’endroit où ils ont cru que l’autre cachait... Alors là on a un cas tout à fait troublant, parce qu’il semble bien y avoir quelque chose qui est : je triche avec les représentations d’autrui. Donc alors, maintenant il y a un débat parmi les spécialistes, parce que à chaque fois qu’on croit trouver des expériences extrêmement discriminantes qui nous mettraient d’un côté, les humains ils sont quand même plus aptes à faire des choses plus élaborées, on s’aperçoit que les corbeaux et quelques chimpanzés et deux ou trois cétacés sont capables de le faire aussi, bon alors à chaque fois donc le débat est reporté un petit peu plus loin. Mais il est vrai que aujourd’hui la majorité quand même des spécialistes en éthologie dite éthologie cognitive, se rangent du côté... dans l’idée que les êtres humains ils ont particulièrement développé cette aptitude à partager les représentations, ils sont devenus experts, peut-être que les chimpanzés peuvent le faire comme une poule peut voler de quelques mètres, mais nous, nous sommes des aigles de ce point de vue là, très très rapidement nous avons déployé cette aptitude qui sans doute... par un phénomène on peut en parler, de co-évolution, qui s’est développé de façon tout à fait extraordinaire chez l’être humain.
C. D.: Alors je voudrais qu’on revienne quelques instants sur ce que disait Jean-Louis Dessalles tout à l’heure, parce que ça me semble quand même une idée qui est somme toute assez banale pour ceux qui connaissent bien la question, mais qui finalement bouscule beaucoup les représentations. C’est cette idée que a priori le langage ne serait pas un bienfait pour l’homme, ça en termes de stricte évolution, si j’ai bien compris, en termes de stricte sélection, le bavard serait plutôt en état de faiblesse. Je voudrais savoir si ça c’est quelque chose qui est unanimement partagé, ou si c’est une thèse originale ou défendue par un certain nombre de chercheurs aujourd’hui, parce que on a tellement cette idée que le langage ait évidemment une supériorité évidente sur l’animal, que j’ai trouvé ça très troublant, même si vous passez très vite là-dessus, sur à peine les premières pages de votre livre, c’est une idée très troublante pour nous en fait...
J.-L. Dessalles : Alors, certainement avant, dans la situation antérieure, par anthropocentrisme, on avait tendance à dire que le langage était un bienfait absolu, et donc le grand mystère c’était de savoir pourquoi les animaux ne parlaient pas. Maintenant on est plutôt dans la situation inverse, dans laquelle on comprend très bien pourquoi ils ne parlent pas, mais on ne comprend plus pourquoi l’espèce humaine est parlante...
C. D.:...Non, ils parlent mais... ils ne parlent pas, mais ils communiquent...
J.-L. Dessalles : Ils communiquent et ils ne parlent pas au sens... qu’ils ne se donnent pas mutuellement,en général, enfin il y a des exceptions, ils ne se donnent pas mutuellement des informations utiles. Et le propre de notre espèce, c’est de se donner des informations potentiellement utiles, mais surtout sans cesse renouvelées, c’est contre [?] que nous disons toujours des choses intéressantes. Et le grand défi c’est d’arriver à comprendre pourquoi ceux qui donnent les informations sont gagnants, et dans une perspective de sélection naturelle c’est un vrai mystère, puisqu’ils donnent des informations utiles à leurs concurrents puisque, — je le disais tout à l’heure avec Ève et Léa, pourquoi nous descendons d’Ève et non pas de Léa qui se contente d’écouter. Et l’idée on arrive à expliquer... oui ?
C. D.:...Mais excusez-moi, les abeilles se donnent des informations précieuses aussi...
J.-L. Dessalles : ...Elles se donnent des informations précieuses, ça fait partie des rares exceptions qu’on connaît, il y en a peut-être beaucoup d’autres mais on ne les a pas encore trouvées, mais les abeilles se donnent des informations précieuses qu’entre sœurs, elles sont très fortement apparentées au sein de la ruche ; les humains communiquent indépendamment de leur degré de parenté, et en ce moment nous sommes en train de communiquer avec des centaines de milliers de personnes avec qui nous ne sommes pas apparentés. Donc, ça c’est la partie difficile à expliquer, et la seule façon que nous avons trouvé de lui donner un sens, ayant que il y a maintenant de plus en plus de chercheurs notamment, qui viennent du monde de l’éthologie, l’éthologie théorique, qui travaillent sur ce qu’on appelle la théorie du signal honnête, qui commence à se développer, cette nouvelle théorie c’est de dire que le langage est un moyen d’affichage, et certains types de communication animale sont un moyen d’affichage, même si c’est à fond perdu, en fait l’animal ou l’humain en l’occurrence, affichent une qualité en parlant.
C. D.: ... Comme le paon qui fait sa roue...
J.-L. Dessalles: ... En quelque sorte, dans le cas du paon c’est associé à des fins sexuelles, donc par des humains le langage est marginalement utilisé pour pas des fins sexuelles, pour draguer comme on dit, mais c’est marginal...
C. D.: ...Oui, comme vous dites c’est affiché c’est l’idée de montrer une image...
J.-L. Dessalles : ... C’est s’afficher vis-à-vis de congénères quel que soit leur sexe, se valoriser et montrer une qualité qui est... pour laquelle le langage est un bon vecteur, en l’occurrence, il a la qualité informationnelle, en gros ça consiste à dire : on est capable de savoir avant les autres. Quand vous avez un scoop, que vous soyez journaliste ou non journaliste, vous le donnez, et vous essayez de le donner avant les autres, ça peut avoir des conséquences fâcheuses dans certains métiers de professionnels de l’information si on exagère trop ; mais l’idée c’est que, même dans la conversation familiale ou les conversations de tous les jours, quand vous avez une information originale, vous brûlez d’envie de le dire aux autres. J’ai un collègue anglais qui m’a dit avoir vu sur la Tamise qu’un phoque s’était échoué à cet endroit là, il y avait un attroupement ; ce qui était très impressionnant c’est que les gens avaient tous décroché leur téléphone portable, pour téléphoner à des gens qui étaient à des centaines de kilomètres de là, rien que pour leur dire qu’il y avait un phoque sur le bord de la Tamise. Nous avons ce réflexe de transformer en actes de communication tout ce qui est un petit peu inattendu dans notre environnement.
Donc ça, ça fait partie du propre de l’homme, et ce faisant nous affichons une qualité qui est celle de savoir avant les autres. Et dans un contexte, qu’on pourrait appeler politique, hein ? dans lequel des individus forment des coalitions, c’est supposé être une qualité recherchée, c’est-à-dire qu’on va plutôt s’allier avec des gens qui sont un petit peu au courant de leur environnement. Donc, voilà un petit peu le scénario. C’est un scénario plus compliqué que celui qui consiste à dire qu'on communique pour le bien de l’espèce pour le bien de ce que vous voulez, mais au moins c’est un scénario qui est compatible avec la théorie de la sélection naturelle, ce qui n’est pas le cas des autres scénarios.
C. D.: Et donc ensuite, selon votre hypothèse, le langage aura servi ensuite pour coopérer éventuellement, pour faire des pirogues et traverser des bras de mer, mais ça n’aurait été qu’une conséquence finalement...
J.-L. Dessalles : Exactement, c’est une conséquence mais pas la raison pour laquelle il a été sélectionné.
C. D.: Ben, je vous remercie ; on retrouve ces idées pour moi tout à fait nouvelles et originales dans votre livre, Jean-François... pardon, Jean-Louis Dessalles, votre livre c’est Aux origines du langage[3] aux éditions Hermès ; aux éditions Hermès aussi, de Frédéric Kaplan La naissance d’une langue chez les robots[4], ça décrit ce que vous nous expliquiez tout à l’heure cette tentative de faire naître une langue entre deux robots, enfin... oui... on assiste à la naissance d’une langue entre... entre deux robots. Jean-Louis Dessalles votre livre... Jean-François Dortier, pardon, Jean-François Dortier L’homme cet étrange animal - Aux origines du langage, de la culture et de la pensée[5] c’est aux éditions Sciences Humaines, c’est les éditions de la revue dont vous êtes le rédacteur en chef, la revue mensuelle Sciences, Sciences Humaines. [...]
Quelques liens vers les sites des invités :
http://www.dortier.fr/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-François_Dortier
http://www.infres.enst.fr/people/jld/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Dessalles
http://people.epfl.ch/frederic.kaplan?lang=fr
https://fkaplan.wordpress.com/
[1] Dominique Laplane, La pensée d’outre-mots : la pensée sans langage et la relation pensée-langage, Les Empecheurs de penser en rond, 1997, 2000. V. aussi l'article en ligne "La pensée sans le langage": http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ETU&ID_NUMPUBLIE=ETU_943&ID_ARTICLE=ETU_943_0345
[2] Fin de réplique de J.-L. Dessalles presque inaudible, car couverte par celle de Catherine Donnée.
[3] Jean-Louis Dessalles, Aux origines du langage. Une histoire naturelle de la parole, Hermes-sciences, Paris, 2000.
[4] Frédéric Kaplan, La naissance d’une langue chez les robots, Hermès-Science, Paris, 2001.
[5] Jean-François Dortier, L’homme cet étrange animal - Aux origines du langage, de la culture et de la pensée, Éditions Sciences Humaines, 2004.