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Billet de blog 9 décembre 2016

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Italie : les raisons du NON au projet de réforme Renzi-Boschi (R. Scarpinato)

L’article de Laura Matelda Puppini propose l'essentiel des objections soulevées par Roberto Scarpinato, Procureur général de Palerme à la réforme Renzi-Boschi. Selon le magistrat italien elle ne vise pas à réviser la Constitution mais à y introduire une constitution opposée à celle existante, vidant la souveraineté populaire, avec un Sénat de non-élus capté par les oligarchies régionales de parti.

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Pour ne pas perdre la démocratie et la souveraineté populaire. Contre le pouvoir dans les mains de quelques-uns. Pourquoi voter NON au référendum du 4 décembre selon Roberto Scarpinato, procureur général de Palerme.


27 NOVEMBRE 2016  - PAR LAURA MATELDA PUPPINI (Nonsolocarnia.info)

Illustration 1
Roberto Scarpinato à la rencontre publique Corruption ça suffit! organisée par Mediapart (19.10.14) © Mediapart


Roberto Scarpinato, procureur général de Palerme, a éclairé quelques points sur les raisons pour lesquelles il faudra voter NON à la réforme de la Constitution le 4 décembre. (Sources: extraits de l’intervention de Roberto Scarpinato du 22.11.16 au séminaire sur la réforme de la Constitution au Palais de Justice de Palerme, « La réforme Renzi est oligarchique et anti-populaire », [trad. it., ndt] et article paru sur Il Fatto Quotidiano « La réforme prive le peuple du pouvoir et l’attribue aux marchés financiers », [trad. it., ndt]). Je les résume ci-dessous pour mes lecteurs et pour accorder une attention particulière à ce vote.*

    1. Cette réforme n’est absolument pas une révision de la Constitution en vigueur, à savoir un ajustement de quelques mécanismes de la machine de l'Etat pour la rendre plus fonctionnelle, mais avec ses 47 articles sur 139 l’introduction d’une constitution alternative et opposée, dans sa conception globale, à celle existante, changeant en profondeur l'organisation de l'Etat, les rapports entre les pouvoirs et les rapports entre le pouvoir et les citoyens.

    2. Cette réforme vide la souveraineté populaire consacrée par l'article 1 de la Constitution, créant un Sénat de non-élus par le peuple, capté par les oligarchies régionales du parti. On peut éliminer le bicamérisme, mais pas en ôtant la représentation [rappresentanza]  aux citoyens. « La politique, ou plutôt la démocratie, a abdiqué son rôle, quand elle a remis les instruments de la souveraineté à des oligarchies restreintes barricadées  dans des centres décisionnels imperméables à la volonté populaire, mais très perméables aux diktats des marchés, ou plutôt aux puissances économiques qui gouvernent les marchés. » 

    3. Cette nouvelle constitution est ajoutée ensuite à la nouvelle loi électorale connue sous le nom d' Italicum  permettant aux dirigeants du parti et à leur entourage, grâce à des mécanismes sophistiqués qui échappent à la compréhension du citoyen moyen, de nommer jusqu’à une centaine de membres de la Chambre, tout en les imposant d'en haut sans le vote populaire.

    4. Cette réforme constitutionnelle conduit à la perte de la séparation entre le pouvoir exécutif et législatif, de sorte que le gouvernement puisse légiférer sans contrôle.

    5. Le pouvoir des représentants des partis minoritaires est inexistant, et les minorités résultent  impuissantes dans la mesure où elles ont seulement 290 députés sur les 340 de la majorité gouvernementale. En outre, les Délégués de la minorité seront ceux choisis par les chefs de parti et non élus. (Pour approfondir le mécanisme par lequel cela se produit lire ici)

    6. L’Italicum permet également aux oligarchies de parti de sélectionner des personnes à coopter dans la majorité parlementaire du futur chef du gouvernement, grâce à la possibilité de désigner la même personne dans dix collèges différents en même temps. De cette façon, le groupe oligarchique exprimé par le leader, futur chef de gouvernement, peut neutraliser les futurs candidats éventuels issus des territoires et jugés peu fiables, établissant que le candidat élu dans plusieurs circonscriptions et fidèle au leadership, choisisse la circonscription où autrement à sa place serait élu un candidat non agréé, qui est donc exclu de la Chambre. (Pour plus de détails, ibid).

    7. La Chambre est ainsi transformée d'un organe qui est l’expression de la souveraineté populaire qui contrôle le gouvernement en donnant et en retirant sa confiance, en Chambre de ratification des initiatives législatives promues par le Chef du Gouvernement, qui est à la fois chef du parti majoritaire. En effet, la Chambre des députés et le Gouvernement finissent dans les mains du même groupe oligarchique qui abolit de fait la séparation des pouvoirs entre le législatif et l'exécutif. (Pour plus de détails, ibid).

    8. Le chef du Gouvernement a également une suprématie institutionnelle dans la mesure où la réforme lui donne le pouvoir de dicter l'ordre du jour des travaux parlementaires avec le mécanisme des lois déclarées d’urgence par le Gouvernement devant être approuvées dans les 70 jours, alors que la même voie n’est pas prévue pour les lois d'initiative parlementaire, de telle sorte que le gouvernement est en mesure de coloniser encore davantage l’activité législative du parlement.

   9. On prétend que cette réforme aurait pour but de réduire le coût de la politique. Mais le Bureau de la comptabilité de l’État, dans un rapport remis au ministre des Réformes le 28 octobre 2014, a estimé les économies de dépenses résultant de la réforme du Sénat égales à 57,7 millions d'euros, un chiffre ridicule par rapport au budget de l'Etat, et qui pourrait être épargné de mille autres manières avec des lois ordinaires, sans aucune nécessité de dénaturer la Constitution. Par exemple en coupant les coûts de la corruption, les coûts de l'évasion fiscale, au lieu d’amputer la démocratie. (Ibid.).

   10. On prétend que cette réforme est nécessaire et urgente pour résoudre les problèmes du pays, parce que le bicamérisme paritaire provoque un ralentissement pathologique du processus législatif, et l'ordre constitutionnel actuel empêche une gouvernabilité du pays agile, flexible, nécessaire pour faire face aux défis de la mondialisation. Mais les Bureaux d’études du Parlement ont documenté combien cette affirmation est-elle sans fondement dans la réalité. En fait, dans cette législature, ont été approuvées 250 lois dont jusqu’à 200 sans navette parlementaire, et seulement 50 (soit 20%) avec un passage d'une chambre à l'autre. (Scarpinato, cit., source).

    11. Il n’est pas vrai que la cause des problèmes du pays réside dans la Constitution de 1948, elle est dans les traités européens signés à partir de 1992, et ayant comme référence la BCE et le Fonds monétaire international, des organes déconnectés de la démocratie populaire, et liés à la puissance économique financière.

    12. Personne parmi ceux qui soutiennent le un oui suffit! [slogan de campagne pro-réforme, ndt], n'a jamais énuméré les problèmes réels du pays qui ne sont certainement pas résolubles en changeant la Constitution, qui pourraient émerger dans l'absence totale d'une politique industrielle qui a duré plus d'un quart de siècle, et à cause de laquelle, depuis 2008 à ce jour, plus de 500 marques historiques de tous les secteurs stratégiques de l'industrie nationale sont passées dans le capital étranger ; dans le chômage des jeunes qui atteint des niveaux records en Europe et dans l'émigration de centaines de milliers de jeunes diplômés ; dans la gigantesque évasion fiscale (la troisième dans le monde après le Mexique et la Turquie) avec une perte de revenus pour les caisses de l'Etat qui met à genoux la fourniture de services sociaux, et ceux-ci ne sont que quelques-uns des problèmes. Et « chacun peut étendre à volonté la liste des graves problèmes dans lesquels se trouve le pays et qui sont en train de l’enfermer dans une spirale de déclin qui semble sans fin, [...]».

    13. Si une loi se bloque au parlement, ce n’est pas la faute du bicamérisme paritaire, même discutable : mais des désaccords politiques au sein des coalitions de la majorité. Et s'il y a des lois qui ont été adoptées dans un temps très long, en voyant le contenu, on comprend que les raisons de ces temps longs ne sont pas imputables au bicamérisme paritaire, mais à des raisons très différentes. Par exemple, la loi sur la corruption a obtenu le feu vert du Parlement après 1546 jours !

    14. Il est faux, par conséquent, de dire que la politique a perdu le contrôle de l'économie en raison de l'inefficacité des procédures de prise de décision prévues par la Constitution actuelle. Comme on le voit par le positionnement des banques d’affaires internationales les plus puissantes et d'autres cathédrales de la finance internationale qui dans ces derniers mois, soutiennent le front du « oui » et le transfert de pouvoir du Parlement au Gouvernement, cette réforme est voulue pour faire de manière que des oligarchies de partis s’établissent au gouvernement et soient en mesure de contrôler le parlement, pouvant  devenir la courroie de transmission de la volonté politique de centres de prise de décisions extérieurs aux lieux de la représentation populaire, grâce à des itinéraires informels qui se soustraient à la visibilité démocratique.

Pour ces raisons, pour sauvegarder la représentation démocratique, pour ne pas tomber dans des solutions déjà vues impliquant que le pouvoir politique soit entre les mains d’oligarchies restreintes aussi détentrices du pouvoir économique, pour l'Italie, pour nous Italiens, pour nos enfants et pour un futur de citoyens réels et non subordonnés et soumis

le 4 décembre allons voter et votons à l’unanimité NON aux modifications de la Charte fondamentale de l’Etat italien.

Laura Matelda Puppini

source :

http://www.nonsolocarnia.info/per-non-perdere-la-democrazia-e-la-sovranita-popolare-contro-il-potere-in-mano-a-pochi-perche-votare-no-al-referendum-del-4-dicembre-da-roberto-scarpinato-procuratore-generale-di-palermo/

*La traduction intégrale en français du long texte de Roberto Scarpinato paru sur le site web de Micromega lié ci-dessus, sous le titre "La réforme Renzi est oligarchique et anti-populaire" sera accessible sous peu, rendez-vous sur ce même blog.

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