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Billet de blog 10 juin 2014

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Gaetano Colonna - La stratégie d'Obama : séparer la Russie de l'Europe

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Dans les jours qui ont  immédiatement précédé la célébration du débarquement allié en Normandie, la Maison Blanche a assumé des positions officielles sur la situation de l'Est européen qui mériteraient beaucoup plus d'attention que celle que l'Europe, concentrée sur les résultats électoraux et sur la crise économique persistante, leur a réservé.

Le 3 juin dernier, en effet, a été lancée officiellement la European Reassurance Initiative, avec laquelle le président américain a demandé au Congrès des Etats Unis un milliard de dollars, à inscrire dans le bilan de la défense états-unienne 2015 parmi les Overseas Contingency Operations (OCO), pour financer une série de mesures à caractère militaire que le gouvernement Usa entend adopter. Intensification, en employant par rotation des troupes américaines, de l'entraînement et des manoeuvres conjointes dans le territoire des alliés européens d'accession plus récente ; planifications conjointes avec les mêmes Pays, pour accroître leur capacité de programmation de ces activités ; développement des capacités de riposte des Usa en support de l'OTAN, moyennant la prédisposition de structures de pré-positionnement des équipements et des troupes ; augmentation de la participation de la flotte Usa aux activités OTAN, pour en développer leur présence dans la Mer Baltique, et dans la Mer Noire ; accroissement de la capacité des pays "proches alliés" ex-soviétiques, comme la Georgie, Moldavie et Ukraine, à collaborer avec les Etats Unis et l'OTAN, et de développer leurs propres forces de défense.

La Maison Blanche a contextuellement présenté une sorte de résumé des activités développées par les forces militaires nord-américaines dans les derniers mois en relation à la crise ukrainienne. Le déploiement d'environ 600 hommes de la 173e brigade de parachutistes en entraînement avec l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, en tant que premier pas pour des entraînements ultérieurs qui auront lieu dans les prochains mois, en plus de ceux qui se sont déjà déroulés pendant ces mois, comme la Steadfast Javelin 1, mise en oeuvre par plus de 6000 hommes de l'OTAN en Estonie, en mai ; déploiement à rotation de quelques unités navales états-uniennes (USS Donald Cook ; USS Taylor ; USS Vella Gulf ; USS Truxtun) dans la Mer Noire, pour des activités de surveillance et d'entraînement avec la Roumanie, la Georgie, la Turquie ; augmentation du nombre de marines Usa en Roumanie, toujours destinés au théâtre de la Mer Noire ; développement de la collaboration avec l'aviation polonaise, avec le déploiement de F-16 ultérieurs et de trois C-130J, des avions militaires de transport ; support de surveillance aérienne de la part de l'OTAN et de l'Ukraine ; augmentation de quatre à dix des chasseurs bombardiers F-15C déjà déployés en Lituanie.

Particulièrement significative, en outre, la décision américaine d'augmenter le système des missiles Aegis dans le théâtre européen, moyennant le déploiement de quatre croiseurs équipés de ce système d'arme auxquels s'ajoutent encore deux Aegis, cette fois basés sur terre, en Roumanie (2015) et en Pologne (2018), le tout coordonné par une base radar en Turquie. Ce système intégré de combat fait partie du schéma de construction graduelle du soi-disant système de défense anti-missile balistique européen, considéré depuis toujours par la Russie comme une grave menace à sa sécurité : la déjà nommée USS Donald Cook est une des unités destinées à en faire partie. Non par hasard, justement à l'égard de cette unité, un avion militaire russe, uniquement équipé de systèmes électroniques, aurait opéré une action de brouillage qui aurait apparemment neutralisé le système Aegis de la frégate états-unienne, avec des effets semble-t-il démoralisants sur les vingt-sept marines américains à bord.

La Maison Blanche rappelle enfin la collaboration renforcée de l'OTAN avec l'Ukraine, décidée le 5 mars dernier, avec le développement des liaisons avec les autorités civiles et militaires ukrainiennes, le renforcement de la capacité militaire du Pays et les efforts conjoints pour inclure l'Ukraine dans les projets multinationaux d'entraînement.

En rendant publique la European Reassurance Initiative, conjointement à cette longue série d'activités militaires, les Etats Unis démontrent avoir assumé une décision qui va bien au-delà de la question ukrainienne. En effet, le président Obama donne de ces actes une lecture beaucoup plus ample, en exprimant une vraie et propre ligne stratégique : créer une ligne de démarcation politico-militaire tout le long des frontières occidentales et méridionales de la Russie, tout en englobant sous le parapluie de l'OTAN, ou incluant dans des accords de collaboration militaire directe avec les Usa, les Pays de l'est de l'Europe jadis faisant partie de l'URSS (Ukraine, Moldavie et Georgie) ou membres du pacte de Varsovie, comme la Roumanie, la Pologne, les Pays Baltiques, la Bulgarie.

Cette décision indique une approche beaucoup plus radicale de ce qu'a confusément cherché à faire l'Union Européenne l'automne dernier, en essayant d'accélérer  en Ukraine une décision pro ou contre la Russie : aujourd'hui il semble au contraire que ce pas européen, vite apparu précipité sans raison, n'ait rien fait d'autre en réalité que préparer le terrain à la nouvelle configuration états-unienne, dont l'importance ne peut être sous-évaluée d'aucune manière.

La radicalité de la ligne américaine, du reste, a été confirmée par le discours que le président Obama a prononcé deux jours après, le 5 juin, à Varsovie, en occasion d'un autre important anniversaire, la 25e année depuis la chute du régime communiste en Pologne. La réaffirmation du lien privilégié des Usa avec ce Pays, dans la tradition de la politique étrangère britannique dans le continent ; l'habile reprise de l'affirmation de Jean Paul II, "il ne peut y avoir d'Europe sans une Pologne indépendante"; l'exaltation du modèle politique économique social de la démocratie occidentale - sont des argumentations qui ont servi de prémisse, à notre avis, pour une très dure attaque lancée d'une manière extrêmement directe contre la Russie.

"Les jours des empires et des sphères d'influence sont terminés. Aux nations plus grandes il n'est pas permis d'intimider les plus petites, ou d'imposer leur volonté avec la canne du fusil ou avec des hommes masqués qui prennent le contrôle des immeubles. Ni de légitimer la soustraction d'un territoire frontalier avec un trait de stylo. Nous n'accepterons pas l'occupation russe de la Crimée ou la violation de la souveraineté de l'Ukraine. Nos nations libres resteront solidement unies, de manière à ce que d'ultérieures provocations de la Russie signifieront seulement un isolement majeur et des coûts majeurs pour la Russie. Parce que, après avoir investi tellement de sang  et de ressources pour réunir l'Europe, nous devrions permettre  que les tactiques obscures du 20e siècle définissent aussi le nouveau siècle ?".

Ce sont certes des affirmations qui rentrent dans la tradition du wilsonisme américain : de la même manière que celles-là elles ne prennent absolument pas en considération l'évidente contradiction avec la politique d'un empire comme l'américain  qui même dans le 21e siècle a généré des guerres pour défendre une sphère d'influence mondiale à laquelle les Usa ne semblent pas vouloir renoncer. Mais ce qui aujourd'hui il importe plus de relever, est la volonté expresse nord-américaine d'opposer une Europe unie à la Russie, à travers l'inclusion des Pays est européens dans la sphère d'influence atlantique dont les Usa sont la puissance hégémonique.

Reste celui-ci le point fondamental sur lequel l'Union Européenne aurait du sérieusement s'interroger, pendant que nos classes dirigeantes semblent plutôt avoir choisi de suivre de manière obéissante les Usa, sans avoir jamais donné vie à aucun débat sérieux. Il n'est pas difficile de deviner alors ce que devra faire la Russie, une fois que l'Occident s'opposera à elle de nouveau avec l'OTAN déployé tout le long de ses frontières : chercher de trouver dans une relation privilégiée avec la Chine, bien que chargée de très sérieuses inconnues, une base minimale de sécurité en tutelle de ses propres intérêts stratégiques.

Obliger à cet alignement avec la Chine la Russie paraît être la décision lucidement assumée par Obama : d'autant plus significatif par le fait que pour les Etats Unis d'Amérique le vrai problème des décennies à venir c'est l'Asie. Quelles que soient les raisons idéologiques ou géopolitiques sous-tendues par cette interprétation de l'avenir, l'Europe n'a par contre aucun intérêt à jeter dans les bras de la Chine la Russie, tout en lui niant la possibilité d'une future intégration que même la culture, l'économie et la politique lui imposeraient. Sanctifier cette fracture avec la Russie, tout en gérant selon les indications d'Obama la crise ukrainienne, est une erreur épocale de l'Europe.

Gaetano Colonna

7 juin 2014

Clarissa.it

http://www.clarissa.it/editoriale_n1923/La-strategia-di-Obama-separare-la-Russia-dall-Europa

Cet article est la traduction en français d'un article paru sur Clarissa.it, site italien du Centre Libre d'Analyses et Recherches (CLAR) une association de formation professionnelle basée dans les Marche (Italie). Gaetano Colonna est historien et chercheur en Histoire Ancienne et Contemporaine. Il a publié en 2009 "Medio Oriente senza pace. Da Suez al Golfo e oltre : strategie, conflitti e speranze" (Moyen Orient sans paix. De Suez au Golfe : stratégies, conflits et espoirs) pour Edilibri, Milan.

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