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Billet de blog 11 février 2017

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Une Europe à deux vitesses. Entretien avec Emiliano Brancaccio

Si les pays les plus puissants insistent à pratiquer des politiques déflationnistes, et bien, les pays les plus faibles devraient avoir le droit d'introduire des contrôles sur les mouvements de capitaux à destination et en provenance de ces pays forts qui tentent de les écraser avec des politiques déflationnistes. J'ai appelé cela un standard social sur les mouvements de capitaux. (E. Brancaccio)

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9 FEVRIER 2017 - PAR Radio Città Aperta

Illustration 1
Angela Merkel et Wolfgang Schaüble

Emiliano Brancaccio, professeur agrégé d'économie et professeur d'économie et d' économie internationale à l'Université du Sannio en Italie. En 2002 , il a été conférencier du projet de loi d'initiative populaire promue par Attac pour la mise en place d'une variante dite taxe Tobin. En 2003 , il était économiste en chef du promoteur du Comité de référendum pour l'extension de l' article 18 du Statut des travailleurs.

Il est parmi les quelques universitaires à avoir décliné plusieurs propositions de candidature à des places de responsabilité dans l'administration : en mars 2013, il a refusé le poste de conseiller au budget de la ville de Bénévent, critiquant la "mode" de recourir aux soi-disant 'techniciens' dans les phases de crise politique ; en juin 2016 , il a également décliné l'invitation du nouveau maire de Bénévent, Clemente Mastella, d'assumer la direction du budget ; en février 2014, il a refusé la candidature aux élections européennes en tant que leader de la circonscription du Sud pour la liste L'Autre Europe (avec Tsipras).

Propos recueillis par Radio Città Aperta.

Radio Città Aperta : Aujourd'hui nous consacrons le dossier d'approfondissement à l'économie. Parlons d'Europe, parlons des déclarations d'Angela Merkel qui a suggéré un avenir pour l' Europe à des vitesses différentes. Un sujet dont on parle depuis plusieurs jours, en réalité un argument qui trouve ses origines bien avant aujourd'hui. Essayons de faire un peu de clarté avec Emiliano Brancaccio. Merci d'être avec nous, Emiliano.

Emiliano Brancaccio : Merci, bonjour.

R.C.A.: Ces déclarations de Angela Merkel que formalise, disons, une Europe à plusieurs vitesses, qu'est-ce que cela signifie ?

E.B.: En fait, l'expression originale remonte à un article de Wolfgang Schäuble, le ministre actuel des Finances allemand, dans un article de 1984. La signification de l'expression "Europe à deux vitesses" a changé un peu au fil du temps, mais en substance , il s'agit d'un type de procédure qui existe déjà en réalité, dans le sens où il est prévu que ces pays qui souhaiteraient faire une "coopération renforcée" peuvent décider de convenir y compris  sans le consentement de tous les pays de l'UE. À titre d'exemple, l'accord de Schengen sur la libre circulation des personnes au sein de l'Union est un peu une coopération renforcée, car pas tous les pays y ont adhéré. Donc l'Europe à deux vitesses n'est pas une nouveauté. Le problème est que, dans ce cas, M.me Merkel utilise cette expression à des fins électorales, en perspective des problèmes qui pointent à l'horizon en ce qui concerne encore une fois le cas de la Grèce. Pourquoi? Parce que la Grèce, à ce qui paraît, sera une fois de plus confrontée à des problèmes de soutenabilité de sa dette. Malgré les sacrifices énormes qui ont été imposées au peuple grec, les politiques d'austérité ne fonctionnent pas, bien au contraire, puisqu'elles sont en train de diminuer les capacités de création de revenu de la Grèce, automatiquement elles entravent le remboursement des dettes au lieu de le faciliter. Puisque M.me Merkel va être confrontée à une campagne électorale qui promet d'être assez compliquée ; et puisque le peuple allemand a été disons endoctriné dans l'idée que les pays d'Europe du Sud sont dépensiers, laxistes et par conséquent ils ne doivent pas être soutenus et aidés, maintenant M.me Merkel dit, eh bien, s'il existe un certain nombre de pays de série B comme par exemple sous-entendu, la Grèce, qui ne sont pas en mesure de respecter les règles de l'Union monétaire, alors évoquons l'hypothèse d'une Europe à deux vitesses, à savoir une Europe de série A, où il y aurait soit l' Allemagne et les pays qui lui sont affines, et une Europe de série B dans laquelle tombera éventuellement la Grèce et tous ceux qui feront "les méchants". Voilà donc la manière un peu rhétorique et démagogique, je dirais, par laquelle je crains que sera utilisé ce slogan. Et il est extrêmement révélateur du fait que, malheureusement, en Allemagne domine non pas une politique de leadership, mais un cadre qui fait de l'Allemagne un géant économique mais encore une fois - comme cela est arrivé souvent - un nain politique. Il est clair que celle-ci est une clé purement tactique et électorale mais de fait un prélude à un processus ultérieur de désintégration du projet d'unification européenne. Il faut comprendre si cela est une chose, en fin de compte, positive ou négative, parce qu'en fait, à ce stade, étant donné que la tendance est à la désintégration du projet d'unification européenne, nous devons commencer à réfléchir dessus. Eh bien, le problème est que les pays les plus fragiles qui sont en train de souffrir réellement du cadre institutionnel de l'Union, devraient commencer, pour ainsi dire, à envisager l'hypothèse que le projet européen puisse imploser, et devraient peut-être commencer à penser à des solutions qui ne seront pas toujours fournies par Angela Merkel et Schäuble. Parce que par ailleurs le problème final est : si à la fin ce projet d'unification européenne doit sauter, le problème est de comprendre comment éventuellement il doit sauter. Parce que, pour simplifier au maximum, il existe des moyens de droite de gérer une implosion, et il peut aussi y avoir des moyens "de gauche".

R.C.A.: La substance est que Angela Merkel, aborde son électorat, en particulier celui qui est préoccupé par la perspective que l'Allemagne devra supporter à nouveau les pays qui sont restés en arrière ; donc elle leur dit, au fond, vous allez voir que nous ferons une Europe différente, une Europe dans laquelle qui va vite va vite et ceux qui sont à la traîne devront se débrouiller par eux-mêmes. Est-ce cela le sens ?

E.B.: Oui. Fondamentalement, c'est cela. Bien sûr, il y a une mystification dans ce scénario ; une mystification qui - juste pour citer un exemple parmi d' autres - ne tient pas compte du fait que, en réalité, une partie très importante de la distribution de subventions qui ont été fournies par l'Union européenne et la Banque centrale européenne à la Grèce ont été nécessaires pour refinancer majoritairement les banques allemandes, qui avaient accordé des prêts en faveur des pays périphériques de l' Union, y compris la Grèce et non seulement. Ceci pour préciser que par la suite, comment dire, toute cette rhétorique selon laquelle l' Allemagne "s'était bien conduite" ne tient pas compte du fait que par ailleurs les banques allemandes ont allègrement accordé des crédits en faveur des pays périphériques et ont prétendu ensuite que la structure institutionnelle de l'Union, en particulier la BCE, aille secourir d'abord les premières banques de crédit, lorsque la situation s'est révélée intenable. À savoir celle des banques allemandes. Voilà, Mme Merkel et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, ce petit détail, ils ne le disent pas.

R.C.A.: C'est très clair. En conclusion ... Mais alors, si ces hypothèses se réaliseront, si cette Europe à deux vitesses sera effectivement formalisée, à ton avis l'Italie dans quel groupe finirait-elle ?

E.B.: Il est évident que l'Italie fait partie du groupe des pays fragiles de l'Union. L'Italie présente des caractéristiques plus semblables qu'on ne l'imaginait à la Grèce, mais la même chose vaut pour l'Espagne, le Portugal, pour la même France, bien que les cousins français peinent à le reconnaître. Voilà, de ce point de vue, je me permets seulement de faire une observation : peut-être qu'au sein des pays d'Europe du Sud devrait naître la prise de conscience que nous devrions présenter une contre-proposition, et de ce point de vue, je pense que l'hypothèse que j'ai personnellement défini standard social sur les contrôles, sur les mouvements de capitaux, pourrait être une solution ; à savoir l'idée qu'il faudrait un système de règles, un standard social, justement, d'après lequel si les pays les plus puissants - comme l'a fait l' Allemagne - insistent à pratiquer des politiques déflationnistes, c'est-à-dire renoncent à acheter des biens depuis l'étranger à travers des politiques de contrôle des dépenses et des salaires internes, et donc de cette façon mettent  en difficulté les pays les plus faibles ... et bien, les pays les plus faibles devraient avoir le droit d'introduire des contrôles sur les mouvements de capitaux à destination et en provenance de ces pays forts qui tentent de les écraser avec des politiques déflationnistes. Je l'appelle standard social sur les mouvements de capitaux. Je pense que ce serait aussi un moyen d'introduire, comment dire, un slogan alternatif à celui des droites xénophobes. Les droites xénophobes insistent pour dire et créent du consensus en déclarant qu'il faut arrêter les immigrants ... Voilà, moi je pense qu'il serait temps que quelqu'un dise que, en fait, la chose vraiment importante est qu'il faudrait arrêter les capitaux qui par leur incursions internationales mettent en difficulté surtout les sujets les plus faibles et les pays les plus fragiles de l'Union.

R.C.A.: C'est très clair. Emiliano, je te remercie beaucoup pour ta contribution. Merci à vous tous.

écouter ICI l'interview avec Emiliano Brancaccio de radiocittaperta.it.

http://www.radiocittaperta.it/djmix/europa-a-due-velocita-cosa-significa-veramente-intervista-a-emiliano-brancaccio/

En cours de traduction (il sera publié dans les jours à venir) : le texte d'intervention d'Emiliano Brancaccio au Parlement européen de Bruxelles, le 7 décembre 2016, au cours de la conférence GUE/NGL "Résistance et alternatives au libre échange", sous le titre "Notes pour un standard social international sur la monnaie".

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