12.02.15 - Pourquoi, lorsque les médias sont manipulés, les journalistes ne s'en aperçoivent-t-ils pas ? Quelle fin la liberté de la presse a-t-elle fait ? L'analyse sincère et impitoyable de Marcello Foa.
par Marcello Foa
La nouvelle est d'il y a quelques jours : la Troika a plié la Grèce grâce aussi aux subtiles pressions de Sarkozy, lequel, ayant eu accès à la liste des clients HSBC soutirée à Genève par Feliciani, savait que la mère de l'alors Premier Ministre Papandreu, de plus socialiste, possédait un compte non déclaré de 500 millions d'euros. Disons-le tout de go : ce fut un complot, dont naturellement personne n'était au courant.*
L'ex ministre du Trésor américain Geithner a admis que en 2011 Berlusconi fut désarçonné suite à un complot.
En Ukraine il y a un an la vérité sur la soi-disant révolte populaire de la place Maïdan a été amplement ajustée à des fins médiatiques en plus de celles évidemment politiques, en présentant ce qui de fait était un putsch sous les semblants beaucoup plus confortables de l'émouvante et pacifique révolution de la place et taisant sur la lourde, décisive implication de forces paramilitaires néo-nazies.
L'affaire de Charlie Hebdo présent encore aujourd'hui nombre d'aspects non éclaircis et certains sont vraiment embarrassants pour la presse mondiale. Un parmi tous : lorsque les leaders mondiaux se sont retrouvés pour prendre la tête de l'immense marche populaire en défense de la liberté de la presse ; dommage, cependant, que les leaders n'aient jamais conduit le cortège mais se soient fait filmer dans une rue fermée au public. Derrière eux, comme vous le voyez dans la photo ci-dessus, personne ne marchait. Mais naturellement ni les journaux télévisés ni les journaux ne l'ont dit au public, préférant emphatiser la vérité formelle.
Même les révélations sur la déjà citée Liste Falciani, ne peuvent certes pas être considérées comme du journalisme d'enquête, bien qu'elles aient été présentées comme telles. Quelqu'un - il n'est pas difficile imaginer qui - a simplement fait parvenir à une équipe de médias internationaux les listes, dont entre autres on ne connaît même pas l'authenticité. Et les journaux ont lancé les noms en première page, sans même pas se demander s'ils étaient instrumentalisés et à qui profiterait la mise au pilori publique.
Je pourrais continuer avec beaucoup d'exemple soit récents soit lointains mais je m'arrête ici.
Qui suit ce blog connaît ma position, plutôt critique à l'égard de la manière dont aujourd'hui l'information est faite, à cause de la facilité déconcertante par laquelle les spin doctor parviennent à orienter et souvent manipuler les médias. J'en ai parlé récemment dans une interview à Enzo Pennetta pour Critica scientifica et dans une rencontre organisée il y a deux semaines à Florence par le conseiller régional Gabriele Chiurli, avec la participation de Raymond McGovern, qui pendant des années a été chef de la National Intelligence Estimates, l'un des organismes majeurs de la Cia, et maintenant il est l'un des défenseurs les plus sévères des libertés civiles et critique implacable des politiques de la Maison Blanche, de George W. Bush comme de Barack Obama.
Je partage à 100% son analyse : aujourd'hui la presse ne joue pas son rôle de chien de garde de la démocratie, c'est plutôt le contraire qui est vrai : trop complaisante, trop rangée, trop pavide aux moments où il faudrait être courageux. Elle avale toutes les couleuvres des spin doctors. Son jugement concerne la presse américaine - que nous persistons à tort à mythifier, comme se elle était encore celle des temps du Watergate - mais il est généralisable à celle européenne.
Et McGovern n'est certes pas un complotiste, mais tout à fait autre chose : il adopte une approche pragmatique et sage. Il ne poursuit pas ses propres fantaisies et ses propres soupçons, combien même suggestifs, mais se base sur l'analyse des faits, sur l'identification des incongruités, sur la formulation insistante et pertinente de questions sur les aspects peu clairs d'une affaire, sur la capacité d'identifier des connexions non évidentes à première vue et de construire son propre jugement sur des preuves ou en tout cas sur des preuves objectives. En somme, il reconstruit avec le scepticisme nécessaire.
Et il est paradoxal que ce doit être un ex analyste de la Cia animé par une ardente passion civique qui rappelle aux journalistes celle qui devrait être une caractéristique innée de qui fait mon métier.
Il n'est pas le seul, d'ailleurs.
L'ex consultante politique Naomi Wolf, devenu une écrivaine célèbre en particulier grâce au roman The end of America, dans lequel elle dénonce les risques d'une involution totalitaire dans les Etats Unis, dans une récente conférence a touché les mêmes arguments, tout en aboutissant à des conclusions analogues, peut-être même plus courageuses.
"Nous sommes entrés dans une ère dans laquelle il n'est pas absurde pour un journaliste de se demander systématiquement si les événements auxquels il assiste sont vrais ou faux. Et plus un événement est spectaculaire, plus grand est le risque qu'il ait été inventé exprès soit qu'il s'agisse de nouvelles fausses, créées par des gouvernements et par des services secrets".
Douter est l'unique forme d'autodéfense. Pour soi-même et pour servir vraiment le lecteur.
P.S. Ci dessous l'intervention de Naomi Wolf en anglais :
https://www.youtube.com/watch?v=rrYdpQAZP7U
source :
http://megachip.globalist.it/Detail_News_Display?ID=115908&typeb=0&Giornalista-perche-le-bevi-quasi-tutte-
*Concernant l'affaire de la liste Falciani, voir l'article publié par Les Echos :
"Swissleaks" : les nouvelles révélations de Falciani en Italie
PIERRE DE GASQUET / CORRESPONDANT À ROME
10.02.15
Dans les mémoires de Hervé Falciani (le père de SwissLeaks) à paraître prochainement en Italie, aux éditions Chiarelettere, un chapitre sur «l’Italie, la Grèce et les autres…» et l’utilisation de la «liste Lagarde» par Nicolas Sarkozy risque de faire particulièrement débat.
suite de l'article :
http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0204150074622-le-coffre-fort-des-fraudeurs-les-nouvelles-revelations-du-livre-de-falciani-en-italie-1091994.php