11 DECEMBRE 2016 - PAR GIULIETTO CHIESA (PandoraTv.it)
Giulietto Chiesa pour PandoraTv. L'entretien qui suivra a comme protagoniste Ray McGovern, un ex analyste de la CIA, 27 ans de carrière commencée avec John Kennedy et terminée avec George Bush avec la grande polémique que le président des USA de l'époque eut avec l'intelligence américaine, en en forçant et en en déformant les recherches. Ce sont les raisons pour lesquelles Ray McGovern a fondé un centre, le Veteran Intelligence Professional for Sanity qui signifie en substance "vétérans professionnels de l'Intelligence pour le bon sens, le bon sens au sens de raisonnable". Sa fonction est facilement explicable par le fait que Ray McGovern était chargé d'exécuter le briefing matinal pour ainsi dire, au Bureau Ovale, le bureau du Président des Etats-Unis, au vice-président et au Sécrétaire de la Sécurité nationale, au Sécrétaire de la Défense, au chef de l'Etat major des forces armées et ainsi de suite, c'est-à-dire au sommet de la politique américaine. Cet entretien est la réflexion que nous avons fait ensemble sur le futur de la politique étrangère et intérieure américaine après les élections de Donald Trump et aussi un peu sur la nouvelle Amérique devant laquelle nous nous trouvons. Donc nous vous offrons un point de vue médité d'une personne qui non seulement connaît bien depuis l'intérieur les services secrets américains et la structure de l'administration mais connaît aussi assez bien évidemment, les problèmes américains de la société américaine et de ses rapports avec le reste de la planète. Nous vous proposons dont cet entretien de haut niveau en exclusive pour PandoraTv.it.
https://www.youtube.com/watch?v=yq1wby9-_g4
"Qui est Donald Trump ?" - Giulietto Chiesa interviewe Ray Mc Govern
Giulietto Chiesa: Tout d'abord, M. McGovern je voudrais vous demander si vous pensez que Donald Trump pourra passer indemne à travers la réunion des Grands Electeurs du collège électoral, autrement dit sa marche vers le premier mandat est-elle encore en discussion ou non ?
Ray McGovern: Il est très improbable qu'il puisse ne pas être désigné comme le prochain président, même si certains états, deux ou trois, passaient sur l'autre bord, je ne crois pas que le résultat obtenu puisse en être changé. Le système est flexible et aisément corruptible, mais malgré cela je crois que le résultat électoral ne changera pas.
G. C.: Cependant il y a eu des circonstances historiques dans lesquelles un président élu a été privé de la faculté (d'assumer la présidence)...
R. McG.: Oui, il y eu des occasions dans l'histoire mais il faut revenir en arrière de beaucoup d'années, même des siècles, pendant lesquels il y a eu des situations de ce genre, mais ce n'étaient pas des problèmes d'ordre technique, comme dans ce cas.
G. C.: Ah d'accord. Donald Trump s'est présenté aux électeurs substantiellement comme un outsider, comme quelqu'un qui ne faisait pas partie de l'élite bi-partisan traditionnelle ? est-ce vrai ou a-t-elle été une grande mise en scène ?
R. McG.: Je crois que sous peu nous verrons de quel bois il se rechauffe, s'il parviendra réellement à être si indépendant. Il y a quelques obstacles à Washington. Cela dépendra beaucoup de qui il choisira pour Secrétaire d'Etat, c'est une décision qui n'a pas encore été prise et elle indiquera s'il entend s'ouvrir à la Russie avec un regard différent à l'égard des questions de la Syrie, de l'Ukraine. Nous le saurons bientôt. [l'interview date d'avant la probable nomination de Rex Tillerson, mais non encore confirmée à ce jour, ndt] Pour l'instant les indications ne sont pas les meilleures. Les personnes qu'il a choisi pour la défense, ses assistants, pour la finance et les affaires étrangères ne sont certainement pas des personnes que les progressistes auraient choisi. Trump est très lié à des personnes qui sont attentives à ce que pense et veut le monde de Wall-Street. Dans quelques mois il faudra voir dans quelle direction il va se mouvoir dans les premières semaines de son mandat.
G. C.: Une élection, celle de Donald Trump, qui a été une surprise pour tous ou du moins pour la plupart des observateurs politiques et des commentateurs de l'élite américaine et occidentale. Un des résultats de cette surprise a été qu'a émergé une Amérique différente de celle que nous tous croyions connaître aussi parce que le mainstream des médias de l'Occident nous ont raconté une histoire qui évidemment n'était pas vraie. Pouvez-vous nous dire votre point de vue à propos de cette Amérique que nous et toute la planète avons en face ?
R. McG.: Ce n'est certes pas l'Amérique de l'establishment traditionnel. Celui-ci se meut comme un monde en soi (coocoon), fait de médias, gouvernement, les types de Wall-Street qui communiquent entre eux sans jamais sortir à l'extérieur de la coquille pour voir ce que pensent les gens quelconques. C'est pour cela qu'ils ont l'arrogance et le sentiment de supériorité de penser qu'ils auraient sûrement gagné parce que Trump était trop fou. Mais ça ne s'est pas passé ainsi. Et qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que Trump a eu un plus grand contact avec les électeurs, avec leurs sentiments. Ce n'est certes pas la meilleure Amérique. "Sa vengeance est la nôtre", dit l'Amérique, mais c'est exactement ce que dit la Bible... il me semble qu'elle dit "Dieu dit : la vengeance est à moi ..." A partir du 11 septembre 2001 les Américains se sentent en danger et sont effrayés et l'establishment a alimenté ces peurs. Trump a attiré les voix de ceux qui se sont sentis abandonnés et ignorés par l'establishment, et ont eu raison de le penser. Trump a attiré les voix de la classe moyenne en colère contre l'establishment pour comment elle a été traitée. C'est la raison pour laquelle ils ont tous été surpris et déroutés, avec un président qui ne fait pas partie de l'establishment traditionnel. Pourra-t-il travailler uniquement à partir de sa propre volonté ? Pourra-t-il gouverner en autonomie sans le soutien de l'establishment ? C'est celui-là le plus grand défi. Beaucoup de présidents ont tenté d'être autonomes, par exemple Jimmy Carter, mais ils n'ont pas pu. Carter avait pensé gouverner le pays avec un groupe assez proche de quelques personnes du Georgia, mais il n'y parvint pas. Celui qui siège à la présidence doit avoir une influence sur les pouvoirs forts, comme Wall-Street et la Défense. Or, Trump veut faire une politique plus sensible à l'égard de la Russie et de l'Est de l'Europe. Je pense qu'il peut y arriver, dans la mesure où il pourrait avoir Vladimir Poutine comme partenaire qui n'est pas le diable en personne, comme il a été décrit jusqu'à ce jour par l'establishment. Poutine a répété plusieurs fois qu'il entend parvenir à des accords. Et aujourd'hui enfin, nous avons à la Maison Blanche quelqu'un qui est connu pour savoir conclure des accords. C'est le côté positif que je vois dans ces élections. Tandis que ce qui arrive sur le plan national, l'attraction vers le sexisme, le racisme, vers les pulsions primaires, il me semble évident que tout cela a affaire aux affaires politiques internes. Donc je crois que les risques d'une guerre nucléaire soient actuellement inférieurs par rapport à ce qu'ils auraient été avec Hillary Clinton, et ceci n'est pas une chose de peu... au contraire elle est très importante et c'est ce que je souligne lorsque je parle avec quelqu'un d'un pays étranger : les élections se gagnent et se perdent sur les questions économiques. Ironiquement, le taux de chômage est revenu aux niveaux de plus d'il y a dix ans, mais les gens sont encore sans travail, ils se sentent abandonnés, ils n'aiment pas ce qu'a fait le gouvernement et a senti ne compter pour rien. Trump a intercepté ce malaise. Ce que je crains c'est que nous nous trouvons dans une situation pas très différente de celle qui se manifesta après l'incendie du Reichstag en 1933, une période qui se conclut par la naissance d'une dictature qui n'avait aucun respect pour les droits humains ; or, à partir du 11.09, une réaction semblable est en train de s'enraciner... les gens normaux sont effrayés et croient que la constitution doit faire une pas en arrière pour laisser la place à de "nouvelles lois", les Allemands les appelèrent "Lois d'Emergence", nous les appelons "Patriot Act" qui vont à l'encontre de notre Constitution. Des normes anti-constitutionnelles peuvent-elles exister ? Certes, le problème c'est qu'il faut des années avant que la Cour établisse qu'elles sont anti-constitutionnelles. Pendant ce temps beaucoup de gens sont arrêtés et emprisonnés illégalement pour plusieurs années. Par exemple, si moi je reviens à Washington, il revient aux facultés du président, de Obama, ou du Sécrétaire de la Défense, d'exercer le pouvoir de m'arrêter sans un jugement équitable, sans un procès juste et de me conduire par exemple à Guantanamo. Est-ce qu'interviendrait dès lors le principe du "Habeas Corpus" ? non, il n'interviendrait pas, et ils pourraient me retenir dans une cellule, sans un chef d'accusation... non pas pour en être certains, mais pendant tout le temps où se déroule la "guerre au terrorisme". Serait-ce légal ? Non. Cette loi a-t-elle été promulguée ? Non, mais elle a été écrite. Donc, elle peut être considérée "légale". Les autorités des frontières pourraient m'arrêter et dire : "McGovern vous avez dit des choses très mauvaises et vous êtes en train d'encourager le terrorisme et donc nous te conduirons ailleurs pour un peu de temps", pas pour toujours, certes. Seulement jusqu'au jour où la guerre contre le terrorisme sera en train de se dérouler. Or, je l'ai faite un peu amusante mais c'est une chose affreusement sérieuse. Et sur les livres, elle est déjà écrite et elle a déjà un effet dissuasif sur ce que les personnes font ou disent. Or, si cela m'arrive à moi ce n'est pas très grave, j'ai 77 ans et j'ai eu une vie splendide. Si cela m'arrivait je n'en serais pas heureux, mais au fond je suis à la fin de ma permanence sur cette planète... mais qu'arrive-t-il à une personne jeune qui doit aller à lécole, travailler, se créer une vie si elle critique son propre gouvernement ? il pourrait être arrêté et mis en prison sans un procès équitable ? Le IIe amendement de la Constitution dit que personne ne peut être privé de la vie, de la liberté et de la propriété sans un procès juste. Bien, et comment faut-il faire avec les "terroristes présumés" que le Président a ordonné de tuer en Afghanistan et au Pakistan ? Certains sont des "citoyens américains". Il y a eu des citoyens américains qui ont été privés de leur vie sans un procès régulier. Procès juste signifie avec l'implication d'un tribunal. Mais le ministre de la Justice de Obama, Eric Holder dit : "Non non, nous le faisons le procès juste... nous faisons le procès juste ici à la Maison Blanche... merci mais nous n'avons pas besoin d'un tribunal."(rire) A ce point n'importe quel étudiant en droit pourrait dire : "Ah, voilà l'interprétation du Ve Amendement : un procès régulier peut avoir lieu même sans tribunal, il suffit de dire "Nous n'avons pas besoin du tribunal pour faire un procès juste." Et c'est exactement ce qui est en train d'arriver actuellement. Mais c'est illégal et anti-constitutionnel. Un procès régulier prévoit la présence du tribunal. Si nous prenons les Lois d'Emergence introduites après l'incendie du Reichstag à Berlin, il y avait le même genre de prévisions qu'actuellement. Il y avait la Constitution à ce moment-là, ces lois étaient illégales, elles furent rendues "légales" entre guillemets. Mais elles étaient en opposition totale avec la Constitution en vigueur. C'est une chose vraiment effrayante. Le plus triste c'est que dans notre pays la profession légale se conduise de manière honteuse en approuvant la torture. Il n'y a eu qu'une poignée d'avocats qui ont approuvé la torture, mais de qui dépendent ces avocats ? et où sont-ils les autres avocats ? il n'y a pas moyen de rendre ces personnes responsables. Il y a beaucoup d'hésitations. Car ils sont trop engagés avec leur prochain riche contrat pour instruire une action légale. Donc lorsqu'on parle d'avocats et de leur devouement à la loi on ne parvient pas à penser une autorité qui puisse les atteindre. Même les psychologues, qui ont été utilisés pour avaliser les thèses de Bush dirent qu'il n'y avait pas eu de torture. Bien. Ils les avaient corrompus eux aussi. Mais en revanche, l'Ordre des Psychologues les radia. Les psychologues l'ont fait, parce qu'ils sont liés par la même règle qui lie les médecins : "ne fait pas le mal". Et nous les collègues de l'Intelligence nous savions, même avant la guerre en Irak... que les preuves des armes de destruction massive de Al Qaïda et Saddam Hussein étaient juste de vieux chiffons, c'est-à-dire qu'elles n'existaient pas et nous l'avons rapporté, mais le Président voulait sa guerre et c'est ainsi que cela s'est passé. Et la presse n'a pas été attentive. Nous les Vétérans de l'Intelligence avons créé une association de collègues responsables, "Veterans Intelligence Professionals for Sanity". Si nous, nous l'avons créée les avocats peuvent la créer aussi... même les psychologues l'ont créée. Le fait est que personne ne les atteint, ils se déclarent toujours innocents pour tout ce qui touche leur activité. Et je pense même que pour mon père c'était bien de mourir juste avant que tout cela arrive... car lui aimait la loi et beaucoup de bons avocats aimaient la loi, mais il y en a eu vraiment très peu à avoir eu le courage de se lever et dire que tout cela est inconstitutionnel, dire "le Président, ceci ne peut pas le faire et il ne peut pas avoir tous ces pouvoirs".
G. C.: Il y a deux ou trois problèmes qui intéressent l'opinion publique de tout l'Occident et l'opinion italienne plus particulièrement, ce sont même quelques questions que je résumerais de cette manière : est-ce que Donald Trump a suffisamment de connaissances pour faire face aux question dont nous avons parlé ? a-t-il la volonté de les affronter ? a-t-il la possibilité de les affronter ? ce sont trois questions ouvertes et qui ont attrait substantiellement à tout ce que ce président devra faire, soit en politique intérieure soit pour les affaires étrangères avec la Russie, la Chine, Israël, le MO, etc. etc. en deux mots, quelles seraient les conditions qui pourraient constituer la nouveauté, bien qu'il ne soit pas sûr du tout que cela puisse constituter une vraie nouveauté ?
R. McG.: Le point c'est combien voudra-t-il être fort dans ses premiers mois de mandat. Il a accusé les médias de grosses distorsions, justement. Hillary Clinton a défini Poutine un killer, c'est la pire définition que l'on puisse donner à un leader russe, en particulier un leader russe qui a obtenu 82% de consensus. Comment cela lui vient-il en tête ? Je ne sais pas, mais cela a été un très mauvais jeu. Autre chose : la Russie a été définie comme un pays secondaire, qui a un pouvoir régional. Ils ne produisent rien, c'est un pays secondaire. Or je crois que Trump veuille construire des bonnes relations avec la Russie. Je pense qu'il se rende compte qu'il y a des intérêts convergents par exemple en Syrie, mais aussi en Ukraine. A la base je crois qu'ils n'y ait pas d'empêchements pour atteindre ces accords, comme cela arrivait il y a des décennies. Je pense que lui veut le faire, je pense qu'il sache que celle-ci est la bonne chose à faire. Pourra-t-il le faire ? Je pense qu'il le peut, mais il devra procéder par un assaut frontal au New York Times et au Washington Post. Il devrait dire : "vous nous avez menti et vous ne nous avez pas rapporté les faits réels et les problèmes de l'Europe. Et le "putch" que nous les Américains avons fait au détriment de la Russie a été inauguré le 22 février 2014 et non pas le jour suivant, le 23 février lorsque, comme le soutient l'OTAN, la Russie a "envahi" la Crimée. Donc, Trump pourrait dire : "vous les citoyens américains vous êtes pardonnés pour votre ignorance car ces médias, qui sont ceux qui contrôlent le récit vous ont menti. Et maintenant je vais vous le démontrer parce que je ferai un accord avec Vladimir Poutine lequel, comme je vous l'avais annoncé hier, a déjà fait reculer ses troupes et maintenant nous déplacerons vers l'arrière aussi les troupes de l'OTAN." Et cela donnera du sérieux à l'action de Trump. Et les Européens... diraient : "qu'est-ce ? une bonne ou une mauvaise nouvelle ?" La mauvaise nouvelle c'est que les Européens devront investir plus dans leur défense, mais la bonne nouvelle sera que les gens se demanderont : "Pourquoi ? quelle est la vérité sur la Russie ? et sur la presse américaine ils commenceront à lire "Ben, nous avons agrandi les choses et la plupart de ce qui est arrivé est la conséquence du coup d'état que nous avons fait aux portes de la Russie en février 2014." Et lorsqu'on comprendra ceci il y aura une espèce de soulagement... "Ah ok, nous n'avons pas besoin d'augmenter nos défenses et peut-être que les Russes diminueront les leurs. Donc c'est très simple : lorsque tu n'as pas affaire avec un peuple qui n'a pas été nourri d'informations objectives tu dois... commencer à le nourrir, et Trump peut le faire. Parce que sur lui la presse mainstream a donne un seul identique jugement. Mais maintenant qu'il est devenu Président il y a beaucoup de choses qu'il peut faire pour persuader la presse de le suivre. Et si mon impression est correcte la presse le suivra et dira : "Ah oui, la Russie n'est pas si mal... et Poutine ? Il est en train de parler avec le Président donc il ne peut pas être si mauvais..." Mon point de vue est que celui-ci est un gros obstacle, parce que la presse est contrôlée par les mégas-corporations qui font de l'argent avec la production et la vente des armes.