A la veille d'un sommet international aussi important comme celui qui se tient aujourd'hui à Genève, entre les puissances mondiales, afin de trouver une solution à la crise ukranienne, j'ai voulu voir hier soir, comment la nouvelle a été annoncée aux Européens par Euronews, et qu'est-ce que j'ai découvert ?
La chaîne s'adresse aux Français et aux Italiens ni avec le même ton ni par le même contenu !
Pourquoi une information censée intéresser également les deux peuples, étant donné que notre intérêt commun, l'Europe, la paix, sa prospérité en dépendent, devrait prendre des accents à tel point différents que l'interprétation des intentions des acteurs en sortira modifiée ?
Quel serait dès lors le "bon" message, le plus proche de la vérité ?
Pour mettre en évidence les différences, les deux communiqués - dont seulement celui en français est signé par l'AFP et par l'Agence Reuters, celui en italien ayant visiblement été repris des mêmes agences - sont subdivisés pour être rapprochés en 4 parties. Le texte italien est traduit littéralement.
1ère partie
Version française :
Le Premier ministre ukrainien accuse la Russie de vouloir construire “un nouveau mur de Berlin” et “d’exporter le terrorisme vers l’Ukraine”. Arseni Iatseniouk s’exprimait ce mercredi, à la veille d’une réunion quadripartite à Genève avec, notamment, la Russie et l’Ukraine.
“Si je comprends bien, la Fédération de Russie a un nouveau produit à exporter, a ironisé Iatseniouk. En plus de l’exportation de pétrole et de gaz, la Russie a commencé à exporter le terrorisme en Ukraine. Le gouvernement russe doit immédiatement retirer ses groupes de reconnaissance et de sabotage, condamner les terroristes et exiger d’eux qu’ils se retirent des bâtiments (qu’ils occupent).”
Version italienne :
A la veille d'une réunion à Genève qui devrait re-engager le dialogue entre Moscou et Kiev, avec la contribution de l'Union européenne et les Etats Unis, les parties continuent à s'accuser réciproquement pour l'augmentation du niveau de l'affrontement.
Le premier ukrainien Arseny Yatseniuk affirme : "Il me semble comprendre que la Russie ait un nouveau produit à exporter. En plus du pétrole et du gaz, en Ukraine il a commencé à exporter le terrorisme. Le gouvernement russe doit immédiatement retirer son soutien à des groupes de saboteurs, condamner les terroristes et demander la fin de l'occupation des sièges administratifs."
2ème partie
V. fr. :
Par la voix de son ministre des Affaires étrangères qui était au Vietnam ce mercredi, la Russie a jugé que Kiev devait écouter le peuple ukrainien et éviter de recourir à la force.
V. it. :
La Russie repousse les accusations et le ministre des affaires Etrangères Serghei Lavrov promet de participer au rendez-vous de Genève avec les meilleurs intentions.
3ème partie
V. fr. :
“Nous allons apaiser la situation, a déclaré Serguei Lavrov. Nous le ferons pour que le gouvernement à Kiev voie avec respect les avis et les demandes des citoyens ukrainiens qui vivent dans le sud-est, qu’il rejoigne sans délai la table des négociations afin de calmer la situation et de ne pas l’enflammer en ayant recours aux services de sécurité, particulièrement l’armée, ce que la loi ukrainienne interdit explicitement.”
V. it. :
"Nous faciliterons les choses" déclare Lavrov. "Nous le ferons de manière à ce que le gouvernement de Kiev juge avec respect les opinions et les demandes des citoyens ukrainiens qui vivent dans le sud-est et s'unisse aux négociations pour calmer la situation et ne l'enflamme pas par l'emploi des forces de sécurité, et en particulier l'armée, chose explicitement interdite par la loi ukrainienne."
4ème partie
V. fr. :
Sauf coup de théâtre, Serguei Lavrov rencontrera à Genève pour la première fois son homologue ukrainien Andrij Dechtchitsia.
En cas d‘échec de la réunion quadripartite, les Etats-Unis ont menacé de prendre de nouvelles sanctions contre Moscou.
V. it. :
La diplomatie russe exprime en outre du désarroi (est déconcertée) pour les déclarations par lesquelles le ministre français Laurent Fabius a attribué à Moscou toute la responsabilité de la dégradation de la situation ukrainienne.
Pourquoi informer les Italiens de ce que le ministre français a dit, tout en taisant le ton menaçant adopté par les Etats Unis, au même moment où les Français ne seront pas informés du "désarroi" que leur propre ministre des affaires Etrangères aurait provoqué chez les Russes, par contre des menaces américaines oui ?
Dans la version française il est suggéré de soupçonner que le ministre russe n'aille pas au sommet, alors que dans la version italienne, on présente au contraire l'image de quelqu'un qui serait mû par les meilleurs intentions… franchement !?!
Et pourquoi dans la version adressée aux Français on mentionne que Lavrov était au Vietnam - que vient faire le Vietnam là-dedans ? - tout en soulignant qu'il aura employé un ton péremptoire - le verbe "devoir" - pour s'adresser à Kiev, alors que le message adressé aux Italiens endosse la position de réfutation de la part des Russes, quant aux accusations de terrorisme qu'on leur impute ?
Enfin, tout en nommant le ministre russe par son nom, le message aux Italiens souligne sa promesse de se joindre au sommet "avec les meilleurs intentions" , alors que le message adressé aux Français ne le nomme pas, il le met encore plus à distance et par la formule "par la voix de son ministère", et par sa "position de juge" ?
Bizarre non ?
Pourtant les Européens - en l'occurrence, Italiens et Français - sont censés être capables de saisir le sens de tous les mots de leurs langues respectives … alors pourquoi transmettre des visions aussi ouvertement différentes dans leurs implications ?
Le petit exercice ci-dessus ne vise surtout pas à critiquer le professionnalisme des uns ou des autres. Mais on peut légitimement se poser la question :
les médias s'adresseraient-ils à l'opinion française d'une manière anxiogène ? c'est vrai qu'il s'agit ici de l'analyse appliquée à la transmission d'un seul communiqué, mais un communiqué de taille : il contient de manière implicite l'attente censée se développer au sein de l'opinion publique à l'égard du représentant d'un des pays responsables de cette crise internationale.
Si on voulait diviser "le peuple" européen on ne s'y prendrait pas mieux …. qu'on ne vienne pas nous dire après coup, qu'il n'existe pas et qu'il n'a jamais existé !
A contrario, ce petit exemple laisse penser au moins une chose : si Bruxelles ne communique aux Européens sa position de manière claire, comment demander aux autres acteurs internationaux de croire en la possibilité d'une politique autonome par rapport à toute puissance extérieure ? et surtout comment prétendre que les Européens eux-mêmes, devraient y croire ?
La Russie exporte le terrorisme vers l’Ukraine, dixit Iatseniouk
16/04 17:04 CET
http://fr.euronews.com/2014/04/16/la-russie-exporte-le-terrorisme-vers-l-ukraine-dixit-iatseniouk/
Ucraina: “La Russia esporta terrorismo”
16/04 17:04 CET
http://it.euronews.com/2014/04/16/ucraina-la-russia-esporta-terrorismo/