14 DÉCEMBRE 2015 - PAR FABRIZIO POGGI
Les lignes de la politique ukrainienne sont si soigneusement conçues à Washington, que les ajustements demandés au fur et à mesure n'ont pas besoin de la présence in loco du "contremaître". Si le grand hôte a dû se déranger, c'était pour donner le feu vert à un changement ayant attrait non pas au sens de la marche, mais concernant qui doit tenir le volant.

Sur ce point, ils semble qu'il y ait quelques difficultés. Déjà samedi dernier, le lendemain de l'expiration de l' "immunité" pour le gouvernement Yatseniuk (dans la première année après les élections le cabinet ne peut être démis), le député de la fraction présidentielle "Bloc Porochenko", Nikolaj Velickovic, déclarait à la Rada que le nombre suffisant de voix pour renvoyer Arseni Yatseniuk était atteint ; ce qui manque est le nom d'un remplaçant agréé par tous. Peut-être aussi parce que personne ne tient à prendre la tête du gouvernement dans ce moment d'effondrement économique et social aux portes. La déclaration de Velickovic suivait d'une seule journée les "scènes de chasse à la Rada" pour canarder Yatseniuk. Vendredi en effet, alors que à l'extérieur de la Rada se rassemblaient des centaines de manifestants contre la politique du gouvernement, à l'intérieur quelques députés pensait bien de faire entendre sans métaphores au premier ministre que son temps était écoulé. Les méthodes concrètes pour le lui manifester ne constituent certes pas une nouveauté pour l'eurodémocratie ukrainienne; d'ailleurs, si le temps presse et qu'il faut exécuter les ordres, on prend pas de gants.
Pour lui dire adieu, le député du "Bloc Porochenko" Oleg Barna a d'abord fait cadeau à Yatseniuk d'un bouquet de fleurs, avec même un ruban funèbre et lorsque cela même n'a pas suffi à convaincre "le lapin" (le petit nom par lequel les Ukrainiens caressent Yatseniuk), il lui a littéralement attrapé les "saintissimes" d'une main et l'a descendu de la tribune parlementaire en le soulevant de tout son poids.
https://www.youtube.com/watch?v=p5wvP47JxLc
Quand on dit le "pragmatisme américain" (Staline) traduit en langue slave!
Pour tenter de remettre un peu les choses sur les rails du vieux continent, c'est le président Porochenko qui a dû s'en mêler et, comme il arrive souvent, ses paroles n'ont fait qu'éclairer encore mieux les splendeurs d'un parlement où priment des chefs ou d'anciens chefs de bataillons néonazis, des affairistes et de chefs de bande des principaux oligarques du pays. Les députés de la Rada sont entravés dans leur travail par un faible QI, a dit le président. En effet, selon un rapport de l'agence de presse Anna news, Porochenko faisait allusion au fait que le parlement devra adopter bientôt la loi de réforme de la Constitution relative à la décentralisation, à laquelle s'opposent de nombreux députés et dont dépend, cependant, "la question de la paix dans le Donbass - a dit Porochenko - et je n'ai le moindre doute que l'adoption d'une telle décision sera très difficile. Notre QI doit dépasser les 300, étant donné que seulement un intellect d'un niveau exceptionnellement élevé, combiné à la puissance de nos forces armées, nous permettra de gagner contre un ennemi aussi fort que la Russie."
Au moins sur ce point, sur les capacités intellectuelles des députés de la Rada, il semble que entre le président et le Premier ministre l'accord soit complet. Après avoir assisté calmement à la rencontre de boxe sur le ring parlementaire, Yatseniuk a eu à peine le souffle pour vocaliser (et d'ailleurs la "prise de main", un certain effet physiologique, elle a dû l'avoir) "Tout va bien. Des retardés il y en a beaucoup."
Pour la petite histoire, Arseni Yatseniuk aurait dû intervenir au Parlement avec le rapport annuel sur les activités du gouvernement. Tout en traçant les lignes des "succès économiques grandioses", le Premier ministre s'adressait aussi aux députés du "Bloc Porochenko", leur rappelant leurs responsabilités, en tant que partie intégrante de la coalition au pouvoir. Il venait juste de commencer à parler, quand voilà soudainement apparaître Oleg Barna, avec les fleurs et la "main de fer" et tout ce qui en a suivi, y compris les gifles assénées à ce dernier par les députés du "Front populaire" (la fraction de Yatseniuk) et de ses collègues accourant en sa défense au cri "ils frappent les nôtres!." Là, ça a été tout un agiter de bras, de mains, de jambes "pas mur contre mur" - écrit le Komsomolskaïa Pravda - mais "fraction contre fraction", dans un carrousel de bousculades, de coups de pied, de gifles et de coups de poing. Il ne manquait que Victoria "fuck UE" Nuland qui, comme l'écrit le Komsomolka, est une habituée de la galerie de la Rada à de tels spectacles, mais qui cette fois est repartie avec Joe Biden.
Sur la toile, bien sûr, on s'est dépensé en blagues sur ce qui est arrivé à la Rada et sur la bagarre qui a suivi la performance Barna-Yatseniuk. Et d'outre-océan, le même Joe Biden a dû inviter les députés ukrainiens au calme et à parvenir à un accord; sous-entendu, bien sûr, sur le nom du remplaçant de Yatseniuk.
Le EADaily commente depuis Kiev le cirque parlementaire ukrainien, un authentique "miroir des processus se déroulant dans le pays", tout en se demandant "Quand la Russie se décidera-t-elle à dissoudre l' orchestre dirigé par Biden?" et rappelle l'anecdote circulant à Kiev selon lequel "Avant il y avait le radicalisme politique, puis vint l'aventurisme politique et maintenant règne l'idiotisme politique." Le politologue Igor Berkut écrit d'ailleurs sur Politobzor.net que le faible Porochenko n'est pas capable de diriger un pays qui, dans son développement politique, est en retard de 15 ans par rapport à des pays tels que la Russie, qui a connu au cours des années 90 le même contexte de la scène d'aujourd'hui à Kiev. Biden lui-même, de l'avis de Berkut, miserait sur un leader qui soit moins imprévisible et en mesure de diriger vraiment le pays selon des lignes américaines. Dans la situation actuelle, un nouveau Maïdan est presque inévitable, avec des conflits entre centre et régions (non seulement le Donbass, mais aussi le centre-ouest) ou entre le président et le Premier ministre, écrit Berkut. Si l'on ajoute à cela les règlements de comptes avec et entre les divers regroupements néo-nazis (notamment Pravyj Sektor) et, à l'extérieur, les ambitions polonaises sur les anciens territoires (avant 1939) aujourd'hui une partie de l'Ukraine occidentale, les cartes dans les mains des joueurs ukrainiens sont vraiment légères. A tel point que le professeur Jaroslav Gritsak, historien à l'Université de Lvov, a lancé un appel public aux Ukrainiens afin de "cesser de craindre une nouvelle Maïdan et de se préparer consciemment à elle. Dans le contexte d'une crise économique prolongée et d'une guerre "gelée", l'Ukraine entre dans une période de forte turbulence politique." Gritsak affirme: "Il existe de réelles possibilités d'élections anticipées, législatives et présidentielles et peu de chances de survie des "nouveaux vieux" partis. Si les dirigeants de Maïdan ne s'éloignent pas de ces partis, ils couleront avec eux. Et d'autres vont émerger. Comme on sait, celui qui se maintient à flot dans toute situation, n'est pas digne d'être pris en considération."
Maintenant c'est encore une fois à Washington de parler.
Joe Biden à Kiev pour contrôler les affaires du gouvernement ukrainien
9 DÉCEMBRE 2015 - PAR FABRIZIO POGGI

La deux-jours ukrainienne du vice-président américain Joe Biden s'est terminée aujourd'hui. Lundi soir, les principaux sites ukrainiens rapportaient les paroles du politologue Piotr Oleščuk, selon lequel Biden n'est pas arrivé à Kiev "en qualité d'auditeur." Immédiatement, étant donné aussi la scénographie ukrainienne, la pensée est allée au "Revizor" de Gogol, ne serait-ce que parce que, derrière le grand hôte représentant, est arrivée à Kiev aussi la bien plus pragmatique adjointe au Département d'Etat pour l'Europe et l'Eurasie, Victoria "Fuck UE" Nuland, la véritable coordinatrice-superviseure des affaires ukrainiennes, d'Euromaïdan à ce jour. Officiellement, Biden est allé s'assurer que le prêt supplémentaire états-unien de 190 millions $ - qui fait monter à 760 millions le crédit des États-Unis à Kiev depuis le putch de février 2014, sans compter les 300 millions $ en armement "non-létal" prévus par Obama dans le budget fédéral de 2016 - n'atterrisse pas une fois de plus dans les poches de quelques magnats liés à la junte. Biden a en effet déclaré que la priorité en Ukraine reste la lutte contre la corruption, tout en conférant une autorité atlantique a ce que va en répétant pendant des mois le plus fidèle yankee ukrainien (non plus géorgien, depuis que Tbilissi lui a enlevé la citoyenneté) Mikhaïl Saakachvili, directeur des terminaux pétroliers (!) du port d'Odessa et fustigateur vigilant des oligarques Igor Kolomoïski et Rinat Akhmetov, du Premier ministre Arseni Yatseniuk et de tous les magnats impliqués, selon les dires de l'ancien président de la Géorgie, dans une intrigue de corruption de 5 milliards $ par année.
Après les rencontres de lundi avec Porochenko et Yatseniuk, hier Biden a parlé à la Rada et, comme les journalistes n'ont pas été admis dans la salle d'audience, le site vesti-ukr.com s'est limité à commenter que le vice-président américain n'a rien fait d'autre que "donner les devoirs à Petro Porochenko": sûrement en anglais. En face de la Rada suprême de l'Ukraine, le seul drapeau à s'agiter au vent était hier l'étoilé et les préposés à la sécurité, comme rapportaient plusieurs membres sur feisbouc, saluaient par un "good morning"!
Il est vrai que depuis Kiev, Biden n'a pas manqué l'occasion d'accuser Moscou de ne pas respecter les accords de Minsk sur le Donbass. Si la question n'était pas si terriblement tragique, si l'attaque menée par Kiev avec l'armée et les bataillons néo-nazis n'avaient pas décimé des personnes (plus de neuf mille morts) et les structures du Donbass, on aurait envie de dire que, à Washington on parle de milices populaires et de troupes de Kiev, tout en ayant à l'esprit ce personnage de Woody Allen qui s'entraînait à frapper par son nez les poings de l'adversaire : la question sur "qui attaque qui" et "qui viole et qui respecte quoi" s'embrouille sur les vagues de l'Atlantique.
Dimanche soir, alors que l'avion du numéro deux états-unien atterrissait à Kiev, l'armée ukrainienne harcelait avec des mortiers de 120 mm, des fusils et des lance-grenades certains villages autour de Gorlovka, presque pour clarifier à Joe Biden les termes de la question. Le lundi, aux mêmes heures où Joe proclamait sa vérité sur les crimes de Moscou, les troupes ukrainiennes occupaient du terrain le long de la bande de territoire neutre qui sert de tampon entre les forces de Kiev et les milices populaires de la DNR, et au cours de la soi-disant " Avancée passive", ils prenaient possession des villages de Piščevik, Pavlopol, Ĝnutovo, Širokino et Žovanka, tout en chassant les habitants de leurs maisons. Mais "Moscou ne respecte pas les engagements"! Dans le village de Pionerskoe, dans la province de Stanitsa-Luganska de la LNR, une femme de 70 ans a été abattue par un tireur d'élite ukrainien à 15 heures de lundi: le coup faisait écho à la poignée de main matinale entre Biden et Porochenko. A 19 heures le village de Spartak, dans la banlieue de Donetsk, finissait sous les tirs des mortiers ukrainiens et une maison a été complètement incendiée, éclairant ainsi la chaleureuse étreinte entre Biden et Yatseniuk qui, dans la matinée avait échangé un baiser affectueux avec le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker à Bruxelles. Mais "l'agression russe" doit cesser, répétait obstinément Joe et ses mots à la Rada ont paru donc à peu près comme celles écrites sur un script, que "l'Ukraine doit aussi observer son propre rôle des accords de Minsk", prononcés pendant que Kiev refusait de remettre aux représentants de la DNR la liste des noms des miliciens prisonniers afin de procéder à l'échange selon la formule "tous pour tous." Plus en harmonie avec le rôle, son appel aux habitants du Donbass de refuser de vivre "sous des séparatistes et des criminels": mieux vaut prendre à coups de nez les poings de fer ukrainiens!
Le site cont.ws site écrivait hier ironiquement que si Joe Biden est arrivé à Kiev pour démontrer que les Yankees n'ont pas oublié l'Ukraine, ça signifie qu' "ils n'ont pas oublié combien d'argent ils ont dépensé sur l'Ukraine", ils "l'utilisent pour résoudre certains de leurs petits problèmes ", mais refusent de se porter garants. Le porte-parole du président russe Dmitri Peskov a dit que si Kiev, comme suggéré par le ministre des Finances de l'Ukraine, l'états-unienne Natalja-Département d'état-Jaresko, ne va pas solder la dette de 3 milliards de $ à Moscou au plus tard à la fin de ce mois, elle ira sûrement en défaut, après que les USA et l'UE ont confirmé de ne pas être disposés à se porter garants pour son fractionnement à 1 milliard par an jusqu'en 2018 comme proposé par Poutine. Et en Ukraine, écrit l'analyste de cont.ws, il y a des gens qui croient vraiment "que l'Amérique est notre amie. Ils ôteront quelques politiciens, en nommeront d'autres et ainsi notre vie s'améliorera. Certains Ukrainiens croient vraiment que Biden ne sait pas que Yatseniuk et Jaresko volent le pays. Il en est déjà à sa troisième visite en un an et nous savons que depuis ces visites la vie ne s'est pas améliorée, elle a seulement empiré. " Quelque chose changera: il est probable que "les aboiements de Saakachvili contre la corruption de Yatseniuk" annoncent les décisions du patron. Il semble que pour l'instant Porochenko a intérêt à garder Yatseniuk à sa place; mais pour toute éventualité, il a déjà préparé deux noms. Et deux autres noms ce n'est pas précisément Jaresko et Saakashvili, bien que contre l'ex géorgien se soit rangée toute la Rada. On parle même de l'idée de Porochenko de lâcher la coalition avec le Front populaire de Yatseniuk et de s'allier avec le Bloc de l'opposition, tout en confiant le gouvernement à l'ancien chef de cabinet du président déchu, Viktor Ianoukovitch (qui déclare vouloir "revenir à la politique") Sergei Levočkin.
La seule chose certaine, écrit cont.ws, c'est que "après les visites de nos amis d'outre-océan, habituellement recommence la guerre." Mais pour les gens ordinaires continue la torture des salaires insuffisants pour acheter le strict nécessaire, "le terrorisme du régime, le crack des euroillusions, l'incapacité de Yatseniuk, les cuites de Porochenko, la servilité d'esclaves envers les patrons américains, l'aggravation des problèmes économiques et énergétiques, le banditisme des "patriotes", déjà passés au racket et au banditisme, le rapide rapprochement du moment où le régime et ses laquais devront payer la facture."
Les vengeances internes au sein du régime, plus ou moins ouvertes, n'ont jamais cessé. Maintenant, est en train de monter en intensité le défi lancé à la junte par Semyon Semënčenko et par les néo-nazis de son bataillon "Azov", qui continuent d'occuper la mairie de Krivoj Rog tout en tentant un putch privé à l'échelle urbaine, un modèle réduit de l'euro-Ukraine en dissolution. En effet ce n'est plus seulement le Donbass, écrit le portail de Anna news, mais au moins trois autres régions qui demandent l'autonomie de Kiev. Dans celle de Dnepropetrovsk, aux élections locales d'octobre la moitié des sièges sont allés au Bloc d'opposition, qui est en faveur de l'autonomie du centre et de l'octroi du statut de région économique spéciale; même chose dans la région de Kharkov, pour ne pas mentionner l'outre-Carpates, habités par de nombreuses personnes d'origine russe, qui ne se considèrent pas du tout des Ukrainiens. Et au centre, selon l'agence DAN de Donetsk, la junte tente de renvoyer une nouvelle Maïdan, tout en éloignant de la capitale et envoyant au front les secteurs les plus radicaux des bataillons : seulement pendant la semaine dernière, un millier d'hommes de Pravy Sektor ont accompagné au front près de 500 pièces d'artillerie. Le Directeur de l'Institut pour la politique ukrainienne, Ruslan Bortnik, déclare à l'agence Tass que les "probabilités d'une explosion sociale entre février et mai 2016, lorsque le revenu de la population va tomber ultérieurement et que les prix augmenteront, sont de plus de 60%." Du même avis, le politologue ukrainien Kirill Molčanov, selon lequel la mèche pourrait être allumée non seulement par les problèmes sociaux, mais aussi par quelque provocation de groupes radicaux et néo-nazis, ou par le soulèvement contre le centre de groupes oligarchiques et financiers locaux. Selon le leader du mouvement "Choix Ukraine", Viktor Medvedčuk, "les Ukrainiens ne sont déjà plus menacés par la pauvreté, mais par une véritable indigence et leur lutte pour la survie deviendra encore plus désespérée." Oko-planet écrit que Biden est venu tout simplement "sanctionner la désintégration de l'Ukraine."
Dans cette situation, écrit encore l'agence Tass, les USA se montrent indifférents aux problèmes énergétiques ukrainiens et regardent seulement à leur propre avantage économique, de sorte qu'ils refusent de discuter même de la résiliation unilatérale de la californienne Chevron de ses engagements pour l'exploration des gisements de gaz de schiste dans la région nord-ouest de Ivano-Frank. Les USA ont intérêt à ce que l'Ukraine importe du gaz des terminaux de gaz liquéfié de Pologne et de Lituanie. Ce qui ne fait que rendre de plus en plus profonde la crise du pays et affamer par des tarifs énergétiques lunaires la majorité de la population ukrainienne.
Mais pour Joe, l'essentiel est d'ordonner à Moscou de respecter les accords de Minsk.