21.04.15 - Mario Draghi n'est plus tellement sûr de la célèbre «irréversibilité» de l'euro. Un dogme sur lequel Bruxelles et Francfort ont toujours juré. Bien sûr, le mot magique continue à être répété, mais avec quelle conviction c'est le numéro 1 de la BCE lui-même qui l'a avoué. Lequel numéro 1, s'exprimant hier à Washington, a déclaré que si la crise grecque s'aggrave nous serions en "Eaux inexplorées".
par Leonardo Mazzei
Bien sûr, Draghi a menacé Athènes - "vous devez faire plus si vous voulez vous sauver" - tout en cherchant à rassurer le reste de la zone euro et en particulier les marchés financiers - «nous sommes mieux équipés qu'en 2012 et 2010".
En quoi consiste le "meilleur équipement", c'est vite dit. Premièrement, nous ne devons jamais l'oublier, le soi-disant "sauvetage" de la Grèce a consisté à acheter des obligations grecques détenues par les banques dans d'autres pays de la zone euro, en premier lieu, les françaises (il y a 5 ans exposées pour 78 milliards), au deuxième celles allemandes (avec une exposition de 45 milliards en 2010). De cette façon ce n'est pas la Grèce qui s'est "sauvée", comme on le prétendrait. Par contre ce sont les banques qui se sont sauvées, en transformant une fois de plus un risque privé en une augmentation de la dette publique. La conséquence de cette opération est que aujourd'hui, dans le cas d'un défaut de la Grèce, à payer seraient les Etats et non plus les banques. Deuxièmement, Draghi fait évidemment référence au QE (assouplissement quantitatif), un outil réellement en mesure de soulager la pression sur les taux d'intérêt de titres de la dette publique, mais seulement dans certaines limites.
Cependant, même "équipé" de la sorte, Draghi est préoccupé de se retrouver dans des "eaux inexplorées." Maintenant, il est vrai que son visage terrifié devant une jeune fille armée seulement de confettis (voir ICI ) n'est pas exactement l'image d'un coeur de lion, mais à l'origine de cette inquiétude il doit y avoir quelque chose de très concret.
Et en fait, il y a au moins cinq raisons.
La première est que le gouvernement grec n'a jusqu'à présent pas plié aux diktats des eurocrates. Il a fluctué, il a fait quelques concessions, il a prêté serment d'allégeance à l'euro, mais il n'a pas bougé. Du moins pas dans la mesure requise. Et la raison politique rend difficile une véritable capitulation, parce que ce serait la fin de Tsipras et SYRIZA. Qui ne serait pas simplement vaincue, mais anéantie et ridiculisée. Avec le seul résultat de gagner une place prépondérante dans les pages sombres de l'histoire de la Grèce. Un groupe leader dans le gouvernement depuis moins de trois mois peut-il se suicider de la sorte ? En douter est plus que licite.
Le deuxième motif de préoccupation, qui découle en grande partie du premier, c'est que l'euro sera encore "irrévocable" dans celui le Francfort, mais de sa rupture on discute maintenant ouvertement dans la presse internationale. Par ailleurs, le fait même qu'on menace une sorte d'expulsion de la Grèce de l'euro, n'est-ce pas la preuve que de l'euro on peut en sortir, et comment ?
Mais il y a une troisième raison. Et elle se trouve dans le comportement des "mythiques" marchés financiers. Et ici, on ne plaisante pas, parce que, pour des gens comme Draghi non seulement les "marchés parlent", mais ils sont de fait les seuls à jouir vraiment du droit de parler. Donc, il faut les écouter. Et que disent-ils ces gardiens suprêmes de la vérité ? Ils nous disent que les spreads des pays touchés par la crise de la dette (l'Italie et l'Espagne en particulier) ont augmenté brusquement ces derniers jours, en passant dans le cas italien de 100 à 146 points de base. Un signe assez clair des limites d'un QE mis en œuvre sous les contraintes souhaitées par l'Allemagne. Des contraintes qui imposent un assouplissement quantitatif en proportion du poids des pays respectifs, en raison duquel pour chaque titre italien acheté la BCE devrait acheter un titre et demi allemand.
Un fait, ce dernier, qui est en train de pousser les taux des Bunds allemands en territoire négatif; un monstrueux cadeau à l'Allemagne qui peut ainsi réduire sa dette sans bouger une feuille. Mais, plus généralement, le phénomène des titres avec un taux négatif nous parle d'une autre chose.
Et c'est le quatrième motif des préoccupations de Draghi. Pourquoi achète-t-on des titres avec un taux en dessous de zéro? Etant donné que généralement sur les marchés financiers il n'y a point de bienfaiteurs, il faut bien qu'il y ait une raison. Et elle est assez simple à comprendre. Qui achète ces titres parie sur le fait que la monnaie dans laquelle ils sont libellés est destinée, dans un délai raisonnable, à une réévaluation significative.
Rappelez-vous le cas des titres libellés en francs suisses. Leurs acheteurs ont fait valoir pendant quelques années des taux négatifs, mais après - au moment de la libération du franc suisse de l'euro - ils se sont retrouvés en un jour plus riches de 20%. Ceux-là ont gagné leur pari, mais quelle est-elle, celle de quelqu'un qui achète le Bund?
Evidemment ces acheteurs (nous sommes évidemment en train de parler principalement de banques, de compagnies d'assurance et de fonds d'investissement) parient sur le fait que, dans quelques années, l'Allemagne reviendra au marc, avec sa forte appréciation face aux autres devises de la zone euro. Mais comment sont-ils, ces parieurs et surtout quel est le total de ces paris? D'après ce que nous lisons dans les journaux économiques, la somme coquette en question serait d'environ 2 000 (deux mille) milliards d'euros. Deux mille milliards utilisés pour acheter des titres à un taux négatif. Deux mille milliards pariés contre la monnaie unique dans le tripot du capitalisme-casino.
Voici ce que voulait dire hier la phrase suivante du chef de la BCE: "Miser contre l'euro n'a pas de sens. Allez-vous le faire? Faites-le. Mais la monnaie unique est irréversible ". Acculé par les faits, déconcerté par les choix mêmes des "indiscutables" marchés, Draghi n'a su rien faire d'autres que revenir au dogme absolu. Visiblement, d'autres arguments il n'y en a pas.
Mais il y a aussi un cinquième sujet d'inquiétude pour les eurocrates. Ils sentaient qu'ils avaient mis en cage la Grèce, et que par conséquent Athènes n'avait plus qu'à choisir la manière d'une capitulation de toute façon inévitable. Ils avaient oublié de regarder le monde, une sphère seulement partiellement occupée par l'Europe. Il semble, par contre, que Tsipras l'a consultée, et qu'elle a décidé de regarder vers l'est.
La nouvelle semble certaine, et maintenant en parlent et la presse grecque et celle internationale, à partir du Spiegel allemand: Athènes serait sur le point de signer un accord avec la Russie pour faire passer sur son territoire le Turkish Stream, le gazoduc conçu par le Kremlin (après la fin le projet South Stream) pour contourner l'Ukraine. Selon les rumeurs 5 milliards de dollars entreraient immédiatement dans les caisses grecques, comme avance des paiements annuels pour les droits de transit. Une opération semblable (10 milliards le montant) serait en vue avec la Chine, qui anticiperait le montant en raison de futurs projets dans le secteur du port et les chemins de fer.
Les journaux italiens se consolent avec le fait que 15 milliards de dollars ne sont de toute façon pas suffisants pour la Grèce. D'accord, mais 15 milliards de dollars sont néanmoins le double des 7,2 milliards d'euros que la troïka ne veut pas libérer dans les négociations en cours depuis plus de deux mois. Non seulement, 15 milliards de dollars pourraient être le bon montant d'argent pour faire face à la crise financière qui suivrait le défaut et la sortie de l'euro.
Des choix pas encore certains, mais nous l'espérons fortement. Des choix presque obligés par l'intransigeance des euristes. Lesquels ne pardonneront sûrement pas une telle démarche géopolitique de Tsipras.
Maintenant, tout peut arriver, mais la position grecque a soudainement augmenté. À ce stade, la balle est dans le camp euriste, tandis que certainement Washington aussi voudra dire la sienne. Comme l'a récemment écrit Moreno Pasquinelli : "Le moment de vérité pour Tsipras et les siens est imminent." Et nous, nous espérons que c'est un choix de liberté, de démocratie et de défense de la souveraineté nationale.
Vraiment il n'est pas exclu que la fin de l'euro-dictature commence d'Athènes.
source :
http://www.sinistrainrete.info/europa/5021-leonardo-mazzei-lacque-inesplorater.html