La Cigüe
Cet article, publié aujourd'hui sur EEP, m'a coûté beaucoup de souffrance, et en aucune façon je ne voulais manquer ma solidarité avec SYRIZA. Mais moi El pueblo unido jamas sera vencido, je l'ai chanté longuement il y a nombreuses années, et maintenant je signe et descends dans les rues pour SYRIZA, mais El pueblo unido je ne la chante plus. Mais si vous ne pouvez pas vous retenir, alors lisez James Galbraith. Moi aussi, je pourrais écrire ainsi, c'est gratuit de le faire. Et, à cet égard, j'espère que le long séjour de Galbraith à Athènes était à ses propres frais et non de ceux du pauvre contribuable grec.
L'amer grec
8.04.15 - Ce jeudi expire la tranche de 460 millions d'euros que la Grèce doit au Fonds monétaire international. Après avoir déclaré que ce paiement était une alternative à la fourniture des salaires publics et des retraites, le gouvernement grec a confirmé plus tard de respecter le délai et, en outre, aucun pays n'a jamais manqué un paiement au Fonds. D'autres paiements incombent inexorables à partir de mai, alors que l'Europe n'accorde pas la dernière tranche de 7,2 milliards de prêts accordés en 2012, ne se fiant pas de la liste des réformes proposées par Tsipras. Et naturellement dans cette situation, le gouvernement grec ne peut pas toujours fournir un message cohérent.
Dans quelques années, les historiens économiques enregistreront froidement la crise grecque comme le énième cas d'un pays en retard économique victime de la dette extérieure, facilité par cette forme extrême de gold standard qu'est l'union monétaire. Comme bien mis en valeur par un article récent de deux historiens économiques prestigieux, Bordo et James (www.voxeu.org), corollaires de ces événements sont le financement de la corruption qui vient de la phase d'afflux des capitaux étrangers et l'émergence après crise de la dette d'une opposition «populiste», qui revendique la souveraineté nationale face à des mesures oppressives des créanciers. Et sans doute la crise grecque sera remémorée comme la énième autre preuve de la vision froide de l'histoire qui fut celle de Thucydide, comme illustré dans le discours des Athéniens à Melii: prosternez-vous devant nous les vainqueurs, et ne faites pas de la rhétorique sur la morale humaine; si vous étiez à notre place vous vous comporteriez comme nous nous comportons avec vous. Ces discours sont difficiles pour une gauche qui préfère se prélasser entre Bella ciao et brigades joyeuses. Mais si c'est le contexte historique de ce qui se passe, que pouvons-nous apprendre et, surtout, espérer pouvoir faire?
La principale conclusion est la fin de toutes les illusions-européennes, pour ceux qui seraient en train de les cultiver. L'Europe n'accordera presque rien aux demandes grecques. Plutôt elle la laissera tenter l'aventure de la sortie de l'euro pour montrer quel est le sort malheureux qui attend ceux qui essaieraient de contester la dictature européenne. Une Grexit pourrait toutefois quitter l'Europe plus battue et acrimonieuse. Les opinions publiques sur lesquelles sera fait tomber le coût du défaut grec seront déchaînées contre ce pays, mais malheureusement, il sera difficile pour les Italiens et les Espagnols commencer à se demander pourquoi ils ont dû préfinancer le remboursement de la dette grecque aux banques françaises et allemandes, seulement pour voir les prêts ôtés à ce pays, voyant ainsi leurs propres finances publiques se détériorer et subir encore plus d'austérité. A peine ils se demanderont pourquoi l'Allemagne ne paie pas pour les créances irrécouvrables qu'elle a accordé (souvent via la France) pour soutenir ses exportations, fidèle à son modèle mercantiliste basé sur "le financement des ventes" fait entre autres également de la corruption.
L'illusion européiste ne tombe pas parce qu'il y a des gouvernements conservateurs au pouvoir ou pour une domination néolibérale financière générique (qu'est-ce que ça signifie?), mais parce que l'Europe est le combiné (a) de la conception du capitalisme national et global visant à soustraire aux classes travailleuses le terrain naturel au sein duquel se battre, c'est à dire l'Etat-nation souverain; et (b) de la présence dominante d'une puissance mercantiliste désintéressée à soutenir la demande intérieure, ce qu'il faut en fait comprimer pour faire de la place pour les exportations - cette dernière présence qui différencie l'Europe des États-Unis et en plus bien sûr, le péché originel d'absence d'une solidarité politique profonde entre les Etats et les peuples de l'Europe. L'européanisme est un idéal d'élites libérales influentes et souvent intéressées, gauche libérale-socialiste et radicaux qui croient que ce sont les avantages économiques des marchés libres qui créent la solidarité politique, ou de naïves et utopistes franges de gauche.
Certes, la crise européenne et celle de la Grèce en particulier, pouvaient (et peuvent encore) être traitées par l'Europe beaucoup plus progressiste, aussi pour le devoir de reconnaissance politique que les fautes ne sont pas seulement aux débiteurs mais aussi et surtout aux créanciers. La BCE était en effet capable de "stopper" la crise budgétaire en 2010-11, mais en échange d'une centralisation dramatique et d'un rigoureux contrôle des finances publiques nationales à Bruxelles, avec la création en même temps d'un budget fédéral qui coopérasse avec la politique monétaire pour soutenir la reprise. Dans ce contexte expansif, les pays le plus touchés auraient pu profiter de "plans Marshall" d'aides exceptionnelles. Pour comprendre comment cela est impensable dans l'Europe réelle, il suffit juste d'aller lire les notes préparées en février par Juncker, Dijsselblom et Dragons pour commencer une "meilleure gouvernance économique" de l'Eurozone. Un texte qui, if anything, accentue l'étreinte étouffante de Bruxelles fait d'austérité et de contre-réformes. Les notes similaires préparées par Van Rompuy, Juncker et Draghi en Novembre 2011 "pour l'UEM vraie et profonde", dans lesquelles on proposait un fonds de chômage européen misérable et auquel les pays pris par un cycle négatif auraient pu faire recours, apparaissent maintenant comme ultra-keynesiens (et cela dût paraître ainsi aux Allemands qui en fait les rejetèrent promptement).
Dans ce cadre, si à l'Italie reste le choix de poursuivre un modèle de "mercantilisme pauvre", selon l'expression réussie de Leonello Tronti, à la Grèce, même pas cela. Nous ne devrions pas oublier que l'économie grecque - que celle portugaise et à bien des égards aussi l'espagnole - est une économie du secteur d'exportation faible, où même un minimum de croissance économique nécessite l'aide étrangère, publique ou privée, et dans la dure réalité actuelle, d'aides publiques l'Europe ne veut plus en donner. L'Europe sait que la Grèce ne pourra jamais rembourser l'énorme dette extérieure (221 milliards d'euros par rapport à un PIB de 180), et a en fait déjà en 2012 reporté le moment du retour et a diminué de manière significative les taux qu'Athènes paie. Elles est certainement prête à faire des concessions supplémentaires, en fait, venant à la rencontre du programme de SYRIZA, sinon d'une annulation, tout au moins une nouvelle restructuration de la dette. Mais elle ne le fera que si la Grèce se mettra dans les conditions de ne plus demander un sou d'aide, par conséquent, un excédent primaire dans les comptes publics et un équilibre des comptes extérieurs. Et ici, elle ne se fie pas de promesses génériques sur le contrôle des comptes publics, mais, hélas pour eux, veut voir le sang des coupures. La vérité tragique est que Syriza voulait négocier une réduction du surplus primaire publique de 4,5% à 1,5% pour faire un peu de l'expansion, mais à la lumière actuelle des faits même 1,2% est une chimère qui se traduira par la poursuite de l'austérité substantielle.
La leçon pour Podemos est dramatique et à nous tous il ne nous reste que manger les fruits amers du sacrifice de SYRIZA, dans un sens pas inutile aux yeux cyniques de l'histoire si elle aura finalement révélé qu'une "Autre Europe" n'est pas là. Il y a seulement "Cette Europe" qui a traîné un petit pays pauvre dans la dette, et le punit maintenant. Cette constatation ne résout pas, bien sûr, notre drame politique, mais nous confronte à la réalisation du dessein européen d'évidement de la démocratie substantielle : pour quels objectifs nous battre si la politique n'est plus décidée à l'intérieur des frontières nationales, tandis que dans la dimension européenne les mouvements qui eussent également accès au gouvernement peuvent facilement être abattus un derrière l'autre ? Justement la fragilité économique historique de la Grèce, coincée entre le fait de baisser la tête ou un refus téméraire de la baisser, la rend l'exemple plus facile à pointer du doigt pour ceux qui osaient lancer un défi à l'Europe. Une Grexit pourrait conduire à l'effondrement, mais dans cette Europe réactionnaire, à moins de réactions inattendues de l'opinion publique, le résultat le plus probable est une répression sur les comptes publics qui accusent les Grecs.
La contextualisation historique nous conduit finalement à nous rappeler que le cas italien est différent du grec (et espagnol). L'Italie est un géant régional malade. Elle devint ce géant il y a 60 ans avec un miracle économique lointain, mais bientôt tomba malade d'un conflit capital-travail irrésolu et généré par l'incapacité de la bourgeoisie à mener un processus de réforme qui serait allé dans le sens des instances du travail, en modernisant le pays. Une fois les bombes arrêtées, la bourgeoisie trouva finalement dans l'Europe un lien aux instances du monde du travail, d'abord avec l'EMS et ensuite avec l'euro. Ce qui distingue le cas italien de celui grec (et espagnol) est qu'une Italie plus politiquement mature pourrait mieux naviguer en dehors de l'euro, étant donné que sa dette extérieure est absolument plus basse en termes de PIB et pouvant compter sur une réaction positive des exportations à un taux de change compétitif. Cela dit, même notre pays est, mutatis mutandis, dans la cage européenne, pris en sandwich entre un déclin certain et une sortie pour l'entrave de laquelle des liens et des lacets ont déjà été prédisposés (sur lesquels nous reviendrons).
PS Antonella Stirati m'a demandé des éclaircissements sur le passage suivant : "La vérité tragique est que Syriza voulait négocier une réduction du surplus primaire publique de 4,5% à 1,5% pour faire un peu d'expansion, mais en l'état actuel des faits même 1,2% est une chimère qui se traduira par la poursuite substantielle de l'austérité." "Hélas, je veux simplement dire qu'on ne peut trop négocier avec la Troïka une diminution de l'objectif de 4,5% à 1,5, comme si 4,5% était à portée de main. Il ne l'est pas même au bout de la lorgnette. Données en main, à ce stade la Troïka serait heureuse que la Grèce réalisasse 1,5%, ce qui nécessitera encore une autre austérité. Prendre pour une victoire (comme le fait Galbraith) la réduction de l'excédent primaire à 1,5% c'est comme prendre pour une victoire le fait que l'Italie ne respecte toujours pas le pacte budgétaire, soit une réduction du ratio dette / PIB à 60% en vingt ans. Il est clair que certains objectifs sont tellement absurdes que pas même la Troïka vous les demande. SYRIZA pensait aussi être en mesure de mettre la main sur 11 milliards que l'Europe avait donné comme fonds d'urgence pour les banques, un argent qui lui a été rapidement enlevé sans qu'elle puisse s'y opposer. C'est la crue réalité. Que faire après je ne le sais pas. Le témoignage est quelque chose que nous faisons pour notre conscience et pour garder vivante la flamme, mais l'histoire regardons-la en face.
source :
http://politicaeconomiablog.blogspot.it/2015/04/la-cicuta.html#more
site lié :
http://www.economiaepolitica.it/
articles liés :
Le révélateur grec - par Jacques Sapir
28 AVRIL 2015 | PAR SEGESTA3756