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Billet de blog 28 novembre 2014

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La Chine et la position géostratégique de l'Italie - par Pasquale Cicalese

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30.11.14  - "A cela s'ajoute une deuxième avertissement, pour l'Italie : sa centralité géographique retrouvée équivaut, en ce moment, à une fragilité géopolitique ; et elle s'ajoute à notre vulnérabilité économique. Dans ces conditions, éviter une fracture entre l'Atlantique et l'Eurasie est pour l'Italie décisif. Notre Pays risque en effet  d'être, plus qu'un carrefour, un carrefour dangereux. Sur notre péninsule, économiquement encore dominée par les rapports intra-européens, se décharge aujourd'hui l'impact conjoint de quatre facteurs externes : les flux de personnes viennent principalement d'Afrique, le gaz vient aussi est surtout de la Russie (en plus de la Méditerranée) ; de nouveaux investissements financiers viennent de la Chine ; la protection militaire vient encore largement des Etats Unis. L'Italie n'est pas seulement surexposée vers Est et vers Sud ; elle un Pays de faille en soi. De failles, même. Et elle a sur les épaules une Europe qui autrefois fonctionnait comme lien mais aussi comme antidote à des positionnements trop incertains ; aujourd'hui apparaît surtout un lien, que l'Italie de quelque manière est au contraire poussée à forcer, sous l'impact de la crise économique, en cherchant des rives extérieures. Dans une sorte de cercle vicieux, plus l'Europe centrale regarde avec méfiance à la fragilité de l'Italie, et plus les failles s'élargissent. Gérer un carrefour dangereux de ce genre n'est pas du tout facile." (Marta Dassù, Ritornare sulla via della seta ("Revenir sur la route de la soie", La Stampa, 17 octobre 2014).

Auparavant analyste du Cespi, le centre d'études stratégiques du feu Pci, M.me Dassù est aujourd'hui atlantiste inconditionnelle, porte-voix du Département d'Etat Usa en Italie et animatrice de la filière italienne Aspen Institute, sans compter le rôle de secrétaire aux Affaires Etrangères du gouvernement Letta. Ce texte publié sur l'amérikaine La Stampa, en dit long. Quoi ? Ils se font du souci, et beaucoup, à Washington. 

Pendant les journées de la visite du Premier Ministre chinois Li Keqiang, Il Foglio écrivait d'une forte irritation des américains concernant l'activisme financier chinois en Italie et admonestaient la direction italienne de la vente de 35% du Cdp Reti, concrètement le réseau énergétique italien. Au bout de 6 mois à Piazza Affari (la Bourse italienne) sont arrivés des ordres d'achat d'actions de sociétés stratégiques italiennes de la part de la People's Bank of Chine pour environ 8 milliards d'euros, encore 6 milliards sont des acquisitions de 200 moyennes entreprises italiennes de la part d'investisseurs chinois. Pendant la conférence de presse, concernant les accords avec l'Italie pour 8 milliards d'euros, le Premier Ministre Keqiang a averti les italiens que ceux-ci constituent seulement une partie des investissements totaux qu'ils ont en tête. Qui sait pourquoi le traducteur chinois a pensé traduire ce qu'affirmait Kawiang par la phrase " une petite partie "… Des réseaux énergétiques, des sociétés énergétiques, des fonds de private equity, des hélicoptères, du tourisme, des télécommunications, de la finance, des sociétés industrielles… et des infrastructures. Ils ont commencé par un petit aéroport, avec un investissement de 250 millions de dollars. Celui de Parme sera spécialisé dans le cargo de marchandises avec 9 vols hebdomadaires aller-retour Pékin. Mais ils ont dans le viseur aussi la probable fusion entre Malpensa, Linate et l'aéroport de Brescia de Montichiari. Logistique, donc. En attendant qu'ils se déplacent à Sud, où ils ont mis l'oeil sur Taranto et même, on l'espère,sur le port commercial de Crotone, si les politiciens locaux le permettent, vu que l'intérêt est fort. 

Toujours le 17 octobre Il Sole 24 Ore interviewait le manager allemand Ulrich Bierbaum, à la tête de la division Europe de l'agence chinoise de rating Dagong, qui parlait d'investissement chinois dans les dernier mois pour 6,9 milliards d'euros à la deuxième place après la Grande Bretagne. Est-ce que ça finira ici ? Nous lisons : "un chiffre destiné à monter avec l'intérêt croissant non seulement des grands players, mais aussi dans les petites et moyennes entreprises des secteurs de l'ingénierie, de l'informatique, de la composantes, réalité en phase des remplacements générationels (torna round) et avec des actifs sous-estimés, mais avec des potentialités de croissance dans la moyenne période." Celles-ci sont les entreprises industrielles, mais leur vrai objectif sont les municipalisées, pour lesquelles se prospectent des fusions avec la direction de la Caisse Dépôts et Consignations avec le fond souverain chinois CIC - et les infrastructures. 

Nous suivons encore le manager allemand : "en Italie les transports ont des marges amples de croissance, en particulier les autoroutes qui depuis le début de la crise ont perdu 10% du trafic. Une combinatoire de facteurs qui vont des nécessités de manutention et de restructuration du réseau, ensemble aux coupes dans les fond gouvernementaux, rendent attrayant l'investissement à long terme. " Oui…le long terme, un concept que Berlin et Washington ne comprennent pas, habitués aux trimestrielles et incapables de prévoir les décennies prochaines. Le phare des chinois est toute l'Europe du Sud, en particulier la Grèce et, dans cette aire eux ils prévoient investissements infra-structurels pour 200 milliards d'euros. Qui mettra l'argent ? Ah, faudrait le savoir… mais comme par hasard après le méga accord de 400 milliards de dollars avec la Russie pour la fourniture de gaz à la Chine, on commence à parler d'un Plan Marshall chinois pour l'Europe méridionale. 

Long terme, vers quoi ? Revenons en arrière. A la fin des années '90 la direction chinoise, avec le plan quinquennal, adopta le "Plan national de la Logistique" voué à accélérer dans tout le pays l'échange des marchandises. Des milliards de dollars furent investis pour les chemins de fer à grande vitesse, les autoroutes, les autoroutes des fleuves, les ports, les aéroports, d'abord dans l'aire côtière puis dans l'Ouest arriéré. Dans cette dernière aire s'orientèrent les plus importantes ressources à la fin des années 2000, renforcées par le Plan d'Urbanisation de 5.000 milliards de dollars d'il y a deux ans. Le succès de Alibaba ne peut s'expliquer sans ces méga- investissements infra-structurels. Puis quelque chose change. En mars 2013 s'installe le nouveau Président Xi Jinping lequel lance le mot de "voie de la soie eurasiatique" et "voie de la soie maritime". Un an après voilà l'accord sur le gaz avec la Russie de 400 milliards de dollars et le plan de création d'un réseau de chemins de fer à grande vitesse Pékin-Moscou (200 milliards de dollars) qui dans le futur pourrait arriver jusqu'à Dortmund. 

L'économiste De Cecco parla il y a deux ans d'une probable industrialisation russe par les chinois. Mais c'est le deuxième mot qui a des implications géopolitiques énormes. Xi parle de nouvelle Chine comme "future puissance navale". Si avec le premier mot se réalise le cauchemar de Mackinder, le géographe anglais qui aux débuts du 20e siècle voulait empêcher l'axe eurasiatique, le deuxième renvoie à l'Amiral américain Mahan, lequel affirmait que qui contrôle les routes maritimes contrôle le Rimland (soit les pays maritimes qui entourent l'Heartland eurasiatique) et contrôle le monde. Voilà donc des accords avec la Birmanie, le Pakistan, l'Inde, le Sri Lanka, l'Egypte (qui redoublera en quelques années le Canal de Suez). Où se termine la "Route de la Soie maritime" ?

Comme par hasard en Italie… voilà pourquoi Li Keqiang informait les italiens que ceux qu'on avait vus jusque là étaient seulement "une petite partie" des investissement futurs. Le protagoniste indiscuté est la People's Bank of China, mais il faut dire  que la stratégie chinoise de la route de la soie maritime implique des milliers d'entreprises publiques, les quatre majeures banques publiques, le gouvernement et leur fond souverain, une puissance de feu financière qui fait rêver les américains, vu que pour eux "feu financier" signifie uniquement le Quantitative Easing, soit l'actif inflation (asset). 

Donc, l'Italie est une faille. M.me Dassù invite au "pragmatisme" et au fond veut une sorte de G2 (USA+Chine) en Italie dans une fonction anti-allemande. Le 12 novembre Obama sera en visite à Pékin. Le G2 financier est en vigueur au niveau mondial depuis 2001, date d'entrée de la Chine dans le WTO. Le raffinement diplomatique imposerait un scénario du genre, mais la fougue impérialiste américaine est difficile à contenir. Il y a deux ans ("Dal fronte esterno al fronte interno, strategie di liberazione nazionale", MarxXXI, décembre 2012) nous exhortions l'arrivée des chinois en Italie et une espèce de raffinement diplomatique avec les américains pour ne pas empêcher tout cela. Le scénario hypothisé vient de s'ouvrir et, s'il devait continuer avec plus de vigueur, notre Pays pourrait sortir de la tenaille austro-monétariste allemande, qui est actuellement le premier objectif. Nous verrons ce que feront les américains. On espère cependant que depuis Washington ne reparte pas la saison des bombes ou de l'utilisation en Italie de l'ISIS pour contraster l'avancée chinoise dans notre Pays. Le premier objectif est chasser les austro-monétaristes de la Trojka de l'Italie et leurs collaborationnistes. 

Certes une nouvelle page s'est ouverte, pour nous aussi.

Pasquale Cicalese

MarxXXI.it

http://www.marx21.it/internazionale/economia/24688-la-cina-e-la-posizione-geostrategica-dellitalia.html

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