31.10.14 - C'est un Porochenko boiteux celui sorti des élections politiques de dimanche dernier en Ukraine. Le 'roi du chocolat', en vertu de son élection à président en mai dernier et d'une notoriété de modéré assez deméritée, pensait écraser les alliés et les adversaires tout en s'accréditant la place de gérant de l'après Maidan. Mais ça ne s'est pas passé ainsi.
Et tout d'abord, parce qu'il a perdu le défi de la légitimation du nouveau régime, vu que, aux urnes, ne sont allés qu'un peu plus de la moitié des ayants droit, signe que la 'révolution' tellement encensée n'a pas eu lieu et qu'au contraire, une tranche importante de la population, y compris dans les régions les plus 'maidanistes', ne s'identifie pas du tout avec la nouvelle idéologie nationaliste et libérale.
Mais surtout Porochenko, avec son Bloc, n'est pas parvenu à obtenir la majorité des sièges à la Rada Suprême, et devra donc descendre à des compromis avec des forces politiques à sa droite, peu enclines au compromis que le président a de quelque manière cherché durant les derniers mois avec la Russie de Poutine. Le président a dû subir l'échec de voir la coalition qui porte son nom (Blok Petra Poroshenka) arriver seulement deuxième, même si pour un 0,3% après le Front populaire (Narodniy Front) du premier ministre Arseniy Iatseniuk. Et de toute manière les deux mouvements, ensemble, n'atteignent pas 45% des voix.
Iulia Tymoshenko a été sauvée juste par un cheveu, avec son mouvement Batkivshchyna - 'Patrie' - dont s'est opportunément extrait Iatseniuk, et qui a dépassé de très peu le seuil de 5% (5,7%) nécessaire à entrer au parlement. Ce qui reste de l'ex Parti des Régions s'en est sorti un tout petit peu mieux, lui qui était le gagnant des élections précédentes ; cette fois le Bloc des oppositions (Opozytsinyy Blok) a dépassé de peu la barre en atteignant 8,25%. Des voix concentrées jusqu'à 90% dans les régions orientales de l'Ukraine où le mouvement conduit par quelque uns des plus riches oligarques du pays s'est affirmé comme premier parti à Dnipropetrovsk, Donetsk, Luhansk, Zaporizhia et Kharkiv.
Les nationalsocialistes de Svoboda par contre n'y sont pas arrivés, en atteignant seulement 4,7% des voix (pourcentage référé au quota proportionnel, d'autres sièges seront assignés sur la base uninominale) ; une défaite lourde par rapport aux dernières élections et surtout en considérant le rôle de premier plan que l'extrême droite a recouvert auparavant dans le coup d'épaule sur le Maidan et puis dans la Junte, où 'Liberté' pouvait compter sur 4 ministres.
Le parti ultranationaliste qui se revendique de l'expérience historique de Stepan Bandera - leader des milices nationalistes ukrainiennes qui collaborèrent avec l'occupant allemand pendant la Deuxième Guerre Mondiale - maintenant crie à la fraude, et ses militants se sont déchaînés contre la Commission Electorale Centrale de Kiev, dans ces heures assiégée au cri de 'recomptage, recomptage'. "Nos ex alliés de Maidan nous ont trahi!", a tonné le leader du parti, Oleg Tiaghnibok, qui dans les dernières élections avait obtenu 10,44%.
Ça s'est passé même pire pour les nazis de Praviy Sektor (Secteur Droit) qui ont ramassé à peine 1,8%, qui n'est pas si mal pour un mouvement né de groupuscules inconsistants et dans un pays dont le panorama politique est pratiquement entièrement à droite. Et de toute manière deux députés de Secteur Droit seront bien assis dans la Verkhovna Rada. Le leader du mouvement Dmytro Yarosh et un autre représentant, Borys Beresa, ont été élus comme députés dans le quota uninominal. Yarosh s'est présenté dans sa ville natale de Dnipropetrovsk où 20.000 personnes, 29% des électeurs, l'a voté, tandis que Beresa a été élu dans une circonscription majoritaire à Kiev avec 30% des voix, environ 27.000 électeurs. Il semble presque que le nouveau régime préfère les coupe-gorges de Yarosh aux nazis en costume croisé de Tiaghnibok, vu que c'est justement aux miliciens de Secteur Droit qu'a été confié la tache de gérer le service d'ordre dans les sièges de quelques villes importantes, comme la rebelle Kharkov. D'ailleurs dans les sièges des régions orientales les quelques rares électeurs qui ont voté l'ont fait sous la menace des mitrailleuses des squadristes qui à la veille des élections à Lisiciansk ont fusillé trois adolescents arrêtés quelques jours auparavant. C'est la campagne électorale à l'ukrainienne…
À souligner que parmi les votants ukrainiens à l'étranger l'extrême droite a fait un score assez meilleur qu'en patrie : dans la circonscription à l'étranger - Italie comprise - Praviy Sektor est arrivé à la quatrième place et Svoboda à la cinquième, totalisant jusqu'à 15% des voix.
Les communistes sont restés naturellement à l'extérieur du parlement eux qui ont été factuellement expulsés par la violence en dehors de la légalité et n'ont plus aucune accessibilité politique dans le pays. Le PCU de Petro Simonenko s'est arrêté à 3,86% contre 13,18% en 2012.
C'est le mouvement Samopomich ('Auto-aide')qui fait un bond surprenant en s'affirmant avec 11% des voix, fondé il y a quelques mois et conduit par Andriy Sadovy, le maire de Léopole (zone où la participation est montée à presque 70%) et fortement nationaliste et antirusse.
Un très bon résultat aussi au Parti Radical de Oleg Lyashko, ultranationaliste et de droite, qui de 1,8% est monté à 7,5%.
Finalement des urnes est sorti un parlement assez fragmenté, litigieux, plein d'oligarques ou de leurs représentants directs, avec une très grosse majorité formellement philo-européenne et philo-Otan et toute rangée sur des positions ultranationalistes et de droite, sans aucune présence de forces de gauche ou de centre-gauche. L'unique mouvement contraire à l'intégration dans l'Ue et dans l'Alliance Atlantique est le Bloc des Oppositions, lié à double tour avec Moscou. S'ils voudront gouverner, le Bloc Porochenko (qui inclut Udar de Vitali Klitschko) et le Front Populaire de Iatseniuk devront s'allier, et chercher un soutien chez quelques autres groupes, probablement Samopomich et peut-être même le Parti Radical de Lyashko. En somme dans le nouveau gouvernement devront cohabiter ceux qui représentent les intérêts de Bruxelles et ceux qui par contre prennent les ordres depuis Washington. Une cohabitation et une gestion qui ne sont pas du tout faciles, si on considère que dans la nouvelle Rada qui n'est plus orange mais brune, siègeront une centaine entre dirigeants et volontaires des bataillons punitifs, représentants des forces armées et criminels communs à la solde des nombreux oligarques, éparpillés dans différents partis.
Après la fermeture des sièges, maintenant l'attention de tout le monde est de nouveau pointée vers le front, où au cours des dernières heures on a assisté à une nouvelle recrudescence des combats et des bombardements. Selon Kiev dans les dernières 48 heures ce sont jusqu'à 9 soldats qui ont perdu la vie, et aussi parmi les miliciens des Républiques Populaires et parmi les civils qui habitent les villes assiégées de Donetsk et Lugansk - qui s'apprêtent à voter dimanche pour élire leur parlement 'séparatiste' - on compte les victimes. Au moins 6 morts provoqués par les bombardements aveugles de l'artillerie de l'armée et de la Garde Nationale.
À préoccuper c'est surtout le fait que Kiev ait retiré en catimini la signature apposée en septembre à Minsk, à l'accord sur la ligne de séparation entre les parties en conflit, tout en laissant ainsi ouvert le terrain pour une offensive que sont nombreux dans le Donbass à juger comme une question d'heures ou peut-être de quelques jours.
Pendant les derniers jours les milices ont renforcé leurs positions et dans certains cas mené des embuscades victorieuses contre des détachements des forces de Kiev restés isolés, tout en prenant possession des véhicules militaires et des armes lourdes qui se révèlent assez précieux dans la défense des Républiques Populaires. Les cas dans lesquels les soldats ukrainiens ont cédé leurs armes à l' 'ennemi' en échange de nourriture et de médicaments sont aussi fréquents, pendant que Moscou partait avec le énième convoi d'aides humanitaires destinés aux populations martyrisées de Donetsk et Lugansk.
Marco Santopadre
Contropiano.org
http://contropiano.org/internazionale/item/27232-l-ucraina-e-piu-nera-poroshenko-azzoppato-cerca-alleati-a-destra