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Billet de blog 22 mars 2024

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République démocratique du Congo : la guerre sans fin

La République Démocratique du Congo, territoire situé au coeur de l’Afrique des Grands Lacs, est en proie depuis trente ans à des conflits d’une violence inouïe. Une guerre sur fond de spoliation de ressources qui a fait au moins six millions de morts, mais dont les échos semblent atteindre difficilement les frontières de l’Europe.

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Illustration 1
© Griff Tapper, AFP

Le 19 février dernier, malgré les protestations de la RDC, l’Union Européenne a signé un accord de coopération avec le Rwanda. Il vise à faciliter l’exportation de matières premières et plus particulièrement de minerais stratégiques comme le coltan, composante indispensable à la fabrication de nos smartphones. Cet accord, qui intervient dans un moment de résurgence des affrontements, pose une question éthique majeure. Car le Rwanda, première importateur de coltan au monde… n’a pratiquement pas de coltan dans son sol. En vérité 60% des réserves mondiales de coltan se trouve en République Démocratique du Congo, dans la région du Nord Kivu, proche de la frontière rwandaise. Et ce n’est pas tout : or, étain, uranium, diamant, cobalt… La richesse de ce territoire fait l’objet de toutes les convoitises.

Tandis que les guerres d’Ukraine et de Palestine occupent chaque JT depuis plusieurs mois, la RDC bénéficie d’une bien moindre couverture médiatique et demeure inconnue du grand public. Pour saisir les enjeux politiques, économiques et humanitaires qui se jouent actuellement, il est nécessaire de comprendre dans toute leur complexité les origines et les causes de cette guerre interminable : une armée régulière désorganisée et corrompue, des casques bleus en déroute, une centaines de milices et de chefs de guerre locaux, des ingérences étrangères à répétition, des rivalités territoriales, économiques, géopolitiques… Et en toile de fond, un génocide silencieux qui semble ne jamais vouloir finir.


A l’origine, le génocide rwandais

C’est en dehors des frontières de la RDC que se produit, en 1994, un événement qui va faire basculer le destin du pays. Le pays porte alors le nom de Zaïre, et est dirigé d’une main de fer par le dictateur Mobutu Sese Seko.

Dans la nation voisine, le Rwanda, des extrémistes de l’ethnie majoritaire Hutu massacrent la minorité Tutsi. Ce génocide dure 100 jours et fait 800.000 morts. Lorsque les Tutsis parviennent, en juillet 1994, à reprendre le contrôle du pays, 2 millions de réfugiés hutus fuient vers l’Est du Zaïre, dans la région du Kivu. Parmi eux, d’anciens génocidaires qui fuient les représailles, mais aussi de simples civils, effrayés par la perspective d’un nouveau génocide. Tout ce monde est parqué, indistinctement, dans des camps de réfugiés proches de la frontière rwandaise. Là, les groupes extrémistes Hutu se reforment, dans le but d’attaquer et de reprendre le contrôle du Rwanda. Ils imposent leur loi sanguinaire aux civils des camps, et persécutent l’ethnie tutsi du Zaïre, les Banyamulenge. Le nouveau leader rwandais, Paul Kagame, perçoit bien vite la menace que représente cet avant-poste hutu, à quelques kilomètres de ses frontières. Mais malgré ses mises en garde, Mobutu semble bien peu préoccupé par la situation explosive qui prend racine à l’Est de son pays.


Première guerre du Congo (1996-1997)

Alors, en octobre 1996, Paul Kagame et son allié ougandais, Yoweri Musevini*, décident de riposter. Avec l’appui de rebelles banyamulenge, ils forment l’AFDL*. Pour éviter les accusations d’ingérence, ils placent à son commandement un congolais du nom de Laurent-Désiré Kabila*. Si l’objectif affiché est de protéger les populations tutsis et de neutraliser les extrémistes hutus, les intentions de l’AFDL ne dupent personne : il s’agit surtout de marcher sur de Kinshasa et de s’emparer et du pouvoir.

En six mois, les troupes de Kabila traversent le pays, écrasant dans le sang toute forme de résistance, poursuivant sans relâche des groupes de réfugiés épuisés et terrifiés, multipliant massacres et exactions en tout genre. En mai 1997, Laurent-Désiré Kabila pénètre Kinshasa, chasse Mobutu et s’auto-proclame à son tour président : le Zaïre devient la République Démocratique du Congo. Mais la fin du règne de Mobutu est loin de s’apparenter à un virage démocratique. Le premier geste de Kabila en tant que président est d’annuler les élections et d’interdire les partis politiques. Ses opposants sont emprisonnés. Les militaires responsables de crimes de guerre obtiennent des postes à responsabilité dans le gouvernement et dans l’armée, installant durablement un climat d’impunité.


Seconde guerre du Congo (1998-2003)

La population congolaise, marquée par les exactions de l’AFDL, est globalement opposée à la présence des troupes rwandaises et ougandaises sur le territoire. La colère gronde, et le soulèvement n’est pas loin. En juillet 1998, pour s’attirer les faveurs du peuple, Kabila tourne le dos à ses anciens alliés. Les tutsis, considérés comme des agents du pouvoir rwandais, sont limogés du gouvernement. Les armées étrangères sont sommées de quitter le territoire sous 48 heures. À cette occasion, des centaines de tutsis sont lynchés à Kinshasa.

Ce tournant radical, loin de mettre fin à l’ingérence et aux conflits, va au contraire empirer la situation. Le Rwanda et l’Ouganda humiliés ne tardent pas à renvoyer sur le territoire deux nouvelles milices, Le RCD* et le MLC*, qui prennent le contrôle du Nord-Kivu. Le prétexte est toujours le même : protéger les populations tutsis des persécutions. Mais cette occupation permet surtout au Rwanda de faire main basse sur les minerais stratégiques dont regorge le Kivu.

Pour ne rien arranger, l’instabilité ambiante donne naissance à une centaine de groupes armés qui prennent part au combat, se disputent les territoires et s’approprient les ressources. Ces groupes sont assez insaisissables : leurs objectifs sont obscurs, leur idéologie politique confuse, certains fusionnent, se scindent, collaborent, se trahissent, s’affrontent… Comme toujours, les populations civiles sont les premières victimes de ces affrontements incessants. Entre 1996 et 2003, au moins 5,4 millions de personnes sont tuées, et des centaines de milliers sont contrainte de fuir les zones de conflits.

Kabila de son côté, cherche de nouveaux soutiens. En aout, il obtient l’appui de plusieurs pays voisins : l’Angola, le Zimbabwe, le Tchad et la Namibie. Il noue également des alliances peu recommandables, comme avec le FDLR*, milice composée d’anciens génocidaire hutus qui cherchent toujours à reprendre le contrôle du Rwanda. Mais en janvier 2001, nouveau retournement : Laurent Désiré Kabila est assassiné par son garde du corps, dans des circonstances encore obscures à ce jour. Son fils, Joseph Kabila* lui succède à la tête du pays. Il est appuyé par l’ONU, qui vient de créer une Mission pour la stabilisation de la RDC (MONUSCO*). Grâce à ces nouveaux alliés, il signe en juillet 2002 un accord de paix avec le Rwanda : les troupes rwandaises se retireront, et en contrepartie, le FLDR et d’autres milices d’extrémistes hutus seront désarmées.


Une paix qui ne vient pas

Si le pays n’est officiellement plus en guerre à partir de cette date, l’Est du Congo reste une zone instable. Des tentatives sont faites pour intégrer les différentes milices à l’armée régulière (FARDC), afin de pacifier le pays*. Mais c’est sans succès : cela sème surtout un grand désordre dans l’armée, qui sombre dans les guerres intestines et la corruption.

En 2006, le général de l’armée en personne, Laurent Nkunda, tourne le dos au gouvernement. Avec d’autre déserteur, ce tutsi congolais fonde le CNDP*. Aligné sur le Rwanda, il s’illustre d’emblée par des pratiques extrêmement brutales. De nombreuses ONG (Médecin Sans Frontières, Human Rights Watch) dénoncent un recours massif aux violences sexuelles comme arme de guerre. Des centaines de femmes sont brutalement violées devant leur mari, leurs enfants, leurs parents. La pratique vise à déstabiliser les liens communautaires et familiaux, pour instaurer un climat de peur. Les populations civiles sont réduites en esclavage et envoyer dans les mines. L’enrôlement forcé d’enfants-soldats se normalise.

En 2009, après trois ans d’exactions, Laurent Nkunda est arrêté et un nouvel accord de paix entre la RDC et le CNDP est signé le 23 mars 2009. Rien n’y fait. Dès mai 2012, mené par le colonel Sultani Makenga, le CNDP reprend les armes sous le nom de M23*. En octobre, un rapport d’experts de l’ONU prouve de manière incontestable l’existence d’un appui militaire rwandais en faveur du M23. Une brigade de casques bleus est dépêchée pour épauler Joseph Kabila. En 2013, le M23 dépose les armes. Le groupe ne disparaît pas tout à fait pour autant : il se sépare en deux factions, qui regagnent l’Ouganda et le Rwanda.


Une crise humanitaire en cours

Aujourd’hui, les combats dans la région ont repris de plus belle. Le M23, qui a ressurgi en 2021, contrôle depuis novembre dernier la majeure partie du Nord-Kivu. Les conflits s’étendent aussi sur le Sud-Kivu et l’Ituri et entraîne une rapide dégradation de la situation humanitaire. Avec l’entrave de l’approvisionnement alimentaire dans ces régions, 6 millions de personnes sont menacées par la famine. Le recrutement d’enfants-soldats a augmenté de 40% depuis le retour du M23. Les violences sexuelles sont endémiques : en août 2023, les structures de l’ONG Médecins Sans Frontières ont reçu en moyenne 70 victimes par jour, un chiffre qui a doublé en deux ans.

La MONUSCO, présente sur place depuis vingt-cinq ans, semble totalement dépassée par la situation. D’après Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unis, le M23 posséderait “des équipements lourds […] plus perfectionnés que les équipements de la MONUSCO”. Cette impuissance a motivé un sentiment de rejet dans la population, qui accuse par ailleurs les casques bleus de connivences avec certains groupes armés. Le 12 février dernier, des manifestations ont éclaté à Kinshasa pour exiger leur départ.

Les tentatives de médiation diplomatique sont elles aussi dans l’impasse. Le M23 réclame le rapatriement des populations tutsis qui ont fuit à l’étranger ; les terres et biens qui d’après eux ont été spoliés ; la réintégration de ses troupes à l’armée régulière. Mais pour les autorités de Kinshasa, toute négociation avec le M23, qualifié d’organisation terroriste, est exclue. Une négociation avec le Rwanda serait envisageable, mais le pays refuse, malgré les preuves, de reconnaître son implication.

Six millions de morts et sept millions de déplacés internes ; une crise humanitaire vieille de trois décennies, mêlant meurtres de masse, esclavagisme, viols et expropriations ; une impunité quasi-systématique pour les criminels de guerre ; des ingérences étrangères à répétition ; une prédation systématique des ressources naturelles. Il est plus facile, une fois ce contexte établi, de comprendre l’indignation des autorités congolaises face au protocole d’accord signé entre l’UE et le Rwanda. ”Tout le monde sait que le Rwanda n’a même pas un gramme de ces minerais dits “critiques” dans son sous-sol. […] L’UE est très mal engagée, car c’est comme si elle nous faisait la guerre par procuration”, a réagit le président Félix Tshisekedi. Si plusieurs pays occidentaux ont condamné la présence du Rwanda en RDC, ces timides contestations ont peu de chance d’aboutir, tant que la RDC représentera, pour le Rwanda comme pour d’autres, une telle aubaine économique.


Quelques clés

Protagonistes :

  • Mobutu Sese Seko : premier dirigeant de la RDC (Zaïre) après l’indépendance.
  • Paul Kagame : homme politique rwandais. Vice-président et ministre de la Défense de 1994 à 2000 et président de la République depuis 23 ans.
  • Yoweri Musevini : président de l’Ouganda depuis 1986.
  • Laurent-Désiré Kabila : commandant de l’AFDL et allié de l’Ouganda et du Rwanda. Devient président de la RDC en 1997 et trahi ses alliés. Assassiné en 2001.
  • Joseph Kabila : fils de Laurent Désiré Kabila, a fait ses armes dans l’AFDL. Prend le pouvoir à la mort de son père en 2001, jusqu’en 2018.
  • Laurent Nkunda : Tutsi congolais, chef de l’armée congolaise. A quitté l’armée pour fonder le CNDP, ancêtre du M23. Aujourd’hui assigné à résidence à Kigali.
  • Félix Tshisekedi : président de la RDC depuis 2018. Président de l’Union Africaine depuis 2021.

Ethnies

La RDC abrite environ 250 ethnies différentes. L’ethnie principale est celle des Bantous. Plusieurs ethnies sont originaires du Rwanda et parlent le kinyarwanda. Elles sont au coeur des affrontements.

  • Hutus : ethnie majoritaire du Rwanda. Ils ont fuit dans le Kivu après le génocide. Certains ont formé des groupes
  • Tutsis : originaires du Rwanda, ils se sont réfugiés dans le Kivu pendant le génocide de 1994. La plupart ont regagné le Rwanda après le génocide
  • Banyamulenge : originaires du Rwanda, majoritairement tutsis, ils ont migré vers le Sud Kivu vers le XIXème siècle et s’y sont installés. Ce sont les premiers à s’être allié à l’AFDL en 1996

Groupes

Les groupes armées qui sévissent dans le Kivu sont nombreux, mais nous n’avons retenu que les plus influents. Chacun de ces groupes est accusé de crimes de guerre

  • AFDL (1996-1997): Alliance des Forces Démocratiques pour la libération du Congo. Composé de soldats rwandais et ougandais, de tutsis congolais et d’opposants à Mobutu.
  • FARDC : Forces Armées de la République Démocratique du Congo, armée régulière congolaise.
  • RCD (1998-2003) : Rassemblement Congolais pour la Démocratie. Composé d’anciens soldats des FARDC, pour la plupart d’origine tutsi. En 2003, devient un parti politique (RCDN).
  • MLC (1998-2003) : Mouvement de Libération du Congo. Soutenu par l’Ouganda. Devient également un parti politique en 2003.
  • FDLR (2000-) : Forces Démocratiques de Libération du Rwanda. Groupe armé créé par d’anciens génocidaire hutus. Cherchent à reprendre le pouvoir au Rwanda. Alliés du gouvernement congolais jusqu’en 2003. Plusieurs de ses membres ont été jugés pour crime de guerre et crime contre l’humanité.
  • CNDP (2006-2009): Congrès national pour la défense du peuple. Mené par Laurent Nkunda, soutenu par le Rwanda jusqu’en 2009. Donnera naissance au M23.
  • MONUSCO : Mission de l’Organisations des Nations Unis pour la stabilisation en RDC.
  • M23 (2012-) : Mouvement du 23 Mars, groupe le plus actif actuellement dans le Kivu, principal adversaire des FARDC. Soutenu par le Rwanda.

Pour aller plus loin…

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