Selenite (avatar)

Selenite

Aspirante journaliste

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 août 2022

Selenite (avatar)

Selenite

Aspirante journaliste

Abonné·e de Mediapart

Vers une mode responsable Made in Rwanda ?

A Kigali, la florissante industrie du textile apparait comme une opportunité économique inestimable. Depuis quelques années, le gouvernement rwandais multiplie les mesures pour faciliter son développement et sa promotion à l’international. Mais entre concurrence déloyale et impératifs éthiques, les défis à relever demeurent nombreux.

Selenite (avatar)

Selenite

Aspirante journaliste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Etoffes rwandaises, Kigali

Les investissements placés par le gouvernement rwandais depuis 2015 dans le secteur du textile semblent peu à peu porter leurs fruits. Alors que se tenait en juin dernier la Kigali Fashion Week, rien ne semble pouvoir arrêter l’essor de la mode rwandaise. House of Tayo, Moshions, Haute Baso, Sonia Mugabo, ces marques portées par de jeunes créateur⸱ices rwandais⸱es rencontrent un succès grandissant dans le domaine de la haute couture. A Kigali, elles sont plébiscitées par les classes aisées, les touristes et les expatriés. Mais dans un pays où le salaire mensuel moyen est d’environ 70 dollars, la haute couture touche un public local extrêmement restreint. Face aux enjeux d’accessibilité et de responsabilité environnementale, le Rwanda multiplie les mesures et financent de nouveaux projets ambitieux.

Les miettes de la fast fashion

Au Rwanda, comme dans de nombreux pays d’Afrique, les classes populaires et défavorisées s’habillent majoritairement en seconde-main.  Ces vêtements de piètre qualité, dont la fast-fashion occidentale cherche à se débarrasser, sont vendus à des prix dérisoires et inondent le marché rwandais. D’après l’USAID, les fripes sont la source de 18.000 emplois dans le pays et sont fréquentées par 67% de la population.

Mais tandis qu’en Europe, la seconde main est portée aux nues comme un moyen idéal pour combattre la surconsommation, elle est au Rwanda une entrave considérable au développement de l’économie du pays. Les acteurs locaux qui tentent de développer un modèle de production textile éthique, respectueux de la main d’œuvre et de l’environnement, se heurtent immanquablement à cette concurrence déloyale. Lors du Common Wealth Business Forum qui se tenait en parallèle de la Fashion Week, la fondatrice d’Inzuki Design, Teta Isibo, s’est exprimée sur ce problème :

« Nous pouvons élaborer nos pratiques en nous inscrivant dans une perspective de développement durable. […] Comment allons-nous faire cela alors qu’on est en concurrence avec des vêtements à deux ou trois dollars ? »

Elle précise par ailleurs qu’une grande partie de ces vêtements importés sont « le fond du panier », des invendables dont les déchets finissent trop souvent par polluer la nature rwandaise.

Riposte législative

En mars 2018, le gouvernement rwandais a tenté d’endiguer le phénomène en augmentant considérablement les taxes sur l’importation des vêtements de seconde-main occidentaux. Malgré les mesures punitives adoptées par les Etats-Unis en réponse à ces restrictions, le Rwanda n’est pas revenu sur sa décision, le gouvernement étant déterminé à bannir définitivement ces pratiques. Dans le même temps, les taxes sur l’importation des tissus ont été levées pour permettre aux entreprises locales de diminuer leurs coûts de production et de se lancer dans des gammes de prêt-à-porter abordables pour les classes populaires.

La mode, oui, mais pas à n’importe quel prix

Malgré ces mesures, l’industrie textile rwandaise s’affirme encore difficilement. Petit pays enclavé dans l’Afrique des Grands Lacs, le Rwanda ne produit aucune matière première. Si la levée des taxes allège le prix de l’importation, le coût du transport demeure élevé. Il est par ailleurs difficile de trouver une main d’œuvre qualifiée, et les infrastructures manquent pour mettre en place des formations de grande ampleur. Il s’agit aussi d’éviter de reproduire le modèle de production éthiopien, qui a investi dans de grandes structures mais a également bradé à l’excès le prix de la main d’œuvre.

Tant de défis que s’est proposée de relever la créatrice Maryse Mbonyumutwa. Co-fondatrice de la marque Pink Mango, cette businesswoman belgo-rwandaise s’engage depuis 2019 à développer un modèle de production responsable. Dans le cadre d’une politique RSE ambitieuse, ses 4300 employées, majoritairement des femmes, sont formées et payées dignement. Elles ont accès à des crèches collectives ainsi qu’à des protections hygiéniques gratuites, afin d’améliorer leurs conditions d’autonomie.

Mais Maryse Mbonyumutwa ne s’est pas arrêtée là : début août, elle annoncé le lancement d’Asantii, première grande marque africaine de prêt-à-porter, 100% durable et responsable. En abandonnant le modèle de la saisonnalité pour une collection disponible toute l’année, en privilégiant des matériaux sourcés en Afrique, et en produisant des quantités raisonnables pour éviter le gaspillage, Asantii a pour ambition de transformer durablement l’image et le fonctionnement de l’industrie de la mode.

Il est encore trop pour dire si Asantii parviendra s’imposer et à supplanter durablement le commerce de fripes, qui demeure dominant dans le pays. Mais l’élaboration de ce modèle novateur pourrait bien révolutionner le textile africain, au bénéfice de la nature et des peuples.

Solène Gomes 

Pour approfondir :

Rwanda : Asantii, vers l’industrialisation de la mode en Afrique, Jeune Afrique

ASANTII : La nouvelle marque made in Africa, Elle

Le Rwanda, nouvelle place forte de la mode en Afrique, Le Monde Afrique

An Evaluation of Made in Rwanda: a policy dialogue on standards, quality and sustainability, Fashion Revolution

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.