Vanesa, lorsque tu es arrivée, à Noël dernier, tu ne marchais pas encore. Sous l'oeil de mon smartphone, juste avant le nouvel an, à la clinique où vous étiez hébergés, tes premières tentatives faisaient la joie et la fierté de tes parents. Nous nous réjouissions avec eux. Avec toi. Aujourd'hui le bleu de ton regard, de tes craintes, de ton sourire, va devoir faire face à un nouveau départ. Que ressentiras-tu aujourd'hui, demain ? Quelles impressions te laisseront ces évènements ?
Ayna, petite princesse. Tu nous as apprivoisés par ta joie communicative. Joie immédiate lors des retrouvailles. Toujours en mouvement, d'un jeu à l'autre, d'un regard à l'autre, d'un déguisement à l'autre. Ta joie de vivre est trop forte pour ne pas résister à ce prochain voyage, votre retour en Albanie.
Orgen. Chez nous les premiers jours, tu étais à la fête avec notre petit chat. Chat, chat, disais-tu, dans tes premiers mots de français. Te rappelles-tu de notre bonhomme de neige dans le jardin ? Avec Nathan, Thomas, et avec ton papa ? Les mois ont passé, tu es allé à l'école, tu as pris goût au français. Escargots (que tu collectionnes), dinosaures sont des mots qui ne te font plus peur maintenant.
Vous êtes albanais, migrants économiques, et vous avez déposé vos empreintes en Allemagne où vous avez fait votre première demande d'asile, refusée. Vous êtes venus en France. En Albanie, ton père travaillait pour 20 euros par jour, mais le coût de la vie est proche de celui d'ici. Pas moyen de joindre les deux bouts. Pourtant ses mains n'avaient pas peur de travailler (coiffeur, cuisinier, tapissier, peintre...). Le risque de partir avec vous, de quitter leur repères, les proches restés au pays, n'ont pas arrêté vos parents. Ils voulaient vous offrir une vie simple, mais normale. Un appartement, de la nourriture, des habits, des soins. Et contribuer normalement à la solidarité par leur travail.
"Viel stress". Après le refus de l'Allemagne de vous accorder l'asile puis votre arrivée en France fin 2016, vous avez passé plus de sept mois à Chambéry. Certes, assez rapidement vous avez été nourris, soignés, logés. Mais vos conditions de vie n'étaient pas celles que l'on pouvait attendre de la France. Dans le bâtiment qui vous hébergeait, sommaire, vous deviez partir, avec les autres familles, tous les matins à 7h30, pour y revenir à 19h30. Systématiquement. Et l'Accueil de Jour n'était pas un lieu fait pour vous. Vous étiez petits. Heureusement, toi Orgen, et toi Ayna, vous avez pu aller à l'école. Sas qui vous permettait de rencontrer d'autres enfants, dans un lieu bienveillant.
Pour vos parents, le quotidien consistait beaucoup à ne pas flancher. Continuer à attendre les réponses administratives, malgré la fatigue, malgré le temps qui s'étire, malgré l'instabilité permanente, malgré le stress du quotidien. Et recréer des liens. Les liens de ceux qui sont malmenés par ces conditions de vie que la France leur octroie. Qui se retrouvent dans une sorte de vie parallèle à celle des français. Ils n'arrivent pas à comprendre cela, cette instabilité permanente, sans travail, sans lieu à soi. Votre mère, dans toute sa dignité, détourne le regard et retient ses larmes, lorsque l'on évoque ces mois français. Impression d'avoir été flouée.
Ils respectent la décision prise par l'administration (OFII, OFPRA). Vous allez repartir en Allemagne, conformément aux accords de Dublin. Puis vous repartirez dans votre pays.
La solidarité française a des limites. Ceux qui fuient la guerre sont privilégiés par rapport à ceux qui fuient la misère. C'est ainsi. Je voulais vous dire que beaucoup espèrent que la France n'aura pas peur d'elle même et n'aura pas peur de garder sa porte ouverte. Pour ma part, j'espère que nos politiques sauront faire fructifier l'esprit d'ouverture et de solidarité.
N'oubliez pas que votre regard est une lumière. Portez haut votre regard et votre joie.