Déjà le 2 juin 2010, dans la foulée de l'abordage de la première flottille pour Gaza qui a tenté de briser le blocus, le secrétaire général des Nations unies de l’époque, Ban Ki-moon, avait exigé d’Israël la « levée immédiatement » de ce blocus qui est « contre-productif, intenable et immoral ». Depuis novembre 2023, ce blocus s’est transformé en siège meurtrier avec aujourd’hui une famine orchestrée dans l’objectif déclaré d’organiser un nettoyage ethnique. L’intensification de l’offensive militaire israélienne dans la ville de Gaza depuis la mi-août a déclenché une nouvelle phase catastrophique de déplacements forcés massifs. Contraignant ainsi des centaines de milliers de Palestinien·ne·s – dont beaucoup ont déjà été déplacés à plusieurs reprises – à se réfugier dans des enclaves surpeuplées dans le sud de la bande de Gaza occupée, sans accès suffisant à l’eau potable, à la nourriture, aux soins médicaux, à un abri ni aux infrastructures vitales (Amnesty International, 3 octobre 2025). Depuis 2007, nos Etats ont contribué à normaliser cette politique. Depuis novembre 2023, cette situation d’impunité s’est peu à peu transformée en piège génocidaire pour les habitants de Gaza.

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Face à l’immobilisme des gouvernements, des citoyens du monde entier se sont organisé en flottilles pour forcer le blocus israélien et instaurer un corridor humanitaire maritime. La Global Sumud Flottilla (GSF) a été bombardée par drones dans les eaux territoriales tunisiennes ainsi qu’au large de la Crète et illégalement et violement interceptée en eaux internationales[1]. Les membres de la GSF ont ensuite été enlevés et transportés illégalement via le port de Ashkelon vers le désert du Negev, dans la prison de haute sécurité de Ketziot où ils ont subi de nombreux traitements inhumains et dégradants, documentés par Adalah[2]. Une nouvelle flottille, à bord de laquelle se trouvaient six Belges dont la parlementaire Bénédicte Linard et le rappeur Youssef Swatt’s a également été illégalement intercepté dans la nuit du 7 au 8 octobre en eaux internationales par les forces israéliennes et amenée dans la même prison de haute sécurité.
Anne Lagerwall, professeur en droit international public à l’ULB[3], rappelle à juste titre que « Israël n’a pas le droit d’intercepter les navires des flottilles en haute mer en raison de la liberté de navigation qui leur est reconnue » (cf. art. 87 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer). « Rappelons plus fondamentalement que le droit international envisage la haute mer comme un espace commun de paix qui ne relève de la souveraineté d'aucun Etat (articles 88 et 89 de la Convention). Israël ne pourrait pas non plus intercepter les navires des flottilles dans la mer territoriale au large de la bande de Gaza car Israël ne dispose d'aucun titre de souveraineté ni sur le territoire de la bande de Gaza ni a fortiori sur sa mer territoriale ni encore sur leurs espaces aériens respectifs. Israël maintient donc son contrôle sur la bande de Gaza et sa mer territoriale en violation flagrante de la Charte des Nations Unies »[4]. Le blocus maritime qu’impose Israël est interdit rappelle également Anne Lagarwall « si la population civile du territoire soumis au blocus est insuffisamment approvisionnée en nourriture et autres biens nécessaires à sa survie, la partie imposant le blocus doit permettre le libre passage des vivres et autres fournitures essentielles, y compris les fournitures médicales (§ 103 et § 104, Manuel de San Remo) (…) Cet approvisionnement doit être garanti et son entrave est interdite à divers titres (articles 23 et 55 de la Convention de Genève IV relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et droit international coutumier codifié sous l'égide du CICR, règles 53, 55 et 56) ». En interceptant des missions humanitaires civiles dans les eaux internationales, Israël étend en réalité le siège criminel de la bande de Gaza.
Face à cette multiplication hallucinante de crimes de guerre et d’infractions au droit international, le gouvernement espagnol de Pédro Sanchez a réagi vigoureusement. Le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares a rappelé que les flottilles exerçaient « un droit de passage inoffensif dans les eaux internationales ». Le quotidien El País rapporte que l’Espagne n’attendra pas le retour de ses concitoyens pour lancer « une offensive non seulement diplomatique mais aussi juridique pour poursuivre Israël ». Sánchez lui-même a déclaré que son gouvernement étudiait « toutes les voies légales » pour poursuivre devant la justice internationale et espagnole le gouvernement dirigé par Benjamin Netanyahu. Alors que le procureur général espagnol annonçait, il y a deux semaines, que la justice de son pays allait collaborer activement avec la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale (CPI) dans le cadre de l’enquête en cours sur le génocide dans l’enclave palestinienne, le parquet a déclaré ce jeudi dernier enclencher de nouvelles procédures contre les circonstances dans lesquelles l’armée israélienne a intercepté la flottille humanitaire Global Sumud. Les éléments de ce nouveau dossier pourraient ainsi être inclus à l’enquête menée par la CPI[5]. De son côté, la Suède, sur base des rapports d’Adalah et des visites consulaires faisait état de mauvais traitements et d’actes de torture sur ses ressortissants a exigé qu’Israël fournisse sans délai de l’eau potable, de la nourriture et des traitement médicaux, a indiqué la diplomatie suédoise samedi à l'AFP. Depuis, le gouvernement espagnol a annoncé qu’il envisageait de déposer une plainte devant la Cour Pénale Internationale suite à l’interception illégale de la Global Sumud Flotilla. Même des Etats européens commencent à tenir Israël responsable de ses actes, et à défendre le droit international face aux violations des droits humanitaires.
Aux regards de ces réactions diplomatiques, la Belgique fait figure de parent pauvre. Maxime Prévot s’est contenté de fournir une protection consulaire minimale sans dénoncer les traitements inhumains et les actes de torture, ni énoncer la moindre poursuite judiciaire. Aide que la droite, dans une stratégie de propagande cynique, entend faire payer aux activistes des flottilles (alors qu’il s’agit d’un service publique fédéral pour lequel nous cotisons). Comme le rappelle le professeur de Droit de l’ULB, François Dubuisson[6], « Aucune des déclarations des ministres compétents n'indique clairement que cette interception est une violation flagrante du droit international, pour une raison simple : le blocus maritime de Gaza est une mesure qui en consolide l'occupation, depuis maintenant 16 ans, et que cette occupation est illégale en droit international. Dans son avis rendu en juillet 2024, la Cour internationale de Justice a conclu que l'occupation de l'ensemble du Territoire palestinien (y compris Gaza) était illégale en elle-même, et devait se terminer "dans les plus brefs délais" (…) On constate que l'interception des bateaux de la Flottille n'est envisagée par les États occidentaux que sous l'angle du traitement décent à réserver aux personnes arrêtées, en ignorant le caractère intrinsèquement illicite de cette interception et donc des arrestations. Une fois de plus, la contextualisation fondamentale manque, celle du rappel que les mesures militaires israéliennes s'inscrivent dans le cadre du maintien de l'occupation du Territoire palestinien, et qu'il s'agit à travers elles de marquer sa domination tant sur le territoire que sa population, et envers toute initiative de solidarité internationale ».
L’action diplomatique belge se contente donc du strict minimum : s’assurer que les belges puissent bénéficier d’une assistance consulaire et soient libérés rapidement. Il ne s’agit pas là d’une décision de la part du Ministre des Affaires étrangères ou de son gouvernement, c’est une obligation légale. Cependant, les crimes de guerre, les violations du droit international, les traitements inhumains et les actes de torture restent (pour l’instant) impunis. Nous demandons donc au gouvernement belge de suivre la voie ouverte par l’Espagne, l’Irlande, la Turquie et d’autres en ouvrant une procédure judiciaire contre Israël.
La « protection diplomatique », constituerait une action concrète et pro-active du gouvernement en réponse aux préjudices subi par ses ressortissants en raison de faits internationalement illicites. Il établirait qu’il s’agit également d'une violation de ses propres droits en tant qu’État. La Belgique intenterait de cette façon une action internationale en responsabilité contre l’État d’Israël et transformerait un litige interne entre une victime privée et un État, en un litige international entre deux États. Monsieur Prévot prouverait alors que la Belgique se tient en effet du côté de ses citoyens engagés dans l’action humanitaire à destination de Gaza plutôt que du côté de l’État israélien et des Etats-Unis et de leurs multiples violations du droit international.
En invoquant la « protection diplomatique », la Belgique affirmerait sans ambiguïté qu’Israël a bien violé le droit international et agirait en conséquence. Si Monsieur Prévot souhaite effectivement poursuivre ses « importants efforts diplomatiques pour assurer un accès humanitaire sans obstacles aux populations civiles de Gaza », dans une voie plus forte, comme l’exige une grande majorité de l’opinion publique (selon le dernier grand baromètre Ipsos RTL/Le Soir, 55 % des Belges se déclarent favorables à des sanctions plus sévères contre Israël, 46 % des sondés estiment que le gouvernement belge n'en fait pas assez) c’est l’action qu’il devrait immédiatement entreprendre. L’État belge dispose en effet de toute liberté dans l’exercice de cette protection. Notre Ministre pourrait alors répondre aux vives critiques dont il fait l’objet.
Pour rappel, le 07 septembre 2025, plus de 110.000 personnes sont descendues dans les rues de Bruxelles pour adresser un carton rouge au gouvernement pour sa politique nettement insuffisante pour mettre fin à la guerre et au génocide en cours. Il est temps de les entendre.
Signataires
Martin Vander Elst, Anthropologue, UCLouvain.
Mehdi Kassou, Directeur BelRefugees.
Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE.
Olivier Paye, professeur UCLouvain, Saint-Louis Bruxelles
Elena Aoun, Professeure à l'UCLouvain.
Sophie Klimis, citoyenne philosophe, UCLouvain, Saint-Louis Bruxelles.
Justine Huppe, chargée de cours à l'ULiège.
Souraya El Sankari, Méde Aurore Compère, citoyenne philosophe, ULiège.
Pascale Vielle, Professeure à l'UClouvain.
Claire Debucquois, chercheuse.
Maud Hagelstein, chercheuse.
Philippe Marbaix, chercheur.
Élise Franssen, chercheuse à l'ULiège.
Mathias Loutsch, PhD candidate, UCLouvain.
Marc-Antoine Gavray, chercheur en philosophie.
Xavier Briké, anthropologue, UCLouvain.
Marc Delrez, professeur ULiège.
Emmanuel Klimis, professeur UCLouvain Saint-Louis Bruxelles.
Anne Herla, Chargée de cours en philosophie, ULiège.
Pierre Courtoy, professeur émérite UCLouvain.
Vanda Bajs, doctorante à l'UCLouvain.
Morgane Senden, chargé de cours.
Denis Duez, professeur UCLouvain Saint-Louis Bruxelles.
David Scheer, professeur UCLouvain.
Geoffrey Geuens, professeur ULiège.
Khalid Gaa, asbl CEPAG-FORABRA.
Guillaume de Bassompierre, citoyen.
Selim Blieck, journaliste.
Anas Amara, activiste.
Hélène Van Camp, enseignante à la retraite.
Marie Vander Elst, artiste.
Tom Mannaerts, artiste.
Laurence Meessen, citoyenne.
Muriel Nsunda, artiste.
Dr Sakellarios Klimis, pensionné.
Nina Melia Psychologue, pensionnée.
Laurent Simon, informaticien.
Salima Brahimi, citoyenne.
Jean Vander Elst, enseignant pensionné.
Ophélie Friberg, artiste.
Adeline Van Hoof, citoyenne.
Émilie Goin, enseignante.
Michel Moutschen, professeur.
Denis Blairon, enseignant.
Thomas un Weyts, Europees Netwerk in Solidariteit met Oekraïne.
[1] Pour rappel, la « zone d’exclusion » située à 120 miles de Gaza a été déterminée unilatéralement par Tel-Aviv, et n’a donc pas de valeur juridique du point de vue international. Par conséquent, l’endroit où les membres de la flottille ont été arrêtés se trouve en eaux internationales, ce qui fait de l’arraisonnement réalisé par l’armée israélienne – qui a aussi visé les plus de 20 journalistes internationaux présents à bord – une action militaire illégale.
[2] Adalah est une organisation indépendante de défense des droits humains et un centre juridique pour la minroté des Palestiniens en Israël : https://www.adalah.org/
[3] post Facebook du 1er octobre 2025
[4] Seule la Palestine dispose de droits souverains au large de la bande de Gaza en tant qu'Etat côtier, en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (article 2). La Palestine a adhéré à cette Convention en 2015 et a notifié en 2019 au Secrétaire général des Nations les délimitations de sa mer territoriale qui s'étend sur une largeur de 12 milles marins comme le prévoit la Convention.
[5] Cf. L’Humanité, le 3 octobre 2025
[6] Post Facebook du 1er octobre 2025