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Billet de blog 29 avril 2024

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Le projet de loi "Politique de retour proactive", d'horribles relents.

Le projet de loi "Politique de retour proactive" est à l'ordre du jour de la plénière de mercredi prochain. Si le vote a lieu, la majorité votera en faveur et le texte sera adopté. La seule option pour empêcher un nouveau durcissement de la politique de retour est que le vote n'ait pas lieu.

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Pour rappel, ce projet contient l'élargissement des possibilités d’escorte pour les expulsions par les membres du cadre opérationnel de la police fédérale, de l’Office des Étrangers et du contingent de Frontex, l'élargissement des possibilités d’usage de la contrainte (fouille corporelle, usage de la force, menottage) au personnel de l’OE suivant les conditions de la loi sur la fonction de police, l'élargissement du délai de transfert Dublin (de 6 à 12 ou 18 mois) en cas de non-coopération à son transfert, l'introduction de  présomptions de fuite, la mise en place de « mesures préventives » (présentation et/ou dépôt obligatoire des documents d’identité à l’OE/CGRA, obligation de se présenter à l’OE ou la police à des moments déterminés, assignation à résidence) et de « mesures de maintien moins coercitives » (obligation de se présenter à l’OE ou la police à des moments déterminés, assignation à résidence).

Les pierres angulaires de la politique de retour conçue par le CD&V et la Vivaldi sont:

1. L’inscription dans la loi de l’obligation de coopérer à son éloignement avec une liste d’actions rentrant dans ce cadre: coopérer à son identification et à celle des membres de sa famille, fournir les éléments nécessaires à l’établissement ou à la vérification de son identité (nom, prénom, nationalité, lieu et date de naissance, pays d’origine et/ou de résidence antérieure, itinéraires de voyage, documents de voyage, données biométriques), coopérer à l’obtention des documents de voyage nécessaires pour soi-même et pour les membres de sa famille, communiquer son adresse de résidence effective et les coordonnées auxquelles être joint, se présenter aux rendez-vous avec les autorités, répondre aux demandes d’information des autorités, rester accessible et disponible pendant toute la période nécessaire à l’exécution de la mesure, présenter ou mettre en dépôt les documents d’identité ou de voyage aux autorités compétentes, coopérer aux examens médicaux nécessaires à l’exécution de la mesure, transmettre aux autorités compétentes les attestations médicales nécessaires à l’exécution de la mesure.

(A titre comparatif, en matière pénale, c'est le principe inverse qui est appliqué: droit à garder le silence et à ne pas être contraint de s'accuser soi même. Ici encore, les personnes étrangères seront moins protégées que les détenus de droit commun).

2. Les conséquences du « refus de coopération » sont également amplement détaillées: le refus de coopérer sera pris en compte dans l’évaluation de l’imposition des mesures préventives, la décision de prolonger ou pas le délai pour quitter le territoire, l'exécution de l'expulsion, la détention en centre fermé ou l’imposition d’une mesure de maintien moins coercitive, la durée de l'interdiction d'entrée.

3. Le texte permet, dans le cadre d’une urgence de santé publique de portée internationale déclarée par l’OMS, d’effectuer des examens médicaux obligatoires, et si nécessaire par la contrainte (entendre par la force) s’il est exigé par les transporteurs. Si la personne ne s’y soumet pas volontairement ("soumettre volontairement"...), l’examen peut être effectué par contrainte (contrainte physique, clef de bras, menottes aux poignets et/ou aux pieds).

Oui, actuellement cet usage est limité à une urgence de santé publique déclarée par l'OMS, mais il suffirait de 4 pages de projet de loi pour élargir son champ d'application. L'enjeu ici, au-delà de l'application à brève échéance de cette disposition est qu'on va ancrer définitivement dans la législation belge le principe selon lequel des actes médicaux peuvent être effectués par la force, sans aucune voie de recours (ce qui est d'ailleurs dénoncé par le conseil d'état), et pour des motifs administratifs. Une fois ce principe ancré en droit belge, on ne pourra plus revenir en arrière; on pourra uniquement en contester les modalités de mise en pratique.

Le risque que le champ d'application de cette disposition soit par la suite étendu au-delà des limites d'une urgence de santé publique de portée internationale dans un premier temps et à d'autres catégories de personnes par la suite est bien réel. Il sera trop tard pour contester ce principe à ce moment là si on le laisse passer ce jeudi. Il n'y a AUCUN RETOUR EN ARRIÈRE POSSIBLE (quoi qu'en disent les partis de la majorité). (S'il persiste un doute, oui, le risque d'un gouvernement incluant la NVA est bien réel, les probabilités qu'ils durcissent la politique de retour sur base de ce qui existe aujourd'hui tout aussi réelle et donc le risque d'élargissement de cette mesure n'est pas juste une hypothèse). 

4. Le projet rend légal les « trajets d’accompagnement intensif au retour » mis en place par les coachs ICAM. Selon la théorie contenue dans le texte de loi, il s'agirait d'une analyse sur les possibilités de du séjour en Belgique tout autant que de retour. A toute personne qui se demanderait encore à quoi ressemble ces entretiens en réalité, DEMANDEZ AUX PREMIERS CONCERNÉS: questionnez les sans-papiers qui se sont rendus au bureau ICAM; ils vous expliquerons qu'ils ont eu des infos sur le retour volontaire et que l'"analyse de leur situation de séjour" se borne au constat que "vous avez épuisé les possibilités de séjour en Belgique donc vous devez partir". Ne soyons pas naïfs! 

Le coach a par ailleurs la possibilité d’aller vérifier au domicile de la personne si elle y réside toujours, et l’OE a la possibilité de demander au bourgmestre de vérifier si la personne réside toujours à l’adresse mentionnée. (Tiens, ça ne vous rappelle pas quelque chose?!)

5. Obligation d’aller dans une « place Dublin » pour les demandeurs de protection internationale: Les DPI avec décision Dublin auront l'obligation de se rendre dans une place Dublin dans les 5 jours ouvrables où la décision est prise. S’il ne s’y rendent pas, leur droit à l'aide matérielle pourra être limité. Voilà donc la manière de résoudre la crise de l'accueil: petit calcul (cynique) rapide: les gens ne s'y rendront pas, perdront leur droit à l'aide matérielle, se retrouveront à dormir à la rue, mais grâce à ce tour de passe-passe, ce sera entre-temps devenu légal: plus de condamnation possible de l'État belge! La politique menée ne change pas, mais on ne se fera plus condamner!

6. Concernant les familles sans titre de séjour: le fait de présenter l'assignation à résidence, le dépôt obligatoire des documents d'identité, l'obligation d'aller pointer à l'OE ou à la police et le fait de présenter le coaching ICAM comme des avancées pour les sans-papiers sont de véritables hontes. Mais l'instrumentalisation de l'interdiction de la détention des familles pour cautionner le reste du projet de loi est sans doute le point le plus abjecte:
- Primo: les familles n'ont jamais demandé à servir de monnaie d'échange contre la chasse aux sans papiers (adultes).
- Secondo: s'il faut le rappeller, les familles feront tout autant l'objet de toutes les mesures précitées. 

La loi en cours d'adoption permettra l'assignation à résidence des familles, la confiscation de leurs documents d'identité, l'obligation d'aller se présenter à l'OE ou à la police, l'obligation de coopérer à leur expulsion, la possibilité d'effectuer des actes médicaux obligatoires sur les parents, si nécessaire par la force, et de transmettre leurs données médicale à des tiers. Comment oser prétendre protéger les familles sans titre de séjour tout en poussant à l'adoption de pareilles mesures?

Entre le pacte européen d'il y a 2 semaines, le projet de loi Frontex et la politique de retour proactive, cette fin de législature a décidément de sérieux relents fascisants.

Sophie Devillé

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