«Free, free Palestine !» Le slogan repris partout dans le monde a retenti maintes fois dans le hall du Géopolis, à l’Université de Lausanne, jeudi dès les coups de 16 heures. Une quinzaine de militant·es pro-palestinien·nes ont organisé une manifestation sous forme de sit-in en solidarité avec la population gazaouie bombardée, mais aussi en écho aux soulèvements sur les campus étatsuniens et français ces dernières semaines.
Le petit groupe a peu à peu été rejoint par plusieurs dizaines d’autres pour dépasser la cinquantaine du noyau dur, jusqu’à près d’une centaine de soutiens passés au fil de la fin de journée.
Sous les yeux souvent approbateurs d’autres étudiant·es plus distanciés car surpris·es. «On les soutient, mais on ne va pas forcément aller s’asseoir avec eux”, nous ont répondu quelques-un·es en science politique applaudissant de loin, alors que les manifestant·es scandaient «Gaza, gaza, l’Unil est avec toi » ou «Nous sommes tous des enfants de Gaza.» D’autres ne «savaient pas encore quoi en penser». Aux étages des bâtiments, des visages interloqués assistaient à l’action en cours. Certains tapaient des mains en rythme avec les occupants des lieux, à l’instar du conseiller communal socialiste Mountazar Jaffar, également doctorant à l’UNIL, ou sa collègue délibérante Franziska Meinherz d’Ensemble à gauche.
L’action se voulait «spontanée, sans chef ni dirigeant». Avec comme principale revendication le boycott académique des institutions israéliennes, tout comme le soutien à un cessez-le-feu au Proche-Orient. «Les personnes qui occupent le bâtiment universitaire refusent d’être complices du génocide colonial perpétré par le régime d’apartheid israélien», a expliqué en même temps le groupe anonyme par voie de communiqué.
Afin de marquer le terrain, des drapeaux palestiniens ont été posés par terre, suspendus sur les étages et collés sur les murs en verre des salles de cours. Keffiehs enroulés jusqu’aux yeux et habillés en noir, les protestataires ont très vite fait comprendre qu’il s’agissait d’une «occupation» en s’asseyant par terre.
Ils et elles n’ont pas tardé à être soutenu·es par des professeur·es, à l’instar de la chercheuse en économie écologique Julia Steinberger, qui n’était pas au courant de l’action. «Mais je vais les rejoindre, car j’admire leur geste et suis là pour les protéger», a relaté au Courrier la co-auteure principale du rapport du 3ème groupe du GIEC. L’une des raisons du soutien de plusieurs professeurs des sciences sociales et politiques, le bastion facultaire du bâtiment Géopolis, était également la tenue d’un cours public organisé par l’UNIL non loin, dans les murs de l’Amphimax.
La raison de la discorde ? Le cours était consacré à l’histoire du conflit israélo-palestinien, mais était donné par deux profs de la Faculté de théologie et de sciences des religions. «C’est stupéfiant ! Ce ne serait pas un problème si c’était une simple conférence, mais là l’Uni convoque un cours public avec une focale étroite, qui ne voit les origines de la guerre qu’à l’aune de la religion», s’est indigné Bernard Voutat, professeur de science politique, passant par hasard durant la pause d’un cours. Avant de s’asseoir avec les manifestants, son collègue sociologue des mouvements sociaux Olivier Fillieule n’a également pas caché sa colère. «C’est le meilleur moyen de faire diversion et de ne pas parler du massacre en cours, alors que nous avons besoin de chercheurs qui puissent éclairer ce qu’il se passe», nous a-t-il déclaré.
«On attend également de l’Unil qu’elle se positionne sur les investissements et la collaboration scientifiques avec Israël, moi même j’ai arrêté d’y participer», a plaidé le chercheur, en écho avec les manifestant·es. Ces derniers ont pu défendre leurs revendications lors de parlementations avec le recteur de l’Université de Lausanne Frédéric Herman, arrivé sur place peu après 17 heures.
Sur une table installée pour l’occasion au milieu du sit-in, le dialogue s’est déroulé dans une bonne ambiance avec trois d’entre eux et elles. Le rectorat a assuré vouloir respecter le droit de manifester et ne pas souhaiter engager de sanctions tant que l’occupation reste pacifique. «Il est nécessaire de garder un climat apaisé pour pouvoir dialoguer et permettre une diversité d’opinions et une liberté d’expression» leur a-t-il affirmé.
Frédéric Herman a aussi fait mention du soutien psychologique qui était offert aux étudiant·es sur le campus, avant de se faire reprendre par des occupant·es jugeant cette réponse insuffisante et individuelle, alors qu’une position institutionnelle plus engagée sur le conflit est attendue. Arrêter tout partenariat avec les unis israéliennes ? «C’est compliqué», selon le rectorat. «Pas quand c’est pour l’Ukraine» ont répondu les manifestant·es.
La direction a assuré qu’elle fera toute la transparence sur les collaborations en cours avec Israël, et qu’elle resterait ouverte au dialogue. Rendez-vous a été donné lundi 18 heures. Jusque là, les occupant·es pourront rester au sein de l’établissement. Du côté des professeurs, des échanges avec le rectorat seraient en cours afin que d’autres cours publics soient organisés prochainement, avec d’autres perspectives présentes.
Article publié dans Le Courrier et écrit avec Achille Karangwa.

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