Les parlementaires patrons de presse :
un flagrant délit d’hypocrisie et de conflit d'intérêts
le débat du 12 juillet 2013 au Sénat
Edwy Plenel dénonce à juste titre une certaine proximité voire la collusion entre parlementaires et entreprises de presse , RUE 89 est poursuivi par le Sénateur Baylet, Médiapart par le Sénateur Dassault
Je voudrais éclairer cette polémique par la publication des extraits des débats du Sénat 12 juillet 2013 au Sénat lors du vote de la loi sur la transparence et la moralisation de la vie publique.
Mon amendement cosigné par Pierre Jarlier était simple :interdiction pour un parlementaire d’avoir des liens directs ou indirects avec une entreprise de presse
Les débats se déroulent de la façon suivante :
1 l’orateur présente son amendement
2 la commission donne son avis
3 le gouvernement donne son avis
1- présentation de l’amendement :
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme N. Goulet et M. Jarlier, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 18
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
...-Après l'article L.O. 146-1 du même code, il est inséré un article L.O 146-1-... ainsi rédigé :
« Art. L.O. 146-1-...- Sont incompatibles avec le mandat de parlementaire la détention de la majorité des actions ou des parts sociales dans une entreprise de presse telle que définie par la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime de la presse, ainsi que les fonctions de chef d'entreprise, de président de conseil d'administration, de président et de membre de directoire, de président de conseil de surveillance, d'administrateur délégué, de directeur général, directeur général adjoint ou gérant exercées dans ces entreprises.
« Le présent article est applicable à toute personne qui, directement ou par personne interposée, exerce en fait la direction de l'un des établissements, sociétés, ou entreprises ci-dessus visés. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise à introduire une nouvelle incompatibilité entre le mandat de parlementaire et la détention ou l’exercice de fonctions de direction d’une entreprise de presse. En effet, ces fonctions cumulées peuvent créer des distorsions de concurrence entre des parlementaires d’un même département ou d’une même région. N’oublions pas que les entreprises de presse ont un pouvoir important et qu’elles perçoivent également chaque année des subventions de l’État d’un montant élevé.
D’un point de vue éthique, ces deux fonctions me semblent donc totalement incompatibles, même si je sais que certaines personnes n’ont pas été très contentes de cet amendement, courageusement cosigné par Pierre Jarlier.
Je profite du temps de parole qui me reste pour dire que, dans cet hémicycle, des conflits d’intérêts, nous en voyons quand même se produire souvent ! Ainsi, j’ai le souvenir très précis de notre collègue Cazeau, représentant de l’Assemblée des départements de France, pointant de son doigt vengeur le banc ministériel lors du débat sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Je n’étais pas là !
Mme Nathalie Goulet. Bernard Cazeau n’en disait pas moins au représentant du Gouvernement qu’il ne tarderait pas à voir la réaction de l’ADF.
M. Jean-Pierre Caffet. Je m’en souviens !
Mme Nathalie Goulet. C’est un exemple de conflit d’intérêts ! Lorsque vous êtes président de conseil général, vous défendez le département. Lorsque vous êtes président de conseil régional, vous défendez la région. Lorsque vous êtes maire et membre de l’Association des maires de France, vous défendez les communes. Tout cela est consubstantiel à la fonction. C’est pourquoi il est grand temps en matière d’entreprise de presse que cette incompatibilité soit votée.
2- avis de la commission et de son Président Jean-Pierre Sueur
L’amendement n° 8 porte sur l’incompatibilité entre le mandat de parlementaire et la détention ou l’exercice de fonctions de direction d’une entreprise de presse. Je dirai à Mme Goulet et à M. Jarlier que cette question se pose, car nous sommes tous très attachés à l’indépendance de la presse.
M. Gérard Longuet. Il y a aussi la presse d’opinion ! L’Humanité, c’est quand même Jean Jaurès !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je connais l’histoire, et je sais que sous la IIIe République beaucoup de journaux étaient dirigés par des parlementaires de toutes tendances.
M. Pierre-Yves Collombat. Cela existe encore !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. J’ajoute un élément pour la réflexion commune : autant le pluralisme de la presse d’opinion est important,…
M. Pierre-Yves Collombat. Cela n’existe pas !
Mme Éliane Assassi. Bien sûr que si !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur Collombat, vous assumez la responsabilité de vos propos.
M. Pierre-Yves Collombat. Comme d’habitude !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Autant le pluralisme de la presse d’opinion est important, disais-je, autant nous devons constater que la presse quotidienne régionale donne lieu, presque partout en France, à un monopole de fait. Nous avons connu l’époque où toutes les régions, et même les départements, comptaient plusieurs quotidiens d’information.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Gérard Longuet. C’est terminé !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il me semble donc qu’il y a là un certain nombre de questions sur lesquelles nous ferions bien de travailler.
M. Gérard Longuet. C’est une attaque ad hominem !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Non, car cela concerne plusieurs personnes, monsieur Longuet – c’est d’ailleurs facile à vérifier –, voire un nombre certain de personnes. La question de l’indépendance de la presse dans des secteurs où existe un monopole de fait mérite d’être soumise à la réflexion.
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Moyennant en quoi, la commission est défavorable à l’amendement n° 8.
Mme Nathalie Goulet. Bel effort ; merci !
3-avis du Gouvernement
Malgré la qualité de l’intervention de Mme Goulet, je ne suis pas convaincu par l’amendement n° 8. J’émets donc un avis défavorable.
C’est dans ces conditions que le Sénat et le Gouvernement ont refusé cette mesure de bon sens et de transparence.
Point n’est besoin je crois de plus de commentaires
http://www.senat.fr/seances/s201307/s20130712/s20130712018.html#int3098