Le 11 juin 2023, Cayenne
Chère République,
En t’écrivant je t’imagine avec un bonnet phrygien greffé sur la tête, comme aux débuts de la Révolution Française. Le peuple est en colère, le peuple se révolte, il est temps.
Il est temps pour toi de voir le mal que tu fais, la blessure que tu crées dans le cœur des Amérindiens de Guyane.
Ils ne se révoltent pas avec leurs poings, ils essayent tant bien que mal de se révolter avec leurs mots. Mais, face à ton inattention, ils se révoltent bien plus élégamment. Dans le plus grand des silences, avec pour seule litanie les pleurs des veillées, auxquels tu ne prêtes pas attention. Chère République, tu as failli. Tu as failli à ton devoir, celui de donner une voix à tous, et ton échec se solde par des suicides. Tu as échoué et ton peuple se meurt. Face à ton inattention, ton peuple préfère mourir que subir. Les Amérindiens, préfèrent mourir que subir. Leur lassitude, leurs appels à l’aide n’ont que trop durés. Et toi, chère République, au lieu de les entendre, au lieu d’ouvrir les yeux sur tes erreurs, tu les fermes. Ces suicides, au-delà d’être une révolte, sont un appel à l’aide. Appel à l’aide criard que tu sembles ignorer.
Puisque tu les ignores, à qui d’autre écrire lorsque personne ne les entend ? A qui d’autre écrire lorsque personne ne se soucie de leurs voix ? Hier, nous fêtions l’abolition de l’esclavage en Guyane. Un jour commémoratif des peuples opprimés, déshumanisés, des peuples dont nous avons bafoués les Droits jusqu’en 1848. En ce 10 juin, nous avons fêté la Liberté retrouvée de ces Hommes, il y a cent soixante-quinze ans.
Pourtant, à ce jour, toi, République Française, berceau des Droits de l’Homme, continues à bafouer les Droits d’un peuple : celui des Amérindiens.
A l’aube de mes vingt-six ans, je me suis surprise à rêver. A rêver d’une France plus humaine, d’une France qui promeut réellement : l’Egalité, la Fraternité et la Liberté. Mais quelle utopie.
Car à ce jour, toi, République Française bafoue ta propre devise. A ce jour, tu piétines un peuple. Toi, République Française piétine les Droits de ce peuple en toute impunité. Tu abandonnes les Amérindiens. Au nom de la laïcité, cette laïcité que tu jettes à la figure du monde entier tant tu en es fière, toi, République Française arrache les Amérindiens à leur culture, la renie, la montre du doigt.
Je ne peux me vanter de connaître la situation sur le bout des doigts, et d’ailleurs je ne souhaite pas connaître tous les détails de la non-considération de la République Française envers son propre peuple.
Quand bien même il n’est pas enseigné l’Histoire des peuples Amérindiens qui pourtant peuplent le territoire français depuis bien plus longtemps que nous, colonisateurs, il est enseigné l’Histoire de la France. Nuançons ; de la Métropole. Il est enseigné la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, datant de 1789. Il est enseigné la Révolution Française. Il est enseigné que la France était le berceau de la Liberté d’Expression, le berceau d’un peuple qui se révolte et ne se laisse pas opprimer. Où est ce peuple maintenant ? Où est la République ? Combien de temps la mascarade va-t-elle encore durer ?
Comment se peut-il que la République n’ait pas honte de laisser mourir un peuple qui pourtant habite sur le territoire français ? Comment se peut-il que la République puisse, sans la moindre vergogne, continuer à nier leurs Droits, leur culture alors que ce sont nous qui occupons leurs terres ? Ce n’est plus à prouver, les Amérindiens étaient là bien avant nous, plusieurs miliers d’années avant nous.
Au nom du Droit à l’Education, toi, République Française tu les arraches à leurs traditions, à leurs coutumes, à leur famille pour les envoyer à l’école, apprendre des savoirs de Blancs. A onze ans, ils sont contraints d’aller à l’internat à plusieurs heures, et parfois même à plusieurs jours de chez eux.
En rejoignant ces lieux où il est enseigné la République, les Droits de l’Homme et du Citoyen, ils deviennent apatrides. Ils n’ont plus le droit de parler leur langue, ce qui constitue une infraction à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, article 30 « Culture, Langue et Religion Différentes ». Ils sont contraints d’apprendre le Français, langue qu’ils ne maîtrisent pas bien, et ce pourquoi ils sont moqués. Ce pourquoi ils sont discriminés. L’échec scolaire que connaissent les jeunes Amérindiens est foudroyant. Chère République, tu leur as ôté le droit de parler leur propre langue à l’école, au nom de la laïcité, de l’égalité, de la fraternité, de la liberté. Et pourtant en ce faisant, chère République, tu les as renié.
Toi, République Française, proclame qu’au nom de l’éducation, ces jeunes Amérindiens doivent se faire instruire, jusqu’à l’âge de seize ans. Toi ; République Française déclare que le citoyen français doit, appliquer cette loi. Toi, République Française, arrache ces jeunes Amérindiens à leur famille car ils sont français. Cet acte d’une violence extrême donc, s’appuie sur le principe que ces jeunes ont une identité française. Et pourtant, chère République, laisse-moi te dire ; en voulant leur donner une identité, tu les arraches à la leur. Chère République, de nombreuses fois tu leur as refusé ce Droit de parler leur langue, notamment lorsqu’ils t’ont proposé des écoles bilingues. Tu les as privé d’une identité. Car la langue d’un peuple est son identité. En ce faisant tu as enfreint l’article 8 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, « le Droit à une identité ». Et, paradoxalement, hideusement, tu ne leur accordes même pas l’identité française. Tu leur demandes de prouver qu’ils sont français. C’est le monde à l’envers.
Pour se faire instruire, ces jeunes Amérindiens sont arrachés à leur famille, ce qui au passage chère République est une infraction aux articles 5 « Rôle de la Famille » et 20 « Enfants privés de famille », loin d’elles, loin de leurs traditions, forcés de se fondre dans le moule, ils parlent de moins en moins bien leur propre langue, ils connaissent de moins en moins bien leur culture, qui se transmet oralement.
Alors qu’ils sont contraints d’abandonner tout ce qui leur donne leur identité Amérindienne ; ces jeunes Amérindiens, se retrouvent apatrides, dans leurs propres patries.
Lors de leur retour au village il leur faut tout réapprendre, comment chasser et pêcher, comment s’occuper loin de l’agitation manifeste du littoral, comment s’habiller, comment parler. Une fois qu’ils se sont enfin reconnectés à eux-mêmes et à leurs pairs, ils sont de nouveau arrachés à leurs terres pour être jetés -encore- dans la gueule du loup.
Retour à Cayenne, dans la machine infernale, confrontés quotidiennement au racisme, à la discrimination, aux dangers. Loin de leur foyer, ils sont placés en familles hébergeantes. Les faits de violences -verbales, morales, physiques – sont nombreux. Alors que la discrimination et le racisme sont punis par la loi française, par les lois que tu prônes chère République, tous ces faits sont tus, et malgré les nombreux signalements, rien n’est fait.
Les équipes dépêchées sur le terrain interviennent si souvent pour régler des faits de violences. Face à ces situations de plus en plus difficiles à vivre pour les jeunes, face aux difficultés engendrées par la langue, ils quittent l’école. Ils errent, perdus entre deux réalités : le monde Blanc, le monde Amérindien. Ce sont des cas de figures joyeux. Nombreux finissent par attenter à leur vie tant la détresse semble sans fin.
Au nom du Droit à l'Éducation, toi, République Française les envoie à l’école - des Blancs - encore une fois. Abandonnés par leur famille qui n’a d’autre choix que de les livrer à la machine infernale du système français, ils sont mal-aimés ; d’eux-mêmes, de leur famille qui ne les reconnaît pas à leur retour, des familles qui les hébergent, de leurs professeurs. Ils sont mal aimés de Toi.
Au nom du Droit à l'Éducation ils ne sont plus éduqués à leurs propres savoirs-faires, à leurs propres savoirs-être, alors même qu’il s’agit de leur survie en forêt Amazonienne, sur les fleuves. Car, après les avoir arrachés à leur famille, après les avoir bien formatés, après leur avoir jeté à la figure qu’ils sont ignorants et arriérés car ils vivent le cul dans la terre au fin fond de la forêt, qu’ils ne seront jamais capables de quoique ce soit car ils sont tous alcooliques, tu les renvois chez eux. Comment veux-tu qu’ils s’y sentent bien ? Comment veux-tu qu’ils vivent selon leurs savoirs maintenant que tu leur en as privé l’accès ?
Sais-tu que la transmission de la pêche, de l’abattis, de la chasse se fait le matin ? Alors que ton système français leur impose justement l’école de 7h à 15h ? Qu’est-ce qui t’empêches de t’adapter à leur culture ?
Pourquoi ne reconnais-tu pas leur culture ? Chère République, tu es bien loin la laïcité que tu prônes. Elle est bien loin la fraternité que tu clames. Elle n’est pas belle la République au cœur de l’Amazonie. Elle détruit. Tu les détruis. Au lieu de libérer, de permettre l’égalité de tous, tu les détruis. Toi, République Française massacre ces populations dans la plus grande discrétion.
Qu’est-ce qui t’empêche de permettre l’école bilingue ? Qu’est-ce qui t’empêche de reconnaître l’enseignement des savoirs traditionnels ? Faut-il te parler d’argent pour attirer ton attention ? Faut-il te parler de pouvoir pour que tu changes les choses ? En leur permettant de savoir pêcher, chasser, en leur permettant de connaître leurs coutumes, leurs traditions, tu leur permettrais d’être autonomes, indépendants. Mais non, tu préfères avoir de petits sujets qui souffrent pour prétendre avoir la miséricorde de leur accorder tes faveurs.
En 1882 lorsque Jules Ferry a rendu l’instruction obligatoire il a utilisé le mot « instruction ». Désormais on voit fleurir un peu partout en métropole ce mouvement d’école à la maison. Qu’est-ce qui t’empêche d’en faire de même avec les peuples Amérindiens ? Laisse-les instruire leurs enfants. Cesse de leur faire croire qu’ils sont ignares et incompétents. Valorise-les. Aime-les.
Ces enfants que tu renies, que tu ignores, que tu abandonnes, chère République, ces enfants sont l’avenir de demain. Et, au lieu de valoriser leur potentiel, tu les couvres de honte, tu les couvres de maux, tu les enterres.
Cessons de les envoyer à plusieurs jours de pirogues pour qu’ils apprennent des savoirs de Blancs. Donnons-leur le choix. Oui, peut-être qu’ils choisiront de venir sur le littoral pour recevoir des formations spécifiques. C’est une possibilité, mais, cela sera leur choix. On aura enfin valorisé leurs voix. Permettons-leur de rester dans les villages en construisant des écoles adaptées. Les enfants sont les adultes de demain. En leur main repose notre salut. Et, dans les mains de ces jeunes Amérindiens reposent des savoirs qui ne nous sont pas accessibles. Des savoirs qui préserveront la Forêt, des savoirs qui sont plus humains, plus proches de la Nature. Cette nature dont nous avons besoin pour vivre.
Chère République, considère ces peuples. Ces peuples qui sont français, qui sont aussi ta nation. Ces peuples autochtones dont moult pays sont fiers. S’il te plaît, chère République, cesse de les humilier, cesse de bafouer leurs croyances, cesse de vouloir formater Un individu. Reconnais enfin la pluralité d’individus de la nation, reconnais qu’ils sont des atouts pour notre pays. Rends-leur leur patrie. A ce jour, les Droits des Enfants sont bafoués chez les Amérindiens, nous n’en décomptons pas moins de vingt-quatre qui ne leur sont pas appliqués. C’est une honte pour le berceau des Droits de l’Homme. C’est ta honte, c’est l’échec de la République Française.
Il est temps pour toi de réparer tes erreurs. Il est temps pour toi d’aimer ton peuple. Il est temps pour toi de reconnaître ton peuple. Chère République, il est temps pour toi de leur rendre leur voix.
Il est dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Il est temps que tu rendes les enfants à leur famille, à leur village. Il est grand temps d’adopter les Amérindiens de Guyane et de les considérer nos égaux.
Tu tiens au creux de ta main le destin de plusieurs milliers d’Amérindiens, cesse de les étouffer, de les écraser. Donnons-nous la main pour créer le monde de demain.
Prends-toi à rêver toi aussi.