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Chercheuse bioinformaticienne, ingénieure en informatique, entrepreneuse "Life-Sciences" et co-fondatrice de l'association Ethique & Intégrité.

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Billet de blog 6 novembre 2025

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Plagiat académique : quand la diffamation devient une arme de manipulation judiciaire

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La diffamation, arme de dissuasion massive contre les lanceurs d’alerte

Le mécanisme est souvent le même : un chercheur, un enseignant ou un étudiant dénonce un cas de plagiat. Plutôt que d’attendre les conclusions des rapports des comités académiques et de répondre sur le fond, l’accusé porte plainte pour diffamation. L’objectif ? Faire pression sur la personne qui l'a dénoncé, l’épuiser moralement et financièrement, et surtout, l’empêcher de poursuivre son combat.

Pourtant, la diffamation suppose une allégation fausse et malveillante. Or, dans les affaires de plagiat, les faits sont souvent documentés, vérifiables et d’intérêt public. Quand la preuve du plagiat existe, la plainte pour diffamation devient une manipulation judiciaire, une tentative de détourner l’attention et de faire condamner la vérité.

Le rôle des juges : garantir la justice ou laver les honneurs des plagiaires ?

Les tribunaux ne sont pas des cours d’honneur. Leur mission n’est pas de rendre des arrêts de complaisance pour permettre à un auteur de plagiat de se blanchir aux yeux du public. Pourtant, en traitant ces affaires comme de simples litiges de diffamation, sans tenir compte du contexte de manipulation, les juges risquent de devenir complices d’un système d’oppression.

La jurisprudence est claire : la vérité des faits est un fait justificatif en matière de diffamation (Art. 35 de la loi de 1881). Si le plagiat est prouvé, il ne peut y avoir diffamation. Les juges doivent donc exiger des preuves solides avant de condamner, et refuser de se laisser instrumentaliser.

L’avocat : défenseur du droit ou acteur de la manipulation de la justice ?

La robe noire n’autorise ni le mensonge, ni la manipulation de la vérité. En déposant une plainte pour diffamation au nom d’un client auteur de plagiats ou d’autres types de fraude académique, l’avocat soutient une procédure qu’il sait injustifiée. Il contribue au détournement du droit et au renversement de la réalité judiciaire : il transforme la victime en accusée. Il offre ainsi à la fraude intellectuelle le masque de l’honneur outragé.

Peut-on dire qu’un tel comportement pourrait relever d’une instrumentalisation de la justice, voire d’une complicité de dénonciation calomnieuse, au sens de l’article 226-10 du Code pénal, visant à faire taire la victime d’un plagiat et à exercer une pression sur les comités universitaires ?

En devenant les défenseurs du mensonge et les complices d’une dissimulation de fraude, certains avocats qui s'intéressent plus à l’argent qu'à la déontologie minent la confiance du public dans l’institution judiciaire.

Cette stratégie n’est pas seulement une double violence et une injustice contre la victime du plagiat ; elle est surtout une tentative de confisquer la vérité par le droit.

Un avocat est tenu par des obligations déontologiques, notamment celle de loyauté, de probité et de respect de la vérité.


Une inversion perverse des rôles

Les exemples de ces procédures abusives sont nombreux. En 2015, Megon Walker, une diplômée de la faculté de droit de Harvard, a déposé plainte pour diffamation contre son université qui avait inscrit un avertissement officiel dans son dossier concernant des plagiats confirmés par une enquête. Walker prétendait que cette mention était diffamatoire et lui avait fait perdre des opportunités professionnelles dans des cabinets prestigieux. Le juge Rya Zobel ne s’est pas laissé manipuler par cette plagiaire qui a, évidemment, perdu son procès en diffamation. Le tribunal lui a répondu que la vérité n'est pas de la diffamation :

« Puisque la plaignante a commis un plagiat au sens du règlement intérieur de Harvard, les faits qu'elle qualifie de diffamatoires sont avérés, et elle ne peut obtenir réparation.» - selon la décision du juge Rya Zobel.

En Chine, Liu Juhua, journaliste à l'agence de presse Xinhua, a été accusée de plagiat dans sa thèse de maîtrise soutenue en 2002, alors qu'elle était étudiante à l'École supérieure de l'Académie chinoise des sciences sociales. Le cas est d'autant plus notable si l'on sait qu'elle est l'épouse du militant anti-fraude controversé Fang Zhouzi. En 2013, Liu Juhua a porté plainte pour diffamation contre Fu Dezhi, un chercheur de l'Académie chinoise des sciences, ainsi que contre une société pékinoise de services web qui fournissait les services techniques à Sina Weibo, plateforme hébergeant le blog de Fu Dezhi.
En 2014, le tribunal de district de Haidian à Pékin a rejeté la plainte de Liu Juhua. La cour a estimé que les accusations de Fu Dezhi ne constituaient pas un acte de diffamation, mais relevaient d'un "débat académique" et d'une "critique" sur un sujet d'intérêt public. Le tribunal a considéré que Fu avait fourni des preuves substantielles, notamment une comparaison détaillée des textes, pour étayer ses allégations.

Ce jugement a été perçu comme un échec pour Liu Juhua et, surtout, une situation embarrassante pour son mari, Fang Zhouzi, dont la crédibilité et la cohérence ont été remises en question.
La vigilance du juge a fait que cette procédure judiciaire abusive n'a pas abouti à blanchir Liu Juhua des accusations de plagiat ; au contraire, le rejet de sa plainte a donné une légitimité publique aux accusations de Fu Dezhi.

En France, lors de la pandémie de Covid-19 et de la grande polémique autour des travaux de recherche de Didier Raoult, le Comité d’éthique du CNRS, dénonçant une judiciarisation du débat scientifique, avait qualifié de "stratégies d’intimidation inadmissibles" la procédure judiciaire engagée par Didier Raoult et le directeur de recherche de l’institution où il travaillait contre des chercheurs qui avaient commenté publiquement des manquements à l’intégrité académique dans ses travaux de recherche.

L'Office Français pour l'intégrité scientifique (OFIS) a rappelé dans sa note du 27 septembre 2021, que “la démarche scientifique implique une capacité de discussion critique des résultats, de leur interprétation ainsi que des conditions dans lesquelles ils ont été élaborés. Cette discussion doit être dépassionnée, dépersonnalisée, et documentée par des faits avérés. Auparavant essentiellement réservées aux enceintes académiques, en particulier à l’évaluation par les pairs de manuscrits soumis pour publication, ces discussions prennent aujourd’hui de nouvelles formes.

L’OFIS a ajouté : “Cette ouverture à une critique plus large constitue une opportunité majeure pour la science de renforcer l’efficacité des dispositifs qui garantissent sa fiabilité et sa crédibilité. A condition toutefois que le principe intangible de l’argumentation factuelle, dépassionnée et dépersonnalisée régule également ces nouveaux forums de discussion scientifique.

Révéler publiquement, ce n’est pas de la diffamation, c’est de l’honnêteté

Les comités universitaires chargés de veiller à l’intégrité académique sont trop souvent utilisés comme des outils d’étouffement, soucieux avant tout de préserver la réputation de leurs institutions. À cela s’ajoutent une bureaucratie pesante et des délais parfois absurdes pour traiter une simple affaire de plagiat — surtout lorsque l’accusé occupe une position hiérarchique supérieure à celle de la victime. Dans ce contexte, les journalistes, les associations spécialisées et le système judiciaire jouent un rôle crucial : ils défendent les victimes de plagiat et exercent une pression salutaire sur les comités d’intégrité académique.

Les révélations de certains journalistes ou membres d’associations engagées contre la fraude acadélique, souvent courageuses, exposent leurs auteurs à des représailles judiciaires ou médiatiques, notamment sous forme de plaintes en diffamation. Pourtant, leur action relève de l’intérêt général : elle vise à garantir la transparence, à dénoncer les abus de pouvoir et à rappeler que la reconnaissance intellectuelle ne peut reposer sur la fraude. Grâce à leur vigilance, des cas longtemps étouffés par des comités éthiques complaisants ont pu être mis en lumière, contribuant à une prise de conscience collective sur les dérives du monde académique.

En écrivant ces lignes, une célèbre querelle entre deux figures majeures du siècle des Lumières me revient à l’esprit : celle de Voltaire, qui dénonçait les contradictions et la faille morale et secrète de la vie exemplaire du moralisateur Jean-Jacques Rousseau : l’abandon de ses enfants à un hospice pour enfants déshérités et abandonnés.

« Voyez Jean-Jacques Rousseau, il traîne avec lui la belle demoiselle Levasseur, sa blanchisseuse, âgée de 50 ans, à laquelle il a fait trois enfants, qu'il a pourtant abandonnés pour s'attacher à l'éducation du seigneur Émile, et pour en faire un bon menuisier », écrivait Voltaire dans une lettre, se trompant sur le nombre d'enfants abandonnés.

Le grand écrivain, philosophe et auteur d’Émile, ou De l’éducation (1762), a en réalité abandonné ses cinq enfants dès leur naissance à l’assistance publique.

Rousseau tentera de s’expliquer plus tard dans ses Confessions, mais de manière très évasive.

Plutôt que de s’interroger sur une éventuelle diffamation ou atteinte à la vie privée de Voltaire à l’égard de Rousseau, ne faudrait-il pas poser une autre question : comment l’auteur d’un traité fondamental sur l’éducation des enfants peut-il avoir abandonné les siens ?

Est-il honnête de la part d’un écrivain de théoriser une éducation idéale, de la petite enfance à l’âge adulte, s’il n’a jamais vu le visage de ses propres enfants ni assumé leur éducation ?

Ce qui soulève la question de la cohérence entre les idées d’un auteur et sa conduite personnelle.

Cette interrogation morale s’applique aussi à certains hommes politiques qui, lors de leurs campagnes électorales, mettent en avant un modèle familial idéalisé, s’affichant en couverture de magazines aux côtés de leur épouse et de leurs enfants — pour que l’on découvre ensuite l’existence de relations extraconjugales, voire l’envoi de photos à caractère pornographique à d’autres femmes.

Peut-on considérer que révéler ces faits au grand public relève de la diffamation ou constitue une atteinte à la vie privée ? Sans prétendre me substituer à un juge — seule autorité habilitée à trancher cette question — ma réponse, en tant que simple citoyenne, est la suivante : non, il ne s’agit ni de diffamation ni d’atteinte à la vie privée, dans la mesure où l’homme politique a lui-même instrumentalisé sa vie personnelle à des fins de communication, en construisant une image publique en contradiction flagrante avec sa conduite réelle.

De manière similaire, peut-on exercer le métier d’enseignant et exiger de nos étudiants qu’ils ne plagient pas, alors que certaines institutions continuent de protéger des professeurs plagiaires ? 

Il est difficile de prôner l’intégrité académique lorsque des établissements vont jusqu’à offrir un soutien juridique à des enseignants mis en cause, finançant parfois des actions en diffamation contre les victimes qui qui ont eu le courage de dénoncer les faits et défendre leurs travaux académiques.

Une société qui protège les plagiaires plutôt que leurs victimes ne défend pas la connaissance ; elle trahit la justice.

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