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Billet de blog 19 décembre 2022

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Qatar, du boycott au succès

Les polémiques concernant l'attribution de la coupe du monde au Qatar n’ont jamais cessé, et cette édition était vouée à l'échec. A la fin du tournoi, sans occulter les sujets à l'origine des appels au boycott, la catastrophe n'a pas eu lieu.

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En 2010, l'attribution de l'organisation de la coupe du monde au Qatar a été un coup de tonnerre. Le pays n'était pas connu pour être une nation de football, mais plutôt jugé hostile au regard de son climat, ses infrastructures footballistiques, et ses modes de vie - notamment la place des femmes, les droits des homosexuels et la consommation d'alcool. Aussi, organiser cette compétition au Qatar bouleversait le calendrier des championnats des clubs européens, et à l'heure de la vigilance environnementale, la question de l'impact climatique a opéré une incursion. Ensuite, les conditions de ce choix pour le petit émirat gazier ont suscité de vives controverses, avec des faits de corruption impliquant de nombreuses personnalités sur plusieurs continents.

A l'approche du tournoi, l'ampleur du mouvement de contestation s'est accrue en occident avec des vagues d'appels au boycott, cette fois, pour le traitement des travailleurs migrants mal payés et les milliers parmi eux, qui ont perdu la vie en dix ans sur les chantiers. Évidemment, il est impossible de rester insensible à des arguments aussi convaincants.


Dès lors, chacun a dû se positionner, certains par convictions profondes, d'autres guidés par l'instinct grégaire, mais le front du boycott n'a pas tenu longtemps. Le relativisme a pris place, mettant dos à dos cet événement avec ceux qui ont précédé, le Qatargate n'était valable que s'il y avait un UEgate, un USAgate, un Russiegate. Les amoureux du ballon rond ne comprenaient pas pourquoi les reproches envers le Qatar ne s'appliquent pas à d'autres pays, et pourquoi ce serait aux spectateurs et aux joueurs de se priver quand ceux qui ont permis cela ne sont pas sanctionnés et se permettent de dicter la bonne conscience.

Cette fissure a été nettement confirmée dès la cérémonie d'ouverture avec les scores d'audience. L'entrée en scène de l'acteur américain Morgan Freeman, accompagné du jeune Ghanim al-Muftah, qui n'a aucun complexe avec son handicap physique, a été remarquable. Les deux hommes qui incarnent brillamment par leur corps et par leurs mots, le message revendiqué d'inclusion, de diversité et de tolérance, ont donné le coup d'envoi d'une coupe du monde exceptionnelle.


Sur le terrain, la qualité a été au rendez-vous, d'abord sur l'état impeccable des infrastructures et le confort, puis lors des rencontres sportives. Les matchs ont été quasiment tous d'un très bon niveau, engagés, palpitants, avec une concentration inhabituelle d'exploits aussi spectaculaires qu'inédits. L'Arabie Saoudite, le Japon, ont créé des surprises fracassantes, le Maroc a l'issue de son épopée fantastique, a installé l'Afrique à un stade jamais atteint dans l'histoire, et six femmes, dont l'arbitre central, ont arbitré pour le première fois, un Mondial masculin.
Les gradins étaient vivants et colorés, les foules mixtes et cosmopolites à l'image du monde global. La présence de supportrices voilées et de femmes en tenues légères n'a pas provoqué de scandale. Les images montraient le rapprochement des peuples, la cohabitation culturelle, des gens joyeux, enthousiastes, contents d'être là, tandis que plus loin, les records graduels du nombre de téléspectateurs étaient enregistrés.

La fête était belle, elle s'est terminée comme elle a commencé, à contre-courant de tous les pronostics pessimistes. Les thèmes de l'unité ou encore du handicap, mis en avant dès le premier jour, ont eu du sens pour des millions de gens à travers le monde et on ne peut nier ce mérite au pays hôte. Cette édition débordante de symboles choisis et imprédictibles, a été incontestablement l'une des meilleures si on s'affranchit des réflexes malsains drapés de discours nobles.


Alors, fallait-il que tous les pays qualifiés boycottent cet évènement ? Bien sûr que non. Il a eu lieu en dépit des critiques parfaitement légitimes et humainement essentielles. Personne ne peut sérieusement affirmer que le boycott aurait fait avancer les causes qu'il défendait, et après coup, on peut même dire qu'il aurait été contreproductif. Cette occasion a été une vitrine de prestige et une fierté pour la région et tout le monde arabe qui étaient exclus d'un moment théoriquement planétaire, les qataris ont apprécié de voir les masses de visiteurs habillés en tenues traditionnelles locales, et le sport dans cette région fragile s'est imposé comme un vecteur d'ouverture, de stabilité et de progrès. La polémique a renforcé l'expression de ce que l'opinion ne veut plus, et pas que dans le sport, au Qatar comme ailleurs. Si cette voix à priori bienveillante et définitivement bienvenue a retenti, nul ne sait si les actes suivront, mais elle a été entendue.

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