L’optimisme règne dans les années 60. Nouvellement indépendants, riches de matières premières dont l’économie mondiale avait besoin pour nourrir sa croissance, les pays africains étaient prédestinés à un futur radieux. L’Afrique incarne alors à cette époque, mieux que l’Asie qui était strictement déconseillée, la nouvelle frontière de croissance mondiale entonnée à grands titres dans la presse. Mais la suite a montré deux trajectoires qui se sont inversées, le continent n’a pas décollé tandis que l’Asie a amorcé un envol spectaculaire.
Le continent asiatique, au mépris de toutes les théories malthusiennes, écrase la courbe de la pauvreté d’où sortent des centaines de millions de personnes au prix d’un capitalisme effrénée. Il s’industrialise à toute vitesse dans des secteurs intenses en capital humain, et voit sa croissance soutenue par la mondialisation qui s’accélère grâce à lui. En Afrique c’est le contraire. Le marché global a pour conséquences de servir l’élite corrompue qui s’enrichit avec la flambée des ressources extractives, propices à la corruption. Le désinvestissement s’opère dans l’éducation, la santé et l’agriculture, laissant ainsi la voie libre aux conflits armés et à l’émergence du djihadisme.
Face à cette situation, l’aide internationale se fourvoie de nouveau en se concentrant dans cette région sans parvenir à la sortir de la spirale des performances médiocres, alors que l’Asie qui n’a rien reçu poursuit sa progression. Avec des budgets exsangues, l’Afrique doit emprunter pour tenir, et se tourne vers la Chine, moins regardante sur l’état des pays encore immatures mais déjà étranglés par l’endettement. L’Egypte, la Zambie, la Tunisie, l’Angola ... sont en situation de surendettement et consacrent pour chaque nouvel emprunt, entre 30 et 60 % au remboursement des prêts précédents. Et les chocs globaux hérités de la pandémie et de l’invasion russes ne sont pas encore digérés, éloignant les perspectives de reprise et de stabilisation.
Aujourd’hui, contrairement au récit louangé de ceux qui ont intérêt à embellir la réalité, rien n’a changé en Afrique. C’est même pire. Les difficultés qui n’existaient pas se sont imposées et celles qui étaient déjà là s’aggravent. L’histoire reste à écrire, mais en attendant, l’étude comparative dresse deux courbes qui se sont croisées: l’Asie s’est définitivement installée dans une autre dynamique, elle qui désespérait tous les économistes six décennies plus tôt, et l’Afrique reste à quai, sans rassurer sur son avenir en dépit de ses atouts.