Le Rassemblement National, danger pour la démocratie
La destruction de la démocratie est inscrite dans le programme du Rassemblement National.
Les idées du Rassemblement National ont tellement été banalisées ces dernières années que nous ne percevons plus la radicalité antidémocratique des mesures qu'il prône : discriminations sans limites, surpouvoir de l’État, pouvoir de censure sur les médias et sur tous les moyens d'expression, surveillance et contrôle des enseignants... Ce ne sont pas des « points de détail ».
Relisons donc les différents textes programmatiques du RN.
Discriminer
Le Rassemblement National, depuis la reprise en main de Marine Le Pen en 2012, a fait disparaître, au fil des échéances électorales, un certain nombre de dispositions susceptibles de trop choquer ses électeurs et ses électrices. Les blagues antisémites sont proscrites, son discours sécuritaire n'est plus axé sur le rétablissement de la peine de mort, son discours sur les femmes ne fustige plus les « avortements de confort », etc. mais sur les questions centrales de son programme (immigration, insécurité...) ses options apparaissent clairement, malgré la rhétorique dans laquelle ils sont enrobés. La simple lecture de ses textes programmatiques permet de prendre la mesure des changements qu'il voudrait introduire : une remise en cause du régime démocratique que nous connaissons en France depuis 1945. Est-ce qu'on se rend compte de ce que cela signifie ?
Le Rassemblement National propose d'organiser un référendum pour changer la constitution. C'est, notamment, un principe fondamental de nos constitutions qui est visé : le principe de l'égalité devant la loi. Le titre premier de la constitution de 1958 stipule par exemple que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Cette égalité de droit est exactement ce que le RN veut supprimer. C'est le fameux principe de « préférence nationale » rebaptisé « priorité nationale ». Il propose que les étrangers (ou « étrangers extra communautaires ») soient discriminés à l'embauche, lors de l'acquisition d'un logement, pour de nombreuses prestations sociales (par exemple « les allocations familiales seront réservées aux Français »), au niveau juridique (la double peine) et dans l'accès aux soins (suppression quasi complète de l'aide médicale d’État)...
Mais, dira-t-on, ce sont des étrangers. N'est-il pas normal qu'ils relèvent d'une législation spécifique ? Cela peut être vrai de dispositions ordinaires adaptées à la situation d'étranger, comme, par exemple, l'exigence d'un passeport. Mais cela ne l'est plus lorsqu'il s'agit de droits fondamentaux reconnus par notre constitution et par toutes les conventions internationales. Les étrangers, aussi étrangers soient-ils, sont des êtres humains et, à ce titre, ils doivent bénéficier des droits de l'homme, dont l'originalité est justement de concerner tous les êtres humains. Violer ce droit, c'est basculer dans un autre type de régime, comme, par exemple, celui que nous avons connu en France dans la période de Vichy.
La multiplication des discriminations que le Rassemblement National veut inscrire dans la loi touche aux fonctions vitales des personnes visées : la possibilité de travailler, de se loger, de se soigner... Ces mesures fabriquent des sortes de sous-hommes !
La suppression de l'aide médicale d’État (sauf « soins urgents », mais vu le temps des procédures ce sera souvent trop tard) peut servir ici d'exemple type de ces discriminations sans limite, et absurdes. C'est une mesure qui constitue un véritable scandale moral : laisser un malade sans soin parce qu'il a une origine étrangère... C'est aussi une mesure stupide : au sein de ces populations non soignées se propageront inévitablement des épidémies qui nous frapperont, nous aussi.
Prenons la mesure de ce que représentent ces mesures discriminatoires que voudrait nous imposer le parti de Marine Le Pen, elles ne représentent pas un simple changement législatif, elles nous font changer d'univers.
Ce mépris de l'humain, cette destruction des droits de l'homme, de plus, ne concerne pas que les étrangers. Une fois que le principe de l'égalité des droits est abandonné, la garantie de ce droit n'existe plus pour personne. Pour tous, ce qui était un droit n'est plus qu'une tolérance que l’État peut octroyer, ou retirer, quand il veut. L'arbitraire peut frapper n'importe qui. Et, effectivement, l'expérience historique confirme que dans cette conjoncture, les discriminations s'étendent à de nombreuses catégories : opposants, minorités, femmes... Le régime de Vichy, par exemple, discriminait les Juifs, mais aussi les tziganes, les femmes (des femmes fonctionnaires révoquée simplement parce qu'elles étaient des femmes).
Non seulement les discriminations prolifèrent mais ceux qui apportent une aide aux discriminés, aujourd'hui aux sans papiers privés de droit, sont criminalisés. Le RN prévoit de les « poursuivre » : « La loi permettra de poursuivre et de condamner les personnes qui apportent une aide directe ou indirecte aux étrangers qui tentent d'entrer illégalement sur le territoire et s'y maintenir ». Cela fera beaucoup de Français réprimés pour leurs gestes humanitaires. Où commence l'aide indirecte ?
Au lot de discriminations va s'ajouter le lot de répressions.
De l'arbitraire policier à la police de la pensée
La destruction de l'égalité des droits, fondement essentiel de nos démocraties, n'est pas la seule mesure antidémocratique prônée par le Rassemblement National, loin de là ! L’État et l'administration RN ne veulent pas seulement discriminer, ils veulent aussi se doter d'un surpouvoir face à des citoyens de moins en moins susceptibles de défendre leurs droits. Ce choix se lit très clairement dans les textes consacrés à la sécurité et la répression policière.
Le RN propose notamment « d'instaurer une présomption de légitime défense pour les policiers et les gendarmes » afin de ne « jamais craindre » d'utiliser la force, le parti estimant qu'il devrait en faire bien plus usage.
Les policiers bénéficient évidemment d'un droit de légitime défense, précisément défini par la loi. Mais leur octroyer une présomption générale de légitime défense a priori, indépendamment de l'acte commis, ce n'est plus tenir compte des cas où elle est effective, mais légitimer des actes simplement parce que ce sont des policiers qui les commettent. Et les victimes de ces actes perdent ainsi en grande partie les moyens de se défendre face à des violences arbitraires. Ce ne sont plus des bavures puisque les policiers sont, de par leur statut, en légitime défense.
Si l'on ajoute à cela l'aveuglement volontaire du RN face à des dérapages policiers, par exemple les délits de faciès, pourtant documentés depuis longtemps, on ne peut que conclure à l'existence caractérisée de ce parti à légitimer les pouvoirs répressifs arbitraires et à priver les citoyens de moyens d'y résister.
Que reste-t-il de la démocratie s'il n'y a plus d'égalité des droits ni, pour les citoyens, de capacité de résister aux abus et à l'arbitraire du pouvoir ? Pas grand chose. Et pourtant, dans la doctrine RN ce n'est qu'une partie des mesures oppressives envisagées. Elle attribue, par exemple, à l’État le droit de limiter gravement un certain nombre de nos libertés fondamentales.
Le Rassemblement National donne au pouvoir le droit de censurer à peu près tous les moyens d'expression existant dans un pays au nom de la lutte qu'il veut mener contre ce qu'il nomme une « idéologie ». Contre une idéologie considérée comme néfaste, les autorités peuvent à peu près tout.
L'exemple que donne le RN est celui de « l'idéologie islamiste », propre à faire peur, mais cette peur risque de nous faire oublier les enjeux de la liberté d'expression qui ne concernent évidemment pas seulement les propos islamistes.
Marine Le Pen a déposé un projet de loi qui « prévoit l'interdiction de la publication des écrits,y compris par voie électronique ou audiovisuelle ayant pour objet ou pour effet la manifestation ou la diffusion de l'idéologie islamiste ». Mais l'idéologie, et c'est le nœud du problème, est une notion très large. Où commence l'idéologie islamiste ? Est-ce que tous ceux qui sont stigmatisés, notamment par le RN, sous le terme d' « islamo-gauchistes » seront partout censurés ? En réalité ce pouvoir de censurer toutes les formes d'expression au nom de la lutte contre une « idéologie » permet à l’État, de censurer tout ce qu'il veut car l'infraction n'est pas précise, comme peut l'être par exemple la diffamation définie juridiquement. Elle peut désigner toutes les idées qui déplaisent au gouvernement. Et au nom d'une incrimination aussi ouverte le RN se donne le droit de censurer tous les médias, les réseaux sociaux, les maisons d'édition, etc...
Cette traque idéologique s'étend partout, et notamment à l'école. Et là encore, la lutte du pouvoir contre les « idéologies » ouvre à l’État un champ de possibles censures et répressions quasi infini, bien au delà de la seule « idéologie islamiste ». Ainsi, par exemple, le RN réprouve depuis longtemps les méthodes pédagogiques actives, égalitaristes (le collège unique), ce qu'il nomme « la doctrine de l'école ouverte », etc... Il qualifie tout cela d' « idéologie délétère », donc réprimable, ne propose aucun débat mais s'apprête tout simplement de supprimer les institutions existantes, les instituts nationaux supérieurs des professeurs et de l'éducation, censés la propager. De l'incrimination d'une idéologie qui déplaît au RN à la répression il n'y a qu'un pas, vite franchi.
L'investissement autoritaire de l'école ne s'arrête pas là. Le Rassemblement National veut aussi exercer un contrôle général sur les cours assurés par les professeurs dans les classes. Soupçonnés de mal penser (c'est-à-dire autrement que le RN), rien ne semble plus urgent que de les mettre sous une étroite surveillance des autorités. Les enseignants devront constamment se conformer à la « neutralité » officielle. « l'exigence de neutralité absolue des membres du corps enseignant » sera partout renforcée. Sous une telle pesante tutelle, cette « neutralité absolue » sera déterminée par le pouvoir. Au lieu de se référer aux disciplines (par exemple l'histoire telle qu'elle est enseignée par les historiens), ce sera « la vérité », « la neutralité » de l’État qu'il faudra enseigner. Et les autorités y veilleront scrupuleusement. Est prévu un « accroissement du contrôle des corps d'inspection ». Celui-ci aura notamment pour mission une systématique délation des contrevenants à cette « neutralité » d’État : « obligation de signalement des cas problématiques sous peine de sanctions à l'encontre des encadrants ».
Nous imaginons parfaitement ce que cela peut signifier car, avec un vocabulaire quasi identique des États (notamment des États américains) ont mis en œuvre ce programme. En Floride, par exemple, aujourd'hui, les manuels scolaires sont expurgés de contenus scientifiques qui contreviennent aux opinions de certains groupes de pression (des évangélistes fondamentalistes opposés à l'enseignement de la théorie de l'évolution) et du gouverneur qui les soutient. Les professeurs sont dénoncés par certains de leurs élèves et pratiquent de plus en plus de l'autocensure.
Une forte intervention de l’État pour censurer le contenu des matières enseignées et une surveillance autoritaire des enseignants, cela produit toujours les mêmes effets : la fabrication d'une idéologie d’État, c'est-à-dire, en terme orwellien, une police de la pensée.
Une offensive contre la démocratie
Le Rassemblement National prétend défendre l'identité de la France mais l'essentiel du programme qu'il s'apprête à appliquer vise à détruire ce qui constitue la singularité de la France depuis des siècles. La présence de personnes à la peau foncée dans le pays ne change pas fondamentalement l'identité de la France. Ce qui la détruirait ce serait de faire du « pays des droits de l'homme » dont la devise est « liberté, égalité, fraternité », une société qui rejette l'égalité des droits et discrimine des populations entières, qui maltraite des groupes transformés en bouc émissaire, qui fait régner un pouvoir arbitraire, qui prive les citoyens de leurs libertés fondamentales, qui impose une idéologie d’État...
Or tout cela se trouve dans les textes programmatiques RN.
Ce n'est pas l'identité de la France même si cela a existé à certaines périodes de l'histoire de France comme la période de Vichy. Ce furent quelques épisodes, particulièrement sombres.
Cette ombre plane aujourd'hui sur toutes les prises de position RN . Partout est attisée la haine et le rejet de ceux qui sont perçus comme différents. L'hostilité envers les homosexuels et tous les déviants des normes hétérosexuelles dominantes n'a jamais cessé d'exister. Camille Froidevaux-Metterie nous le rappelle dans un article publié dans le journal Le Monde le 14 juin voter RN pour les femmes c'est braquer une arme contre soi : les députés européens RN ont voté « contre la condamnation des discours de haine envers les personnes LGBTQIA+ en 2019 et contre le fait de déclarer l'Europe zone de liberté pour ces mêmes personnes en 2021 ».
La philosophe rappelle aussi que l'opposition aux droits des femmes est toujours vivace au sein de ce parti, malgré les fréquents clins d’œil de Marine Le Pen à ses électrices. Il suffit, là aussi, d'étudier les votes des députés RN au parlement européen pour se rendre compte qu'ils sont systématiquement défavorables aux droits des femmes (voir le rappel précis de tous ces votes dans l'article de Camille Froidevaux-Metterie).
Enfin, la haine est attisée, encore plus, de façon obsessionnelle, contre un groupe mal défini mais que tout le monde reconnaît. Il est question d' « immigrés », bien que souvent ils ne le soient plus depuis des générations ; ou d' »étrangers » ou « étrangers extra-européens », mais on se garde généralement de désigner à la vindicte publique les Ukrainiens, chrétiens à la peau trop blanche. Qui désigne-t-on donc ainsi ? Les illustrations du livret programmatique consacré à « l'immigration » apportent une réponse, on y voit toujours des « Noirs » et des « Arabes » (peut-être aussi quelques Roms).
De thématiques en thématiques, les méfaits de ces populations aisément reconnaissables, à défaut d'être bien définies, leurs crimes, leurs mœurs arriérées, et même les privilèges dont ils bénéficieraient dans la société française, se succèdent sans fin. Ainsi que les discriminations, les exclusions, les mesures toujours plus dures qu'on souhaite ardemment leur imposer : toujours plus attentatoires aux droits humains les plus élémentaires. On peut parler d'obsession ethnique. Toute personne familière des discours d'extrême droite des années 30 ou de la période de Vichy y trouvera des résonances. Or cette obsession xénophobe qui a si souvent joué un rôle majeur dans la destruction des démocraties, est partout dans les discours et les actes du RN et constitue le principal fondement de sa doctrine , encore aujourd'hui.
Pour s'en convaincre lisons un livret programmatique qui semble complètement éloigné de ces questions d'immigration et d'incrimination des étrangers, celui consacré à « l'écologie ».
Nous allons de surprise en surprise. D'abord ce discours écologique est avant tout un discours anti-écologique, dénonçant « l'écologie punitive » à longueur de pages, dissuadant les Français de changer leur mode de vie, s'opposant aux mesures, pourtant souvent très limitées, prises par diverses instances nationales ou internationales pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais, vis-à-vis des étrangers, le ton change, la situation climatique exigerait qu'on restreigne leur nombre et leurs droits et qu'on réagisse vivement. Une des principales mesures « écologiques » proposées par le RN est la fermeture des frontières et l'organisation de la préférence nationale non seulement pour les produits français ou les entreprises françaises, mais aussi pour « l'emploi des Français ». On croyait parler écologie, on retourne à l'obsession ethnique, aux exclusions, aux discriminations... à cette identité des pages douloureuses de notre histoire.
Le Rassemblement national a appris à utiliser un langage policé, respectable, à se référer à la république, à la démocratie, et même aux droits de l'homme, mais derrière ce vernis, c'est une véritable machine de guerre antidémocratique que révèle la lecture de son programme. Même si nous ne connaissions pas les accointances de Marine Le Pen avec Poutine ou Victor Orban ce programme suffit pour découvrir ses penchants autoritaires
Dans la confusion générale, la promotion de mesures inspirées par le discours RN (30 lois successives restreignant les droits des étrangers et, dernièrement, l'introduction de la préférence nationale dans une loi sur l'immigration), nous avons perdu la capacité de percevoir la gravité destructrice de ces mises en cause radicales de nos principes et de nos droits. Or ce que nous découvrons à la lecture de ce programme RN ce ne sont pas seulement les réalités catastrophiques que recouvrent ces logiques mais tout un ensemble de mesures qui nous font basculer dans un autre régime, tel que nous n'en avons pas connu en France métropolitaine depuis la Libération. Ce n'est plus une évolution, même vers du pire, c'est un saut dans l'inconnu.