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Billet de blog 11 octobre 2008

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Il n’a pas volé sa Palme d’Or

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Révéler la tragique solitude de monsieur Marin valait bien une palme d’or.

J’invite ici à une lecture surréaliste du film de Laurent Cantet tout en reconnaissant que son auteur ne nous aide guère à opter pour cette lecture.

A la surface d’une lecture réaliste, appauvrissante, on ne peut guère qu’être déçu par la description narrative d’une année scolaire dans un collège de ZEP, par le suivi d’une expérience pédagogique recherchant le dialogue jusqu’à l’absurde, par la composition d’une ligne compassionnelle sur le sauve qui peut d’une jeunesse immigrée, scolarisée par défaut de vraie place et de vrai projet.

Le côté pittoresque des images, le côté pagnolesque de la société professorale dont aucun caractère n’est oublié, le démarrage lent du film qui fait penser d’abord à un bon film de patronage et la scène finale de la partie de football qui y ramène à défaut de s’arrêter sur la sortie pleine de dignité de la mère de Souleyman… Ceux qui n’ont pas aimé ont des circonstances atténuantes. Ce n’est ni Margueritte Duras avec Une pluie d’été, ni Notes sur le rire de Marcel Julian… et ce n’est pas non plus le livre de F.Bégaudeau.

Lecture surréaliste ? Ce que j’attends d’une œuvre, c’est qu’elle aide à débusquer des visions essoufflées, des analyses factices, des certitudes refroidies qui bougent encore. Ceux qui ont déjà navigué sur une embarcation à fond plat savent qu’il y a d’abord un moment de l’accélération où la coque épouse toutes les formes de toutes les vagues, balançant à hue et à dia le frêle passager, et un deuxième temps, lorsque la vitesse dépasse le point critique, où la coque ne touche plus que le sommet des vagues. L’embarcation alors se rétablit et le passager navigue presque sans secousses.

L’œuvre de F Bégaudeau ne décrit rien dans le détail de cette fausse chronologie dont le film ne se sépare pas suffisamment à mon goût, il ne touche que la crête d’une réalité absurde.

Il n’en fait pas l’analyse, il ne défend aucune thèse, il ne s’apitoie sur personne.

Il révèle au sens photographique du terme, et il révèle fortement, l’immense décalage entre les discours emphatiques sur l’intégration (que le film heureusement fait l’économie de nous montrer) et l’impossible dialogue entre deux cultures qui se méconnaissent l’une l’autre. Et cela n’est pas sans rappeler un autre décalage pas très ancien :

celui des discours sur la mission civilisatrice de la France coloniale qui a cohabité durant des dizaines d’années sur les mêmes bancs de l’Assemblée Nationale avec une résistance de nos parlementaires à accorder la moindre représentation démocratique « aux indigènes ».

Monsieur Marin est en même temps celui qui subit l’agression de Souleyman sur un malentendu linguistique (mais le film montre comment tous les mots portent à malentendu), et celui qui, seul, mesure toute l’intelligence vitale de son élève (son tatouage : si tu n’as rien à dire d’important, tais-toi !) tout en doutant des outils qui pourraient offrir à cette intelligence une passerelle vers Notre culture,

Monsieur Marin ne peut admettre la fatalité de l’exclusion mais ne trouve pas de mots pour dire l’autre malentendu, le fondamental : l’idée que l’effort d’intégration est à sens unique, l’idée que les différences de culture peuvent être gérées par les seules bonnes volontés professorales, l’idée derrière tout cela qu’il y a des intelligences plus intelligentes que d’autres.

Révéler la tragique solitude de monsieur Marin valait bien une palme d’or.

Serge Koulberg

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