J’aime bien en général donner mon avis de citoyen sur des sujets sur lesquels je n’ai aucune expertise. Pour une fois je vas parler de ce que je connais, depuis une vingtaine d’années : la retraite à 60 ans.
Je fais partie de ceux pour qui l’allongement de la vie en bonne santé est une réalité encore que, ma mère et deux de mes tantes ont vécu jusqu’à 90 ans environ avec bien peu de recours à la médecine et en bonne santé physique et mentale. Ce sont également des femmes que je trouve autour de moi dans la catégorie des octogénaires (et au-delà) dont le corps et l’esprit semblent encore plein de vitalité. Plusieurs d’entre elles ont perdu leurs hommes entre 60 et 75 ans, c’est à dire à des âges qui correspondent à l’espérance de vie « d’autrefois ». Voilà pour un constat, tout personnel.
Mais de ci, de là circule une formule creuse : nous vivons plus longtemps. Qui est ce nous ? Que mettons-nous sous le verbe vivre ? Et longtemps, c’est combien en bonne santé après la retraite ?
La première bonne question à poser à propos de la retraite à 64 ans c’est bien de savoir pour qui l’espérance de vie en bonne santé mentale et physique s’est réellement allongée. J’ai entendu parler Edgar Morin ou Kirk Douglas, Jean Daniel ou Danielle Darrieux , Line Renaud ou Milan Kundéra, j’ai entendu parler d’anciens présidents, d’anciens ministres, d’anciens préfets, et de quelques-uns dont la fortune fait la une des journaux et distille la pauvreté dans le reste du monde. Des âges avancés et toute leur tête sans doute. Mais en quoi sont-ils représentatifs d’une espérance de vie en bonne santé généralisée ?
Il y a peut-être quelques îlots de centenaires à Ikaria ou à Acciaroli cela ne suffit pas pour faire un printemps de la longévité.
Si on se tourne du côté des EPAD ou des maisons de retraite, l’allongement de la vieillesse est indéniable, mais la santé mentale et physique y sont rares. L’exception que l’on montre pour infirmer la règle.
Bref l’argument Nous vivons plus longtemps (en bon état)… ne concerne de façon assez probable, assez convaincante que ceux qui font un travail passionnant ou ceux qui vivent du travail de autres… et quelques chanceux des hérédités sans tache.
Quant à la capacité à assurer, au-delà de soixante ans, un participation pleine et entière à son travail salarié, pourquoi pas enthousiaste, c’est sans doute 80% des emplois qui ne s’y prêtent pas.
Si on se tourne du côté des entreprises il est clair que le travail physique productif est de moins en moins confié à des personnes qui approchent des 60 ans. Les reconversions qui seraient un projet raisonnable sont reçues par une pensée institutionnelle grimaçante …ou agitées à vide comme la plupart des discours de ceux qui nous gouvernent. Sous entendu : on n’est pas des assistantes sociales.
Une bonne partie des enseignants dont le travail principal (non reconnu) est de gérer des classes, affirment une réelle fatigue aux approches de la soixantaine. Seuls ceux qui transmettent et élargissent des savoirs sont prêts à continuer jusqu’à la fin de leur vie.
On peut dire la même chose des cadres moyens qui font appliquer des règles et des fonctionnements dont ils ne sont pas les auteurs. On peut en dire autant des petits artisans et des petits commerçants qui travaillent en sous-traitance. Les fonctions médicales et paramédicales peu rentables ne sont pas les dernières à affirmer l’aberration de travailler au-delà des soixante ans.
Quand on dit que l’on ne sait rien faire d’autre que travailler, est-ce que cela ne veut pas dire que l’on a déjà trop travaillé ? (toujours dans l’optique du travail salarié)
Il y a un autre point de vue qui me paraît intéressant à aborder sur cette question des retraites : l’utilité sociale du retraité et l’âge favorable à des reconversions d’activité, à des investissements associatifs, à des participations de toutes sortes à la vie collective.
Combien de retraités qui arrivent à ce moment de rupture avec le travail salarié dans un état de fatigue, de santé, de moral plombé par ces dernières années de travail où l’on continue en sentant que l’on s’use, que c’est déraisonnable. Combien de retraites si misérables que l’on est plongé dans un quotidien de survie, une obligation de trouver quelques grains de riz pour ne pas mourir trop maigre comme dit un conte hindou.
Or que serait la société si son activité associative disparaissait faute des gens disponibles, si les interactions du temps disponibles n’étaient plus là pour maintenir le lien, pour nourrir d’autres ambitions que de se plier aux règles du jeu du capital ?
Et que devient le travail s’il n’apporte plus la dignité ?