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Billet de blog 21 octobre 2008

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Erri De Luca : 400 ans après Don Quichotte

Attention, chef d’œuvre de solidarité. Chef d’œuvre de présence solidaire à l’humanité trahie par ses propres forces. C’est un spectacle sur DVD... Et à la fin de ce spectacle, « Dulcinée sera encore plus belle. »

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Attention, chef d’œuvre de solidarité. Chef d’œuvre de présence solidaire à l’humanité trahie par ses propres forces. C’est un spectacle sur DVD... Et à la fin de ce spectacle, « Dulcinée sera encore plus belle. »

Nous sommes en l’an 400 après Don Quichotte, et le nom de « ce pauvre vagabond de l’impuissance » survit alors que nous avons oublié le nom des puissants. « C’est une des rares justices que je reconnais à l’histoire. » dit Erri De Luca en laissant tomber le « Don » qui n’apporte rien de plus.

Il vient nous raconter, devant une table de bistrot, quelques histoires d’Invincibles « ceux qui ne se laissent pas abattre, décourager ni repousser par aucune défaite. » Ils sont trois autour de cette table, un clarinettiste qui tient sa clarinette comme un prince tient son sceptre, un chanteur qui serre sa guitare dans ses bras et qui chante d’une voix qui a traversé tous les âges de la vie et puis Erri De Luca avec une flamme au fond de l’œil où la tendresse, la colère et l’humour sont toujours présents en même temps. Il y a une quatrième chaise. C’est pour Quichotte. « Tous les soirs, il y en a au moins un dans la salle, et il n’est pas dit qu’il soit du genre masculin ».

Il y en a sûrement sur Médiapart, mais ça c’est moi qui l’ajoute.

Cultiver les fleurs de beauté de la condition humaine, s’émerveiller des îlots de courage. Rester solidaire jusqu’au bout. Inconditionnellement.

Solidaire de toutes les grandeurs. Solidaire de tous les désastres.

Erri De Luca c’est d’abord un visage. Celui d’un homme qui n’a pas ménagé son ardeur à vivre, ni sa peine, majestueux dans sa simplicité, un homme qui n’a pas froid aux yeux quand il regarde avec tendresse le marécage où l’homme se débat. « Nous avons été les premières générations de toute l’histoire de l’Europe à n’avoir pas été prises par la peau du cou quand nous avions vingt ans et envoyées se détruire contre une autre jeunesse déclarée ennemie. »

Mais l’arrogance des violents n’a rien cédé de ses jeux meurtriers et sur la scène de la réalité une injustice remplace l’autre, une folie assassine se profile derrière celle qui se déchaîne, et il y a toujours quelques Quichottes qui n’arrivent à se résoudre au rôle de spectateur qui leur est imparti. « Je n’ai jamais vu personne monter sur scène pour empêcher Othello de tuer Desdémone. » Personne sauf les Quichottes qui ne s’accommodent pas de l’Indifférence et qui continuent donc à ne pas faire la différence entre la réalité et l’imagination et se jettent sur l’injustice comme de preux chevaliers « émus et irritables », ces Quichottes qui sont les seuls à voir « les points d’interrogation qui sont dans les malheurs, dans les injustices, dans les violences, dans les désastres du monde. »

Ces Invincibles, ce sont les nomades, les suicidés, les déserteurs, ce sont les immigrés italiens triés sur l’Ile de Ellis Island, en face de la statut de la liberté. (l’immigration choisie n’est pas sortie spontanément, à l’orée 2006, de quelques cerveaux plus perméables que d’autres aux monomanies de l’extrême droite.) Ces Invincibles ce sont les arpenteurs de sommets sans gloire, des poètes qui avec un vers rachètent parfois des tonnes de bombes. Des poètes comme Izet Jaraslic qui écrit à sa femme morte des suites de la guerre à Sarajevo :

« Tant de femmes

Et aucune toi

A Sarajevo

Deux cent mille femmes

et aucune toi »

Et moi dit plus loin Erri De Luca : « … je suis frère de tout le pire qui est dans l’homme. »

Ne croyez pas que cet écrit (dit et chanté sur scène) soit triste.

Le malheur humain sans une solidarité incassable et sans humour, c’est comme le sexe sans poésie, ça se noie en surface et on a beau crier l’écho reste dubitatif.

S’il est un homme parmi les écrivains d’aujourd’hui pour lequel la noyade n’est pas une fin en soi, c’est bien Erri De Luca. Son rêve de célébrité, ce serait qu’un légume porte un jour son nom, « comme la pomme de terre Van Gogh qu’on trouve sur les marchés de Finlande. » Poètes et anonymes traversent son histoire. Anna Akhmatova, Nazim Hikmet, Boris Vian, Izet Jaraslic, tous des amis en poésie. Tous des poètes qui sont restés au milieu des gens plutôt que de disserter sur le malheur du monde.

On n’imagine pas cet Erri De Luca regarder une guerre sans pleurer d’absurdité, passer à côté du rire sans le réveiller, regarder une femme sans un rêve reconnaissant, regarder une bouteille de vin rouge sans la partager avec des amis, regarder l’humanité sans cette solidarité sans limite, cette solidarité qui ne demande à personne de mériter la tendresse qu’on lui porte.

Oui, c’est un regard tendre, jusqu’au fond des yeux, un regard qui pardonne tout sauf l’injustice et la cupidité méchante, un regard et une voix qui aiment l’homme avec ses sentiments débraillés, ses impasses étincelantes, ses naufrages éperdus et la grandeur souveraine de sa résistance.

400 ans après Quichotte, une table de bistrot et quelques histoires, des voix que l’on n’oublie pas, une clarinette qui sait tout dire, des mots qui vont au plus court par politesse, le lecteur n’a pas que ça à faire… et les Invincibles qui cent fois sur le métier de s’émouvoir et de s’irriter n’en finissent pas de confondre le réel et l’imaginaire et de brandir leur courage dérisoire.

Je finirai par les pieds

« …Parce qu’ils ne savent pas accuser

Et qu’ils n’empoignent pas d’armes… »

A lire également si vous ne l’avez pas encore lu, le texte d’Erri De Luca sur le blog de Dominique Conil à propos de Marina Petrella.(Médiapart du 12 juillet)

Entre la seule compassion et la solidarité vous pourrez mesurer là, comme dans Quichottes, une étendue à laquelle nous pourrons, aussi, sur Médiapart, donner la forme d’un point d’interrogation.

Erri De Luca Quichottes et les invincibles Un spectcle d'Erri de Luca avec Gianmaria Testa et Gabriele Mirabassi

DVD+Livret chez Gallimard

Serge Koulberg

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