L’empereur cafardissime
Conte écrit par K Tchoukovski
En 1953 à la mort de Staline
traduit du russe par Serge Koulberg
Les ours en goguette
roulent à bicyclette
Le chat à l'envers
suit juste derrière
Puis viennent les moustiques
sur un ballon en plastique
Les écrevisses chenapans
sur un chien clopin-clopant
Les loups avec jument pour monture
et les lions dans une voiture
Les petits lapins
dans un petit train
La grenouille olé olé
à cheval sur un balai
Tout ce monde
dans la ronde
Tourne, rit et roule avec délice
en mangeant du pain d'épice.
Sous le fer d'une porte cochère
soudainement sort un géant.
Moustachu, roux et sévère
Gros cafard sérénissime
Gros cafard cafardissime.
Il se met à hurler, à rugir,
ses moustaches il fait frémir :
" Arrêtez ! Pas la peine de filer !
Je vais tous vous avaler.
En une bouchée, pas de quartier,
je vais tous vous avaler !
Les animaux entrèrent en transe
ils perdirent connaissance.
Les loups entre frères et sœurs
se mangèrent de terreur.
Le crocodile de trouille
en avala la grenouille.
L'éléphant plein de frisson
s'assit sur le hérisson.
Seuls les écrevisses, gens farceurs
de la bagarre n'ont pas peur.
Cependant elles reculent
en jouant des mandibules
et en criant au moustachu :
" Cesse de mugir, de hurler,
nous avons nous aussi des moustaches
nous savons nous aussi que l'on sache
avec elles gesticuler!" Mais avec prudence
elles prennent quelques distances.
Puis l'hippopotame à la langue bien agile
dit à la baleine, dit au crocodile :
" Qui ce criminel ne craindra
qui avec ce monstre se mesurera
ce preux-là deux grenouilles méritera
et aussi une pomme de pin!"
" Crois-tu qu'il nous fait peur ?
Ton colosse, ton agresseur ?
Nous le prendrons à coup de dents,
nous le prendrons à coup de cornes
à coups de sabots nous le prendrons !
Et voilà les gais lurons
qui s'équipent et montent au front.
Mais à la vue du moustachu
oh lu lu
à toutes jambes ont disparu
oh la la lu !
Dans la plaine et la forêt
ils se sont tous éclipsés.
Les moustaches du cafard
les ont tous terrorisés.
L'hippopotame est en fureur :
" Quelle honte ! Quel déshonneur !
Dites donc rhinocéros
vous les béliers, vous les taureaux
sortez donc de vos tanières
pour pourfendre l'adversaire !"
"Mais…" répondent les encornés
des profondeurs de leurs tanières
"Nous l'aurions bien éventré
de nos cornes traversé...
mais notre peau nous est chère
et les cornes sur le marché
valent cher
Les voilà tous calfeutrés
tous tremblants dans les fourrés
dans les mares se sont tapis
par petits tas cherchant abris.
Le crocodile déconfit
s'est plongé dans les orties
l'éléphant dans le canal,
tous se sauvent tant bien que mal.
Reste un bruit de dents qui claquent
une image d'oreilles qui tremblent.
Quant aux singes, si malins,
valise et linge à la main
sans tambour ni trompette
ils prennent la poudre d'escampette.
Même s'esquive le requin, le coquin
le voilà en guise d'adieu
qui frétille de la queue.
Le gros cafard est donc vainqueur
des plaines, des forêts
empereur !
Les animaux au moustachu
se sont soumis.
"Qu'il crève enfin le maudit!"
Mais voilà qui vite est dit.
Et lui, sans scrupule, parmi ses sujets
déambule et caresse son ventre doré :
"Apportez-moi donc, animaux, vos enfants,
je les mangerai au dîner en rentrant!"
Pauvres animaux ! Pauvres bêtes!
Elles hurlent, elles pleurent,
et au fond de chaque tanière
on maudit le monstre cruel.
Y a-t-il une seule mère
qui puisse accepter de donner
son petit, le fruit de sa chair,
son ourson, son agneau, son poney ,
pour laisser ce croque-mitaine
torturer ces petits si gracieux ?
Elles pleurent, elles hurlent leur peine,
aux enfants elles font leurs adieux.
Un beau matin malgré tout
accourut un kangourou.
Ayant vu le moustachu
il s'écria tout ému :
" Est-ce là votre géant,
ha,ha,ha !
C'est un cafard tout simplement
ha,ha,ha !
Gros cafard sérénissime
Gros cafard cafardissime
c'est un frêle moucheron
c'est à peine un puceron !
N'avez-vous donc pas de honte ?
N'êtes-vous pas des mastodontes ?
Avec des canines affreuses
et des cornes vigoureuses ?
Devant ce puceron
allez-vous donc vous démettre ?
Au mollusque allez-vous
vous soumettre ?
S'alarmèrent les mastodontes :
" Ça va pas ? Mais tais-toi donc !
Allez ouste, du vent l'affreux !
Tu mets de l'huile sur le feu !
Mais soudain de derrière les rameaux,
de la forêt bleue lointaine,
du plus loin, venu des plaines
atterrit un petit oiseau.
Hop, hop, hop, cui cui cui,
Hop, hop, hop, cui cui cui,
Le cafard il a mangé
du géant n'est rien resté !
Vive le sort qui lui échut
plus de moustaches
plus de moustachu !