Mes meilleurs vœux sous forme de soutien au modèle payant du journal.
Si je fais du modèle payant du journal sur Internet l’objet prioritaire de mes vœux, c’est parce que je perçois cette question comme le centre névralgique des critiques adressées à Médiapart. Je n’ignore pas que neuf euros représentent pour un nombre de plus en plus élevé de nos concitoyens une somme non négligeable dans le budget mensuel, mais je n’ignore pas non plus que la bataille de « la gratuité sur le net » porte d’abord sur les principes.
Aux tenant de cette gratuité je voudrais rappeler que cette gratuité avance à contre courant de la marchandisation généralisée, qu’elle représente un masque stratégique provisoire à cette marchandisation plus qu’une faille du système et qu’enfin elle est illusoire puisque le coût de la redevance publicitaire pèse lourdement sur nos budgets.
Il y a encore quelques décennies il était possible d’être pauvre dans les pays riches sans avoir à recourir au caritatif pour la nourriture ou les vêtements, il était possible de se faire soigner, de trouver un coin de terre à habiter… avant que les professionnels de la privatisation et de la mise en rareté de tout ne rendent la gratuité suspecte, la solidarité anachronique, le bon marché insolite et synonyme de produits déclassés, avant que les milliers de petites gens qui par l’artisanat et le commerce vivaient tant bien que mal mais avec dignité ne soient remplacés par des salariés corvéables à merci et jetable, dans les grandes unités ou dans des combines de sous-traitance.
Il y a peu, on se moquait des pays sous-développés où « on se faisait rançonner » pour la moindre activité et à tous les coins de rues, aujourd’hui, chacun paye sans renâcler pour trouver du travail ou un logement, pour circuler ou pour arrêter sa voiture. Le rançonnage a acquis ses lettres de noblesse.
Le consommateur, lui « a appris à payer pour sa liberté ».
La valeur des choses serait-elle avant tout psychologique ? Nous voyons bien qu’il y a peu d’objectivité dans sa détermination même si les économistes (je ne les confonds pas tous, rassurez-vous) tentent d’y associer d’improbables objectivités… nous laissant penser que c’est l’économie elle-même qui commande l’absurdité du monde.
Nos tenants de la gratuité sur le net voudraient donc qu’il y ait un domaine qui échappe au mouvement général de l’époque.
J’ai bien peur d’abord que cette « gratuité ne soit que provisoire. De la même manière que les banques parviennent de plus en plus sûrement à nous faire payer cher « le service » qu’elles nous rendent de garder notre argent, de la même manière que les assurances nous font payer « en plus » tout ce qui était jusque-là « compris » dans le fonctionnement général de l’entreprise, nul doute que les chasseurs de toute gratuité ne trouvent prétextes législatifs et « nouveaux services » pour rendre payant d’ici peu le faussement gratuit d’aujourd’hui.
Enfin, je pense que nous ne pouvons pas ignorer le coût de la redevance publicitaire, payée par tous et sur l’ensemble des produits que nous consommons. Les publicitaires, faut-il le rappeler, ne sont pas des mécènes, les espaces publicitaires ne sont pas des surfaces idéologiquement neutres, et le laisser croire, participe à la dissimulation de cette omniprésence de l’esprit de marchandisation infiltré dans les circuits de l’information et de la pensée.
Certains imaginent, avec le net, « profiter des failles du système ». Je suis de ceux qui pensent que le meilleur peut sortir des failles du système et je me garderai bien de jeter la pierre à ceux qui s’y essayent… mais je ne crois pas que ce soit par mégarde que le système publicitaire autorise quelques débordements contraires à ses visées prioritaires. Je crois que c’est sa façon de soutenir l’illusion démocratique d’une possible neutralité politique des financements, n’obéissant qu’à des logiques économiques, et je n’ai pas envie d’aider à le faire croire.
N’entrons pas dans le piège du morcellement. Ne jouons pas Rue 89 ou d’autres contre Médiapart. Il fonctionne si bien ce piège pour désamorcer toute résistance ! Ne lui prêtons pas notre concours.
Nous ne sommes pas si nombreux à penser qu’une société vit mieux avec de vrais contre-pouvoir de contrôle démocratique, je pense qu’il est important de soutenir ceux qui s’y risquent de leurs initiatives et de leurs projets, y compris en payant le prix de leur liberté quand nous y reconnaissons la nôtre.
Meilleurs voeux à l'équipe de rédaction et aux lecteurs de Médiapart pour l'année 2009
Serge Koulberg