Le 17 septembre dernier Mario Draghi l’ancien Président de la BCE est venu présenter au Parlement européen son rapport sur « L'avenir de la compétitivité européenne » (The future of European competitiveness) qu’il a remis à la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. https://commission.europa.eu/document/download/97e481fd-2dc3-412d-be4c-f152a8232961_en?filename=The%20future%20of%20European%20competitiveness%20_%20A%20competitiveness%20strategy%20for%20Europe.pdf
Si le constat de Mario Draghi est très sévère, il a au moins le mérite d’être lucide. Oui depuis sa création, l’Union européenne perd du terrain dans le domaine économique face à ses concurrents que sont les États-Unis et la Chine. Son avenir est sombre et elle connaîtra une longue agonie si les dirigeants des pays européens ne sortent pas de leurs dénis et ne se ressaisissent pas. Riche de 170 propositions le rapport Draghi est avant tout un vibrant appel à réorienter les politiques européennes, à renforcer les coopérations entre les États de l’union et les investissements massifs dans la recherche et l’économie. Mais ce rapport est également un appel pressant à réviser les traités de l’Union et en particulier celui de son fonctionnement. « Le renforcement de l'UE nécessite des changements de traité, même si ce n'est pas une condition préalable pour que l'Europe aille de l'avant. Beaucoup peut être fait par des ajustements ciblés jusqu'à la mise en place du consensus pour les modifications du traité.»
Étrangement cette proposition de réviser les traités, faite par Mario Draghi ne retient pas, ou très peu l’attention des nombreux commentateurs de ce rapport. Tout se passe comme si Mario Draghi avait levé un tabou. Le rejet du Traité Constitutionnel Européen par le peuple français lors du référendum de 2005 suivi de l’adoption du Traité de Lisbonne en 2007 par un tour de passe-passe législatif peu glorieux pour notre démocratie a laissé, il faut bien en convenir, des souvenirs douloureux dans notre pays. Ceci expliquant sans doute cela.
Et pourtant, qui peut encore nier qu’il y a urgence à réviser nos traités si nous voulons sortir l’Union Européenne de l’impasse où elle se trouve aujourd’hui. Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que l’architecture institutionnelle de l’Union construite à la fin des années 1980, par Jacques Delors avec le soutien de Margaret Thatcher est devenue complètement inadaptée pour faire face à la situation géopolitique mondiale actuelle. Architecture inadaptée en externe mais aussi en interne.
Ces traités d’inspiration ordo et/ou néo-libérale ont gravés dans le marbre et d’une manière dogmatique les principes de la concurrence «libre et non faussée» et du libre-échange débridé partant du principe que l’État n’était jamais la solution, mais toujours le problème pour reprendre la déclaration de Ronald Reagan et qu’enfin «la main invisible des marchés» finirait toujours par faire le bonheur des peuples. C’est pour ces raisons idéologiques que dans le domaine économique les traités prônent la concurrence et la compétition entre les états au sein de l’union, la concurrence entre les entreprises, entre les citoyens, de tous contre tous, quand il faudrait au contraire, parler de coopération et de solidarité.
Dans le domaine du commerce international, les traités prônent le libre-échange généralisé et l’ouverture des frontières, allant même jusqu’à demander dans l’article 206 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne «...la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres.», c’est-à-dire sociales et environnementales, quand il faudrait prôner la régulation et des échanges justes qui prennent en compte les intérêts légitimes des populations de chaque pays.
Les États-Unis et la Chine font de l’interventionnisme d’État sans complexe pour protéger leurs économies mais aussi pour envahir nos marchés. Il est grand temps que les dirigeants de l’Union européenne cessent de jouer le rôle «d’idiots utiles de la mondialisation», qui se contentent de parler d’autonomies stratégiques, sans se donner les moyens véritables de les réaliser.
L’Union Européenne peut se sauver elle -même pour peu qu’elle n’oublie jamais que la vocation fondamentale d’une grande démocratie est d’abord de protéger ces citoyennes et ces citoyens des effets économiques et sociaux des chocs externes qu’ils soient géopolitiques ou climatiques. Quand partout en Europe les partis d‘extrême droite sont aux portes du pouvoir il n’est plus temps de tergiverser mais d’agir !
Serge Le Quéau
Syndicaliste, ancien membre du
CESER de Bretagne et du CESE