Sur votre blog, vous dites grogner contre tout ce que propose le PS. Je ne peux vous en blâmer. Mais votre fixation sur cette histoire de "genre" qui est devenue le cheval de bataille de l'extrême-droite réac et des pires cinglés révèle une orientation que vous n'allez pas jusqu'à afficher explicitement, omettant de signaler au lecteur que vous ne vous situez plus du tout politiquement du même côté que votre ex-idole Mélenchon.
Vous laissez entendre que cette affaire serait le fruit d'une intention de faire éclore un sujet clivant destiné, sans doute, à faire oublier les turpitudes du pouvoir et à rassembler la gauche derrière un gouvernement dont la politique de droite devient de plus en plus insupportable. Cette conception complotiste ne tient pourtant pas la route. Certes, Valls et Hollande ont un certain intérêt à laisser cyniquement prospérer l'extrême-droite, chien de garde du Capital qu'ils servent eux-mêmes. Mais le recul en désordre du gouvernement sur la PMA et sa tentative d'effacer le terme de "genre" des programmes sous prétexte qu'il crispe les fachos et les dingos montre bien qu'il n'avait rien prévu de tout cela et qu'il n'a en réalité pas intérêt à ce que ces tensions-là s'éternisent. Exactement comme Mitterrand s'était couché en 1984 devant les tenants tout aussi réacs de l'école privée. Ce fiasco prouve la nullité des Solfériniens bien plus que leur machiavélisme.
Sur cette question du "genre", donc, vous sombrez dans la pensée beauf. Je vous cite : "Il n’est pas question dans la méthode ABCD, présentée par Belkacem et Peillon, de dire qu’une fille peut avoir envie de jouets de garçons et vice-versa ? N’est-ce pas la base de la théorie du genre ?" Il ne s'agit pas là d'une "théorie", contrairement à ce que hurlent les réacs, mais d'une simple observation, suite à des études sur le genre. Oui, le genre est une construction sociale qui ne coïncide pas forcément avec la biologie. Et oui des filles peuvent avoir envie de jouer avec des jouets de garçons, lesquels peuvent aussi n'être présentés comme des jouets de garçons que pour perpétuer la domination patriarcale. "Que le sexe de naissance est un hasard mais que le genre seul est déterminant et peut être contraire au sexe ?" ajoutez-vous, mêlant une évidence (le sexe de naissance est un hasard et peut être contraire au genre dans lequel un individu va se reconnaître) avec une énormité (le genre "seul" serait déterminant, ce que personne n'a essayé de prétendre). Vous illustrez ce sophisme par un truisme destiné à faire s'esclaffer les beaufs : "Facilitons la vie des gosses : « Tu es une fille…Mais si tu n’étais pas une fille ????…" En fait, pour faciliter la vie des gosses, l'idée, c'est plutôt : "tu es une fille, mais choisis par toi-même quel genre de fille tu veux être, et si tu ne veux pas être le genre de fille que la tradition ou le marketing veulent imposer, voire si tu ne veux pas du tout être une fille, eh bien, ne te sens pas rejetée, tu as ta place dans la société et tu es libre de choisir ce que tu veux être". Oui, c'est plus long à dire, mais c'est un peu moins con.
Poursuivant dans la même veine beauf, vous évoquez les couvertures roses pour les filles qui auraient été bannies des maternités norvégiennes. Comme si c'était un problème à l'heure où le marketing mondialisé impose au contraire aux petites filles de jouer d'abord à la "princesse" toute rose puis à la pute hypersexuée avant même l'âge des premières règles. Mère ou putain, tel est ton destin, et ne t'avise pas de jouer aux petites voitures : tu pourrais en conclure que tu es l'égale des petits garçons qui sont plus sensibles que toi et qui ne le supporteraient pas, et faut pas que tu fasses pleurer tes futurs maîtres sinon ils vont passer pour des tarlouzes.
Vous citez plus loin un anonyme philosophe de "forum" : "Le droit européen ne peut se fonder que sur la réalité objective des sexes : homme et femme". Mais qu'y a-t-il de mal à ce que le droit européen (ou français ou international) se fonde sur la réalité objective des genres dans lesquels les individus se reconnaissent ?
D'autre part, quel est votre problème avec la "ligne Azur" ? Voici sa présentation : "Créé en 1997, Ligne Azur est à la fois un service d’écoute et un site Internet qui informent et soutiennent toute personne (jeune ou adulte) qui se pose des questions sur son attirance et/ou ses pratiques sexuelle avec une personne du même sexe." Qu'est-ce qui vous choque là-dedans ? Que cela choque les fondamentalistes religieux qui voient dans l'homosexualité une malédiction, que cela choque les fachos de type Soral ou Zemmour qui n'acceptent pas que soit banalisée socialement une identité qu'eux-mêmes refoulent peut-être derrière un masculinisme crétin, ce n'est guère étonnant. Mais vous, Ariane Walter, au nom de quelle idéologie refusez-vous aux jeunes qui se posent des questions sur leur identité sexuelle la possibilité de trouver une aide qui leur permette de mieux prendre soin d'eux-mêmes, de s'accepter, et de se faire accepter ?
Ah ! oui, plus loin, vous affirmez : "c’est que BIG Brother se promène désormais autour de nos enfants en leur demandant, aujourd’hui pour commencer, sur cette fameuse ligne Azur, quelle est leur orientation sexuelle. S’ils ont recours à la fellation ou à la sodomie… Mais où va-t-on ? Ils veulent faire des listes ? Un enfant de onze ans à qui on pose ces questions ne va-t-il pas penser que désormais il faut répondre à toute voix au téléphone qui en pose d’autres ?" Là, je me pose une question : croyez-vous vraiment à ces sornettes véhiculées notamment par Soral (qui semble en passe de remplacer Mélenchon dans votre panthéon) ? Ligne Azur propose des réponses à des jeunes qui se cherchent. Où avez-vous vu que la consultation du site et l'appel du numéro téléphonique étaient rendus obligatoires par un quelconque dictateur orwellien ? A l'heure où n'importe quel pré-ado peut accéder facilement via internet à la pornographie la plus violente, vous vous offusquez qu'il puisse aussi trouver une écoute à ses préoccupations. De même que le mariage pour tous n'oblige personne à se marier, que le droit à l'avortement n'oblige personne à avorter, Ligne Azur n'oblige personne à se poser des questions d'ordre sexuel.
Vous présentez de façon biaisée le conflit déclenché par les forces réactionnaires : "Ou bien vous êtes pour l’égalité hommes-femmes et la lutte contre l’homophobie, et vous êtes des êtres supérieurs. Ou bien vous êtes contre et vous êtes fachos, cathos, intégristes, homophobes. Pas de demi -mesure." Le terme d'être "supérieur" est totalement déplacé. Est-ce l'obsession envers le "peuple élu" (si récurrente dans l'extrême-droite qui s'est ruée sur le "genre") qui a déteint dans votre vocabulaire ? Les partisans de l'égalité ne se croient pas "supérieurs" puisque justement ils sont pour l'égalité pour tous. Ce sont au contraire ceux qui veulent priver de droits quiconque ne se situe pas dans la même norme qu'eux qui traitent les minorités sexuelles comme des inférieurs.
Pour finir, je relève cette superbe brève de comptoir : "Je ne doute pas que le garçon que l’on forme à l’ABCD de l’égalité, une fois devenu patron, proposera à ses employées le même salaire que lui en souvenir de ces cours émouvants !" Et pourquoi qu'il deviendrait patron, le garçon ? Il préférera peut-être s'occuper des gosses ?