Je mens, j’enferme mes délires, mes mauvaises pensées. Je travestis la réalité pour ne pas assumer, pas assurer. Caparaçonné dans une enveloppe de gaîté, je diffuse en boucle une image qui rassure. Une sorte de téléréalité personnelle ,un produit lessiviel pour écarter les importuns et donner un semblant d’apparence lisse. Un personnage composé, incarné. César ad vitam du meilleur interprète de la masse, de la nasse ou je me sens emprisonné.
Je m’enfonce dans la nuit. Au volant de ma bulle métallisée, coupant le rideau épais du rayon blanc qui surgit à l’avant. M’enfonçant tel un stylet dans la profondeur du noir.
Plus blindé qu’un coffre-fort. Les plaques d’acier qui me recouvrent masquent les lézardes et les fêlures. Le crépi qui tombe. Les barreaux aux fenêtres de mon âme, mes erreurs et mes doutes.
La radio s’est tue, plus exactement je l’ai coupée. Ne subsiste autour de moi que le ronronnement des pur-sang que je libère et qui est à peine atténué par le glissement de l’air courant le long du piège de métal.
Je m’enfonce, voyageur immobile. C’est le décor qui a tendance à s’échapper autour de moi. Un peu comme si j’absorbais la matière, que je recrachais tout ce qui me déplait pour aller atteindre le fond, le noir absolu, la pureté.
J’avance dans la masse, je me débat dans la nasse. Je me noie en cherchant l’accroc dans les mailles du filet….Oh ! je voudrais tant filer. Devenir poisson-volant. Sauter par dessus ce chalutier qui sans cesse me ramène au port. Repartir dans la mer, au plus profond, la ou il n’y plus de lumière. Dans le silence bleu ou mon corps décomposé reprendrait forme.
Je roule depuis je ne sais combien de temps. Dans cette obscurité seules quelques lucioles vite rattrapées, vite dépassées, vite oubliées. Je suis seul dans cet infini, cosmonaute terrien dans l’absolu, explorateur du ruban balisé.
Je suis serein, je roule et rien ne m’atteint. Dans mon cocon ouaté j’avale les kilomètres dans ce tunnel ou le jour tarde à poindre, ou l’horizon et la terre se confondent. Je suis bien, je respire.
L’ultime liberté, sans frontières. Porté par les courants du Pôle à l’Equateur. Oublier ces terre-à-terriens qui ne songent que fric, carrière, épater le voisin, briller comme s’il ne voyaient pas qu’ils ne sont que de petits feux follets à l’existence éphémère.
La nuit partage mes idées. La nuit me cache tous ceux que je suis obligé de voir dans la journée, elle me cache la laideur et la misère, l’abrutissement de nos cités. La nuit est l’ultime frontière, la dernière liberté, le dernier espace sauvage dans un monde aseptisé. La nuit permet de disparaître à jamais, de se laisser envelopper, de laisser les oripeaux du passé, de ne plus être l’ombre de soi même mais de devenir soi même une ombre.
Oublier ceux pour qui la vie ne doit pas comporter d’anfractuosités, pas d’aspérités, que de la conformité. Une vie dans l’ordre et la sécurité. Une liberté qu’ils sont prêts à aliéner pour ne pas sortir de leur moule-carcan tellement accepté.
J’étais las de mes pensées quand j’ai pris la route. Je me sens lavé, purifié au fur et à mesure que par quelques gestes précis je gère cadrans et boutons, voyants et manettes de mon vaisseau.
J’en suis la dans mes pensées, quand le sol se découvre. La bretelle est à proximité. Déjà la pollution lumineuse commence à trouer le rideau faisant naître ça et la des taches fantomatiques de vie. Dans le rétro, le ciel commence à se teinter des premières lueurs du jours. Je suis presque arrivé. Je quitte ce monde ou mes attaches ne sont pas des liens. Je redeviens terre-à-terrien.
Mais je m’égare, Monsieur, Il faut que je rentre chez moi. M’éloigner des mailles du filet, me fondre dans la masse, me couler dans la nasse.
Je regarde les rayons du soleil effilocher la toile. Une fois garé, et tandis que le décor commence à s’éveiller, je fais mentalement une promesse à la nuit…je reviendrais.